Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Commentaires GHI - Page 186

  • L'incroyable machine à fabriquer des rêves

    De-Gaulle-greeted-as-France's-hope_1958.jpg 

    Commentaire publié dans GHI - 19.04.17

     

    Par métier, je suis un spécialiste de la politique suisse, et bien sûr aussi genevoise. Mais comme un sacré nombre d’entre nous, la politique française me passionne. A chaque présidentielle, je me laisse prendre. Les débats, je les regarde, juste après avoir mené les miens, sur Léman Bleu. J’aime la politique française, parce que j’aime la France, tout court. Son Histoire, qui m’occupe depuis plus d’un demi-siècle, oui j’ai commencé très tôt. Sa littérature. Ses paysages, si beaux, si variés. La continuité de cette Histoire, depuis des siècles, me fascine. Tout comme l’Histoire allemande. Ou… l’Histoire suisse !

     

    Enfant, j’étais l’un des seuls du quartier dont la famille avait la TV. Nous n’avions, en ce début des années soixante, que deux chaînes : « La France » et « La Suisse » ! Alors, nous regardions de Gaulle, ses numéros exceptionnels, ses jeux de voix, sa gestuelle, c’était impressionnant. Mon premier souvenir électoral est la présidentielle de décembre 1965, première du genre au suffrage universel. De Lecanuet à Tixier-Vignancour, une galerie extraordinaire de personnages. Au second tour, de Gaulle « face » à Mitterrand : les deux plus grandes figures de la Cinquième République ! Hélas, nulle rencontre entre les deux  : nous eussions eu là, entre ces deux hommes qui se connaissaient depuis leur rencontre d’Alger en 1943, le débat du millénaire.

     

    C’est le 28 octobre 1962, sur proposition de Charles de Gaulle et contre l’avis d’une bonne partie de la classe politique, que les Français, par 62,25% des votants, ont accepté par référendum le principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel. Trois ans et deux mois plus tard, premier test grandeur nature, dont je parle plus haut. C’est une incroyable machine à fabriquer des rois, à sécréter des rêves. Tous les sept ans (et, depuis 2002, tous les cinq ans), nos voisins peuvent s’imaginer qu’ils vont pouvoir, par la grâce d’un homme ou d’une femme, réinventer la vie. Il y a un sacre, un état de grâce, puis assez vite le scepticisme, puis la lassitude, et souvent à la fin le rejet. Celui de Giscard, en 1981, avait été d’une rare cruauté, que je juge aujourd’hui, avec le recul, imméritée.

     

    Une machine à propulser des songes. Comme si le choix d’une seule personne pouvait amener à la Révolution des consciences. Il y en eut, des hommes providentiels, dans l’Histoire de France : Bonaparte à son retour d’Egypte (1799), Pétain en 1940, de Gaulle en 1944, puis en 1958, Mitterrand en 1981. Et cette fois, qui ? Franchement je n’en sais rien ! Nous verrons bien. Mais une chose est sûre : même s’il est très à la mode de parler d’une « Sixième République », on pourrait peut-être commencer par rendre hommage à l’extraordinaire solidité de la Cinquième. Née d’un homme d’exception, elle fêtera l’an prochain ses soixante ans. Et se place nettement deuxième, en longévité, derrière la Troisième République (1870-1940). Jusqu’à nouvel ordre, elle fonctionne : après tout, nos amis français ont le choix entre plusieurs candidats, qui s’affrontent. Ils en choisiront un, ou une. Bref, la machine fonctionne. On est encore assez loin de la crise de régime.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Six personnages en quête de hauteur

    over_the_top_forever_young_roses_300.jpg 

    Portrait-commentaire - Publié dans GHI - 12.04.17

     

    A un an des élections cantonales, il y a des partis qui donnent l’impression de se porter mieux que d’autres. C’est peut-être le printemps qui déclenche ce sentiment, l’approche de Pâques, le bourgeonnement des ambitions. Ainsi, le parti socialiste genevois. Qui nous aligne fièrement six candidats – à la candidature – pour le Conseil d’État 2018-2023. Samedi 13 mai, à Lancy, le parti choisira, parmi ces six, son ticket officiel. Et sera, un an avant l’échéance, en ordre de bataille. Tous les partis genevois ne peuvent en dire autant. Une réalité s’impose : ce sextuor est remarquable. Et témoigne de la nouvelle vitalité du parti, après des années austères, grisâtres, moralisantes, ennuyeuses. Allez, on les recense ! Un bref mot pour chacun.

     

    D’abord, la sortante. Anne Emery-Torracinta, sans avoir l’éclat de Jules Ferry, a bien géré son Département de l’Instruction publique. Disons, tout au moins, qu’à ce jour, le Mammouth n’a pas connu, sous son règne, de couac irrévocable, de nature à disqualifier la ministre pour un nouveau mandat. Elle est donc légitimée à se représenter, ce qui n’est en rien une garantie de réélection. Elle devra se battre, y compris à l’interne du parti, où les dagues sont affûtées, ainsi va la politique.

