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Commentaires GHI - Page 139

  • Noirceur du pouvoir

     

    Commentaire publié dans GHI - 08.01.20

     

    2019 aura été, dans nos contrées, une année de préoccupations sociétâââles (à prononcer en prenant un air savant, et en laissant négligemment traîner le « a » final). On nous a construit, dans tous les sens, la théorie des genres, on a déconstruit (le mot qui fait fureur, plus prétentieux, à lui-seul, que tous les Marquis de Molière) nos stéréotypes. On nous a délivré du Mâle. On nous a annoncé la fin du patriarcat. On nous a corrigé la langue, les accords, on est venu polluer nos phrases, sous couvert d’épicène, de signes inutiles, plus lourds que le plomb. On nous a prédit la fin des nations, l’Apocalypse du climat. On n’a cessé de nous promettre un monde nouveau. Quel monde ?

     

    2020 pourrait bien être l’année du retour à des réalités plus dures, plus terrestres. La permanence des nations, contre les toiles multilatérales. La puissante volonté de cohésion des communautés humaines, au sein de frontières bien définies, et non à l’échelle d’un improbable messianisme universel. Entre les peuples, des rapports de forces. Entre les humains, la noire, la sinistre, l’éternelle malédiction du pouvoir, celle qui corrode et corrompt toute aspiration à la beauté des liens.

     

    Cette malédiction, nul n’y échappe. Ni les femmes, ni les hommes, ni les jeunes, ni les vieux. Dès qu’un humain envisage d’exercer sur un autre une forme quelconque de pouvoir, dès qu’il envisage d’exercer une domination, il entre dans ce chemin de mort qui nous disperse et nous divise. Nul d’entre nous n’y échappe : ni vous, ni moi, ni personne sur la Terre.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

  • Les manifestants professionnels

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 08.01.20

     

    Il y a un sketch extraordinaire, de Jean Yanne et Daniel Prévost, qui s’appelle « Le manifestant professionnel ». En un demi-siècle, ce dialogue n’a pas pris la moindre ride. Jean Yanne s’y livre à l’interview d’un bonhomme ayant choisi pour métier de descendre dans la rue, ayant même suivi pour cela deux ans d’une école très sérieuse, « l’Institut des Hautes Études en Manifestation », avec cours théoriques, exercices pratiques, comme « confection des pancartes » ou « lancer du pavé ». Ce sketch, qui date juste d’après Mai 68, aurait pu être écrit aujourd’hui, à la virgule près.

     

    Car à Genève aussi, nous avons nos manifestants professionnels. Ils ne sont pas les défenseurs d’une seule cause, mais de toutes, pourvu qu’ils puissent descendre dans la rue, provoquer bruit et fureur, se donner l’illusion des barricades de 1830 ou 1848, voire – suprême frisson genevois - du 9 novembre 1932. Ils ne manifestent pas pour un objet précis, non, ils assument leur destin de manifestants éternels, comme si cette fonction relevait de la naissance, d’une nature, de prédispositions génétiques : je manifeste, donc je suis.

     

    Le manifestant professionnel se trouve être, dans 99 % des cas, une personne de gauche. C’est ainsi : la droite, à Genève comme en France, a un peu perdu le contact avec la rue, depuis 1945. La gauche s’y est installée, y règne en maître, s’y sent chez elle, descend même dans la rue contre des pouvoirs de gauche, considérés comme sociaux-traîtres. Surtout, la gauche genevoise aime religieusement prendre l’air, avec sa liturgie, ses processions, en exhibant ses idoles à elle. A cet égard, le cérémonial du 1er Mai apparaît comme une version profane et sécularisée de la Fête-Dieu, avec son soleil, son printemps, ses couleurs, l’organisation de son cortège, les Clercs tout en avant, les servants, et toute l’armada processionnelle qui se déploie dans l’espace public.

     

    Le manifestant professionnel est un être ayant profondément besoin de prendre l’air. Ah, sortir, posséder la rue, bouffer le bitume, laisser jouir d’extase ses cordes vocales, s’insérer comme un percussionniste dans la scansion des slogans, se sentir en phase avec le groupe. Alors, peu importe la cause : allons-y pour les Kurdes, le climat, la libération des genres, le congé-paternité, les soins dentaires remboursés, la retraite à 60 ans. Sortons, hurlons, faisons le plein de couleurs et de tintamarre, plongeons corps et âme dans la liturgie du Grand Soir, il en restera bien quelque chose.

     

    Le manifestant professionnel passe une partie de sa vie dans la rue, à rêver la Révolution. Il arbore, comme dans les saintes processions, le rouge écarlate, sanguin, sacrificiel. Il tient le pavé comme d’autres, le Missel. Il prie ses slogans, en chœur, d’une même voix. Il sanctifie la colère, annonce le combat pour des lendemains qui chantent. Il est entré en manifestation comme d’autres, en religion. Il a toujours raison. Rien ne le détourne. La vérité, pour toujours, est avec lui.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Genève est un théâtre

     

    Commentaire publié dans GHI - 23.12.19

     

     

    Il aura suffi, en ce matin du jeudi 19 décembre, à portée du solstice et de Noël, d’une subite vague de brume pour enrober Genève de mystère et de beauté. La matinée, fort belle, avait commencé par le soleil, cette boule de feu dont les Genevois, depuis un ou deux mois, avaient comme oublié l’existence. Et puis, très vite, une épaisse couche de brouillard. Et puis encore, le soleil qui réapparaît, joue à cache-cache avec les nimbes, se laisse entrevoir derrière l’opacité, tout cela en seconde partie de matinée.

     

    Genève est un théâtre. Natif de cette ville, j’ai la chance, six décennies après, d’habiter le quartier de mon enfance. Il est celui du lac, des parcs incomparables, de cèdres centenaires, de l’allée des séquoias, des serres du Jardin botanique. A ces lieux de sève et de vie, mon attachement est viscéral. A supposer – hypothèse d’école – que je devienne fou, je n’en finirais plus de promener ma douce démence au milieu de ce paradis, une fois perdu, mille fois retrouvé.

     

    Mais là, en cet ultime jeudi d’automne, la magique transparence du brouillard, la célérité de son irruption, l’effet de surprise, tout cela a donné au théâtre Genève la valeur ajoutée d’un décor. Cette brume n’avait rien de triste : elle nous encensait, elle nous maternait, elle nous souriait, à la manière d’une Madone. Je suis très fier d’être enfant de cette ville, et de ces lieux. C’est en eux, et aussi dans mes montagnes valaisannes, que je puisse mon énergie.

     

    Pascal Décaillet