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Commentaires GHI - Page 184

  • La mode régionaliste : dangereuse pour l'Europe

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 25.10.17

     

    Nous suivons tous avec une très grande attention ce qui se passe entre la Catalogne et l’Espagne. C’est une affaire grave, elle touche aux questions de région et de nation, d’autonomie, de solidarités internes dans un pays. Il y a, parmi les lecteurs de cet article, des partisans d’un État indépendant de Catalogne. Il y en a d’autres, qui estiment que l’unité de l’Espagne doit être préservée. Chacun de ces points de vue mérite d’être respecté. Surtout vu de Suisse, un pays qui accueille beaucoup d’Espagnols (Catalans ou autres), et qui doit, selon moi, se garder de prendre parti dans cette crise. Et, au contraire, assurer à tous son estime, son état d’écoute et de dialogue, pourquoi pas ses bons offices.

     

    Je ne me prononcerai donc pas sur le cas de la Catalogne, mais je veux dire ici, plus généralement, mon scepticisme de principe quant à cette mode intellectuelle qui voudrait sanctifier tout ce qui respire la région, la décentralisation, l’autonomie, et diaboliser tout ce qui rappelle l’État-nation. La région serait, par essence, bonne, porteuse d’avenir. La nation serait maléfique, archaïque, souillée par le sang des guerres. En Suisse, ce discours s’appuie sur la structure même de notre propre pays, ce fédéralisme, assurément un succès, qui devrait « servir de modèle » aux pays qui nous entourent.

     

    La réalité est plus complexe. Que le système suisse soit un succès exceptionnel, c’est certain. Mais chaque nation a son Histoire. La logique de la construction française, ce sont des siècles d’augmentation du pouvoir royal, celui de Paris, contre les grands féodaux, et la Révolution qui, avec le jacobinisme, va encore plus loin dans la centralisation. L’Allemagne, c’est très différent : il faut attendre 1866 pour voir émerger l’unité, les régions demeurant puissantes. L’Italie, l’Espagne, le Royaume Uni, ce sont encore d’autres logiques, d’autres champs de tension entre le centre les périphéries. A la vérité, il n’existe pas de modèle, chaque nation a son Histoire propre.

     

    Dans ces conditions, vouloir universaliser le principe de décentralisation, au nom des grands idées de Denis de Rougemont (1906-1985), cet écrivain et penseur suisse qui avait théorisé l’Europe des régions et fondé, à Genève, le Centre européen de la Culture, m’apparaît excessif. Parce que cette démarche enterre un peu vite l’idée de nation, née avec la Révolution française, beaucoup plus libératrice qu’on ne veut bien le présenter, et qui selon moi n’a pas dit son dernier mot. De Milan à Barcelone, la tentation n’est pas faible de couper le cordon avec l’Etat central. En clair, s’affranchir des liens de solidarité avec les régions du sud, plus pauvres. Chacun vivrait son destin, en rotant, bien à son aise, son produit intérieur brut. Telle n’est pas exactement ma conception d’un État, de ses énergies internes, de ses mécanismes de redistribution. Si la région, c’est l’égoïsme, les riches entre eux, les pauvres à l’extérieur, pour ma part, je n’adhère pas. Excellente semaine à tous.

     

    Pascal Décaillet

     

  • L'Afrique a beaucoup à nous apporter !

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 18.10.17

     

    Je suis partisan, comme on sait, d’une régulation des flux migratoires. La Suisse doit garder la main, en fonction des décisions qui lui sont propres, sur l’immigration. Elle doit la garder quantitativement, ce que font d’ailleurs la plupart des pays, à commencer souvent par les premiers à nous faire la leçon. Mais, une fois cet impératif numérique posé, dans le but de conserver notre cohésion sociale, j’estime que les migrants admis en Suisse doivent absolument être intégrés. Ils doivent, c’est certain, observer nos lois et se plier à nos coutumes. En contrepartie, il se pourrait qu’ils aient beaucoup à nous apporter. Beaucoup plus que nous ne l’imaginons. Nous ne pouvons accueillir « toute la misère du monde » (Rocard), mais ceux qui sont chez nous et montrent de la motivation à s’intégrer, nous devons valoriser ce qu’ils sont, leur Histoire, leur identité, leurs parcours. C’est particulièrement valable pour les personnes issues du continent africain.