     

    Présidente en du parti exercice (l’intérim est juste exercé, le temps de cette campagne interne, par l’excellent Gérard Deshusses), Carole-Anne Kast, conseillère administrative d’Onex, frappe par sa compétence, son intelligence, sa culture politique, mais son ton parfois cassant fait peur à un électorat non-socialiste qui voit scintiller un lumineux couteau entre ses dents. Comme un rappel de la Grève générale de 1918, qui avait tant traumatisé la bourgeoisie suisse ?

     

    Conseillère administrative de la Ville de Genève depuis dix ans, Sandrine Salerno rayonne. Elle aime à rappeler, en passant, que la gestion financière de la Ville a été qualifiée « d’étincelante » par des experts. Elle aussi connaît les dossiers, sait tricoter des majorités, c’est une politicienne née, elle sait où elle va.

     

    Du côté des Messieurs, il faut saluer l’infatigable action militante de Thierry Apothéloz, depuis des années à la Mairie de Vernier, quatrième Ville de Suisse romande. Un spécialiste de l’action sociale, connaisseur des quartiers difficiles, un vrai socialiste, l’anti-Caviar.

     

    Conseiller national depuis 2003, Carlo Sommaruga pourra se prévaloir de sa longue expérience bernoise, et de sa connaissance (comme Mme Kast) des dossiers immobiliers, comme président de l’ASLOCA. Revendiquer ses années bernoises peut conduire au succès (Christophe Darbellay), mais ne le garantit en aucune manière (Stéphane Rossini).

     

    Enfin, Romain de Sainte Marie, actuel chef de groupe, ancien président du parti, homme compétent et toujours affable, politicien doté d’un flair hors-normes, aura, un jour ou l’autre, un destin politique signalé. Il est imaginatif, tourné vers l’avenir. Et sa bonhommie rappelle celle d’une figure immense et tutélaire du parti socialiste genevois, que j’eus l’honneur de connaître, celle d’André Chavanne. Rendez-vous à Lancy. Ou ailleurs. Ce 13 mai. Ou plus tard.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Réhabilitons la politique, l'urgence est absolue !

    CAR6805-27RocaMendesKiej-M.jpg 

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 05.04.17

     

    Ce qui se passe en France, dans cette présidentielle 2017, est tout simplement catastrophique. Nous sommes à un peu plus de deux semaines du premier tour, et on n’a pas encore parlé de l’essentiel : l’avenir de la France. On a parlé de la vie privée des candidats, d’emplois fictifs, de costumes. On a laissé débouler sur le plateau d’une émission politique, face à François Fillon, une écrivaine, spécialiste de l’intime, venue non pour dialoguer, mais pour exécuter en direct le candidat. On a sorti des « affaires » dont la plupart n’en sont pas. On a confondu rectitude morale et capacité à tenir le pays. On a laissé faire des médias irresponsables, juste avides d’audience. Mais des choix fondamentaux qui attendent la France, Europe ou non, euro ou non, protectionnisme ou libre échange, contrôle des flux migratoires, destin des agriculteurs, on n’a pas parlé. On a ruiné la politique. Il est urgent, en France comme ailleurs, de la réhabiliter.

     

    Car la politique est une grande chose. Je pense, chez nous, à ces centaines de conseillers municipaux, de députés dans les Grands Conseil cantonaux, à tous ces conseillers généraux en France, ou régionaux, anonymes, bosseurs, dévoués, qui sacrifient leurs soirées à plancher sur le destin commun. Rien que pour eux, ces hommes et ces femmes admirables, notre foi dans l’action publique demeure intacte. Car la politique, ça n’est pas se pavaner chez Ruquier, ou chez les bien-pensants de BFMTV. C’est donner une partie importante de son temps, donc de notre capital humain le plus précieux, à la collectivité. Ces gens, qui s’engagent, méritent mieux que le discrédit. Pour eux, il nous faut œuvrer à la reconquête d’une confiance commune.

     

    La politique est quelque chose de sérieux. Certains des hommes que j’admire le plus, dans cet art, de Pierre Mendès France à Willy Brandt, me fascinent par leur puissance de solitude, leur rigueur, leur lucidité, leur vision. Ainsi, Brandt jette les bases de l’Ostpolitik à la fin des années 60, seul contre tous, désavoué par « l’allié américain ». Mais il persiste, tient tête, s’agenouille devant le Ghetto de Varsovie, ouvre une ère nouvelle dans l’Histoire de son pays. Oui, la politique vaut mieux que les quolibets des humoristes de pouvoir, des chroniqueurs salariés par le Réseau dominant, que la traque – sous prétexte « d’investigation » - de paparazzi sur leur vie privée. Nous les journalistes, les médias, les éditorialistes, il nous appartient de replacer l’action politique dans la hauteur qui doit être la sienne, plutôt que de la reléguer dans la fange et le caniveau.

     

    Cela passe par des entretiens politiques qui portent sur l’essentiel, le fond. Et non par ce mélange, de plus en plus fréquent, entre vie privée, hobbys, sous prétexte « d’humaniser » la personne politique. Non, non et non ! L’humanisme oui, mais ça passe par la qualité de la parole, dans l’échange. Sans concession, certes, et même durement s’il le faut. Mais dans le respect des personnes. Sinon, c’est la mort de l’âme.

     

    Pascal Décaillet