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Sur le vif - Page 166

  • Le peuple élague et clarifie

     
    Sur le vif - Samedi 23.04.22 - 09.52h
     
     
    Nous, les citoyennes et citoyens, pouvons faire la politique nous-mêmes, directement. Nous disposons, en Suisse, des armes pour cela. La démocratie directe est une chance inouïe. Elle est une grâce. Elle est faite pour qu’on s’en serve, non pour qu’on la laisse dormir.
     
    Le peuple qui vote (démos) n’est pas une masse de rue, qui braille derrière des pancartes. Il est une institution de notre système politique. Comme les parlements. Comme les gouvernements. Mieux : il est celle qui prime sur les autres. Le peuple n’a pas « raison », comme on le dit faussement. Mais il tranche. Il décide, en ultime instance. Il est le souverain.
     
    Nous attachons beaucoup trop d’importance aux partis, à leur cuisine, à la vie interne des parlements, aux corps intermédiaires, aux milliers de féodalités associatives qui fragmentent l’unité de notre pays. Notre Suisse est multiple, certes, c’est son secret et c’est son charme, mais il n’est écrit nulle part qu’il faille ajouter à cette diversité naturelle des strates infinies de complexité. La Suisse a besoin de simplifier ses équations : des domaines comme la gestion de l’asile, la politique de santé, sont devenus illisibles, par surabondance d’acteurs, de baronnies.
     
    Les partis, les corps intermédiaires, la toile associative alourdissent l’équation. Le peuple simplifie. Le Nœud Gordien, il le tranche. L’initiative populaire modifie la Constitution, les parlements font des lois d’application (ils le doivent, et trahissent s’ils s’y dérobent, comme pour le 9 février 2014), et l’affaire est réglée.
     
    Nous avons besoin du peuple, pour élaguer le foisonnement d’herbes inutiles. Pour voir clair. Pour voir loin. Les droits populaires doivent être défendus de toutes nos forces. Le meilleur moyen de leur rendre hommage, c’est, tout simplement, de les utiliser.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Recoudre la France

     
     
    Sur le vif - Vendredi 22.04.22 - 10.19h
     
     
    Après-demain, les Français rééliront un conservateur. L'homme de l'Ancien Régime, de l'Ancien Monde. L'homme qui a "oublié", nous dirons "omis", d'installer la proportionnelle. Il avait cinq ans pour le faire. L'homme qui est resté sourd à toutes les revendications des Gilets jaunes, pouvoir d'achat, droits populaires.
     
    Prenez le dernier chapitre de l'interminable débat de mercredi, de loin le plus intéressant : les pouvoirs du peuple. En Suisse, nous connaissons bien. Marine Le Pen arrive avec des propositions parfaitement claires, innovantes, révolutionnaires. Une conception de la primauté du peuple qui rappelle avec éclat le système suisse : le souverain, c'est lui. Emmanuel Macron ne cesse de lui dire : "En grillant les corps intermédiaires, nous irions contre la Constitution". Juste que, précisément, c'est la Constitution que sa rivale veut modifier. Il fait semblant de ne pas entendre. Il ne veut juste rien changer.
     
    En France, l'aspiration à des droits populaires donnant aux citoyennes et citoyens la possibilité d'intervenir directement sur le fond (comme, chez nous, l'initiative), est tellurique. C'était ça, les Gilets jaunes. Dans ce domaine, comme dans les sujets sociaux, Marine Le Pen incarne une volonté révolutionnaire. Face à elle, le Président sortant se cramponne aux corps intermédiaires, défend les corporations d'Ancien Régime. C'est un homme très conservateur, libéral en économie, très sceptique sur les grandes réformes sociales. Il ne rappelle absolument pas Charles de Gaulle, puissant rénovateur d'institutions, mais Georges Pompidou. La France de la prudence, du bas-de-laine.
     
    Sans doute, après-demain, la France réélira-t-elle cet homme-là. Elle l'aura voulu. Mais elle sera coupée en deux. Aux grandes colères sociales, aux souffrances, au sentiment d'oubli et d'abandon, à l'urgence d'une régulation drastique des flux migratoires, une moitié du pays n'aura pas de réponses. Ces deux France irréconciliables, il faudrait la grandeur d'un Roi Henri, oui le Quatrième, pour les recoudre.
     
    "Recoudre". Tiens, ce mot juste et simple était dans son discours, à elle. Pas dans le sien, à lui.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Marine face aux plumes du paon

     
    Sur le vif - Jeudi 21.04.22 - 06.57h
     
     
    Point 1 : faire fi des préférences personnelles des uns et des autres. Les partisans de Macron l’ont sans doute trouvé génial, ceux de Marine idem pour elle. Aucun intérêt, donc.
     
    Point 2 : un débat, comme d’ailleurs toute cette campagne 2022, qui entre beaucoup trop dans les détails. Le temps de lavage d’une personne de grand âge dans une maison de santé, le matin, n’est pas du ressort du Président de la République française. Ce dernier s’occupe des Affaires étrangères, de la Défense, et de la cohésion nationale. On n’a pas besoin, à ce niveau de débat, du tour de piste de chiens savants, de bêtes à concours, qui ont bûché leurs fiches pendant des jours.
     
    Point 3 : le débat fut mille fois plus équilibré que celui de 2017. Marine Le Pen est demeurée calme et rationnelle, elle n’a pas fait l’avion avec ses mains, elle a encaissé en souriant les plus basses attaques, notamment celle sur son emprunt russe, où l’ancien de la Banque Rothschild s’est montré indigne de sa fonction élyséenne sortante. Match nul, donc, ce qui est déjà une petite victoire pour la challenger.
     
    Point 4 : Macron n’a cessé d’interrompre son adversaire. Elle, l’a laissé parler. Elle a bien fait.
     
    Point 5 : les deux journalistes auraient pu lancer le débat, s’absenter pour aller dîner en ville, et juste revenir pour conclure, ça n’aurait rien changé.
     
    Point 6 : la courtoisie du débat permet de révéler avec précision les deux France qui se sont affrontées hier. En 2022 comme il y a cinq ans, l’antagonisme Macron - Le Pen souligne, mieux que n’importe quel autre, l’exacte ligne de fracture de la politique française. Souveraineté contre dépendance, Nation contre partie d’un Empire, protectionnisme contre libre-échange, bonapartisme social contre orléanisme libéral, contrôle de l’immigration contre ouverture des frontières, souveraineté du peuple contre machinerie des corps intermédiaires, etc.
     
    Point 7 : on n’a pas parlé d’obédience atlantiste. C’est dommage. Le paon aurait perdu quelques plumes.
     
    Point 8 : dans trois jours, il faudra regarder en valeur absolue, donc en millions de voix, le résultat de Marine Le Pen, quel que soit l’élu. Et prendre acte, comme je l’ai déjà écrit, de l’inexorable progression de l’idée nationale et souverainiste dans la société française, depuis quinze ans. Quel que soit l’élu, le libéralisme économique débridé, l’immigration non-contrôlée, la folie des délocalisations, c’est terminé. Un Français sur deux, au moins, n’en veut plus. Et n’en a sans doute jamais voulu. Même reconduit, l’orléaniste devra en tenir compte.
     
    Point 9 : nous avons eu hier un débat entre la droite libérale et la droite souverainiste et sociale. La gauche était aux fraises. C’est un peu tôt dans la saison. Mais bordel, ça fait du bien.
     
     
    Pascal Décaillet