     

    On pourrait, par exemple, cesser de les appeler uniquement « Africains », ce qui réduit à une appartenance continentale beaucoup trop vaste une incroyable richesse d’ethnies et de nations. Cette Histoire africaine, qui la connaît ? Nous avons certes entendu parler du lointain royaume de Tombouctou, surtout si nous avons lu les magnifiques récits de l’explorateur français René Caillé (1799-1838). Nous avons quelques idées des aventures coloniales, celles des Portugais, des Français, des Anglais, des Belges, déjà moins celles des Allemands ou des Italiens. Noua connaissons quelques grandes figures des combats pour l’indépendance : le président-poète sénégalais Senghor, l’Ivoirien Houphouët-Boigny, le Kenyan Jomo Kenyatta. Nous connaissons quelques musiques, quelques œuvres d’art. Mais, dans les grandes lignes, notre vision est incroyablement limitée. Notre ignorance, immense.

     

    Il se trouve qu’à Genève, nous avons des communautés africaines. Indépendamment du statut juridique des uns et des autres (expatrié, diplomate, requérant, etc.), ou du droit de tel ou tel à demeurer longtemps sur notre territoire, il ne me semblerait pas superflu d’entamer avec ces personnes un dialogue portant sur la langue et sur la culture, sur l’Histoire et les origines. Nous leur apprendrions la Suisse, cette petite fleur fragile. De leur côté, ils nous parleraient de leurs pays. Une part immense d’entre eux partage avec nous un trésor inestimable : celui de la langue française, celle de La Fontaine et Verlaine, mais aussi celle de Senghor. En un mot, je propose que notre contact avec ces hôtes africains de Genève prenne quelque élévation. Nous serions très vite étonnés de découvrir l’ampleur de ce qui nous rassemble, tellement plus importante que ce qui nous sépare. Je rêve, avec l’Afrique, d’un partage des connaissances, d’une hauteur d’ambition dans le dialogue. Quelles que soient nos positions politiques. C’est valable pour ce continent, comme pour tous les autres. La culture, l’Histoire, la mise en commun de la langue, nous avons là des outils puissants. Pour bâtir des ponts.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Méphisto, il est où ?

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    Commentaire - GHI - Mercredi 11.10.17

     

    Je me suis toujours battu pour un journalisme qui dise les choses, de façon simple et réelle, telles qu’elles sont. Le pouvoir, lui, d’où qu’il vienne, quelle que soit sa couleur, cherchera toujours, au contraire, à vous faire répéter, comme un perroquet, les mots incantatoires de sa propagande. Les conférences de presse, les communiqués sont les instruments dont il dispose pour imposer son vocabulaire. A tout confrère, toute consœur, je recommande circonspection et méfiance.

     

    Ainsi, le mot à la mode : « recapitalisation ». Fort laid, mais ça n’est pas le plus grave. Surtout, un euphémisme, froidement choisi par le pouvoir politique pour donner l’impression de quelque chose de bienveillant. Si on « recapitalise », c’est bien qu’on injecte de l’argent, comme une piqûre de sang nouveau, régénératrice, bienvenue. Et on réussit à positiver les choses. Nous serions le Docteur Faust, la « recapitalisation » serait notre seconde jeunesse. Mais Méphisto, il est où ?

     

    La vérité, plus crue, c’est que tous ces milliards qu’on va mettre en quarante ans, c’est le contribuable qui va les payer. Encore lui ! Cette dimension sacrificielle, pour assurer les retraites de la fonction publique, n’est guère lisible, hélas, dans le mot « recapitalisation ». Dans le choix des vocables, plus la réalité est dure à encaisser, plus l’autorité nous sert des mots doux. Un peu comme la dernière cigarette d’un condamné : elle fait des volutes, pour mieux masquer la lame fatale. Méfiez-vous des mots !

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Photo : l'inoubliable acteur allemand Gustav Gründgens (1899-1963), dans Mephisto, le rôle de sa vie. Lire absolument le livre "Mephisto", de Klaus Mann (1906-1949).