Commentaire publié dans GHI - Mercredi 30.08.18
En Suisse, ce ne sont pas les quelque cinq millions de citoyennes et citoyens qui élisent le Conseil fédéral, mais seulement les 246 membres de l’Assemblée fédérale (200 conseillers nationaux, 46 conseillers aux États). Un mode électoral que le peuple lui-même a récemment confirmé en votation populaire. Lorsqu’un candidat « fait campagne », ça n’est donc pas pour convaincre les masses populaires, comme lors d’une initiative ou d’un référendum, mais juste les 246. Ce côté cénacle, ou jeu de miroirs, il faut constamment l’avoir à l’esprit lorsqu’on commente la campagne. A bien des égards, c’est comparable au travail de conviction que doit opérer le candidat à la direction d’un théâtre, en allant convaincre, un à un, les membres du Conseil de fondation.
L’aspect public, pourtant, existe. Pierre Maudet, pour Genève, ça n’est pas exactement un inconnu ! Ni Mme Moret, pour un Vaudois. Ni M. Cassis, au Tessin. Ce sont même trois personnalités très connues, très exposées, de la vie politique en Suisse. Si Maudet passe au Conseil fédéral, il y aura d’immédiates conséquences sur la campagne électorale genevoise du printemps 2018 pour le Conseil d’Etat. Surtout, il y aurait à Berne, au plus haut niveau, un nouveau souffle, un nouveau style. Qu’on aime ou non le radical genevois, il faut bien reconnaître qu’il incarne une rupture. L’émergence, avec toutes ses qualités et tous ses défauts, d’une figure entière, visionnaire, audacieuse, dans le petit monde, si prudent, de la molasse fédérale. Disons-le tout net : l’arrivée du Genevois constituerait, en termes de style politique, de rapport à la parole, et même à la pensée, l’irruption d’une contre-figure majeure par rapport à Didier Burkhalter.
A partir de là, quid ? Franchement, nous n’en savons rien ! Pierre Maudet sera-t-il retenu, vendredi 1er septembre, sur le ticket du groupe PLR ? Si oui, sera-t-il élu le mercredi 20 septembre ? Nous verrons bien. Tout au plus chacun de nous peut-il énoncer et assumer une préférence : la mienne, clairement, va à Pierre Maudet. Malgré les nombreuses réserves qu’ici même, dans ce journal, j’émets depuis des années sur son style de gouvernement : auto-promotion excessive, pratique des fusibles, tendance à vouloir chaque jour réinventer la politique, comme si rien de bon ne s’était fait auparavant. Mais face à ces défauts, que de qualités ! Puissance de travail exceptionnelle, énergie phénoménale, approche visionnaire des problèmes, si loin du bric-à-brac et de la cuisine trop souvent propres à la politique suisse. A cela s’ajoutent un réseau d’enfer, dûment cultivé depuis des années, une intelligence du temps, une rapidité de captation des enjeux. Bref, les qualités l’emportent sur les défauts : je n’enlève rien à mes réserves, mais j’affirme ici que, pour moi, Pierre Maudet pourrait être l’homme de la situation.
Le sera-t-il ? Je n’en sais rien. D’autant que ni Mme Moret ni M. Cassis ne sont de mauvais candidats. Mais là, il fallait oser publiquement un choix. C’est désormais chose faite. Certains d’entre vous m’applaudiront. D’autres me maudiront. C’est ainsi. C’est la vie, lorsqu’on s’exprime dans l’espace public.
Pascal Décaillet