Commentaire publié dans GHI - Mercredi 06.11.24
J’ai passé mes premières années à quelques mètres des mythiques usines de Sécheron. Il y avait encore du travail. Des ouvriers. Le parfum d’une activité humaine, sur le métal. A cette époque, il y avait encore les Charmilles, Alusuisse à Chippis, la métallurgie du Triangle d’or, Argovie et Zurich, la machine-outil dans l’Arc jurassien. La Suisse n’a, certes, jamais été un géant industriel, surtout en comparaison de son exceptionnel voisin du Nord, l’Allemagne, première puissance économique d’Europe (hélas, aujourd’hui bien essoufflée), quatrième du monde. Mais tout de même, notre petit pays, si pauvre en matières premières, en minerai, a su, sous l’impulsion géniale et visionnaire des radicaux de 1848, tirer un profit remarquable des quelques secteurs d’excellence dans lesquels la Révolution industrielle l’avait lancé.
Le plus prestigieux de tous, encore bien vivant aujourd’hui, est évidemment l’horlogerie, mais notre petite et courageuses Suisse avait aussi marqué des points décisifs dans la métallurgie, et même dans la sidérurgie. Lâchement abandonnés, depuis quarante ans, par des irresponsables, ces secteurs, aujourd’hui, se meurent, dans la cynique indifférence des pouvoirs publics. Prenez les légendaires verreries de Saint-Prex (VD), que j’ai eu l’honneur, dans mon enfance, de visiter en famille, ainsi que tant d’autres usines. Prenez Stahl Gerlafingen (SO) : chaque fois, le même scénario, sans soutien sur les conditions de leur survie, ces entreprises ferment des sites, licencient, les syndicats se fâchent, la presse en fait ses titres quelques jours, puis passe à autre chose. Et le libéralisme, dans ce qu’il a de pire, cette absence de volonté d’Etat, cette carence dans le dessein collectif, laisse doucement disparaître ces fleurons de notre génie industriel suisse.
La Suisse doit se réinventer une passion industrielle. Et pas seulement dans « l’innovation », ce mantra de quelques petits marquis lausannois, dont certains n’ont jamais sans doute mis les pieds dans une usine. Non, la Suisse doit, à tout prix, sauver sa métallurgie, et même sa sidérurgie. L’Etat, fédéral ou dans les Cantons, doit aller beaucoup plus loin que la simple formule, totalement démissionnaire, consistant à assurer aux acteurs industriels des « conditions cadres ». Ces deux mots, répétés à l’envi, ne veulent strictement rien dire. La Confédération, les Cantons, doivent remettre l’industrie au cœur des passions collectives de la Suisse. Ils doivent impérativement baisser les coûts de l’électricité pour la sidérurgie, la France le fait, tous le font ! Ils doivent revenir au protectionnisme en matière industrielle, comme dans le domaine agricole. Ils doivent tourner la production vers les besoins du marché intérieur, ceux du peuple suisse, et se laisser moins tyranniser par l’exportation. Ils doivent redonner à chaque Suisse, chaque Suissesse, à nos jeunes, la passion du désir industriel. Hélas, nous en sommes si loin. Quatre décennies de libéralisme financier ont mis à terre un fleuron de notre Suisse moderne.
Pascal Décaillet