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  • Conseil d'Etat : une fraction d'irréparable a été commise

     
    Sur le vif - Mardi 03.10.23 - 13.43h
     
     
    Et alors, l'affaire est close, la vie continue ? Pas de vagues ? Ne pas envenimer, à deux doigts des élections fédérales ? Faire le dos rond, l'autruche ? Bien enfouir sa caboche dans les profondeurs sablonneuses de indifférence ? Ménager les neuf semestres (putain, neuf !) qui restent, pour la législature ?
     
    J'ai félicité ici même, et hier soir en la croisant, la Présidente du Grand Conseil, et le Bureau. Il fallait réagir sans faille au coup de force du Président Vert du Conseil d'Etat, ils l'ont fait, c'est bien.
     
    Mais cela ne suffit pas. Ce nouveau Conseil d'Etat, même pas encore au dixième de sa durée de mandat, a commis une fraction d'irréparable, en brandissant cet étrange article 109.5 contre une loi dûment votée par le Parlement. Les députés avaient examiné le projet, débattu, appliqué la procédure de vote, la loi était sous toit. Dès lors, à part lancer un référendum, il n'y a plus aucune possibilité de revenir sur une décision souveraine du Premier Pouvoir.
     
    Ce qui doit être sanctionné politiquement, c'est la duplicité retorse du discours gouvernemental. Le Conseil d'Etat ose qualifier de "gabegie parlementaire" une décision qui, tout simplement, lui déplaît politiquement. Il n'y a eu strictement aucune "gabegie" : les élus du peuple, convoqués pour examiner une loi, ont appliqué la procédure. Et ils ont voté la loi.
     
    Ce qui est gravissime, c'est que le Conseil d'Etat nous prend pour des cons. Il prétexte une entorse sur la forme (il n'y en a manifestement AUCUNE), pour camoufler sa défaite sur le fond.
     
    Il y a mille raisons, en effet, pour que ce gouvernement soit profondément déçu du redimensionnement de son "Plan Climat" par une nouvelle majorité surgie ce printemps des urnes. Sur ces raisons, principalement économiques et financières (des centaines de millions sont en jeu), nous aurons l'occasion de revenir. Mais dans ces conditions, rien n'empêchait le Conseil d'Etat de s'associer à un référendum contre la nouvelle loi, votée cet automne. Là, nous n'aurions rien dit. C'eût été agir à la loyale, et non tenter de tromper le peuple en invoquant la forme pour dissimuler le fond.
     
    Le résultat ? Voilà un jeune gouvernement, avant même le sixième mois (sur soixante !) de son mandat, qui se discrédite lourdement par la bassesse de sa manœuvre. Comment les trois magistrates de droite (enfin, deux de droite, et une du Marais imprévisible) ont-elles pu cautionner cela, puisque la décision nous est présentée comme "unanime" ? Ces trois-là ont entamé la confiance. Le collège tout entier, aussi. Oui, une fraction d'irréparable a été commise. Sous d'autres cieux, on appelle cela un péché mortel.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Patrice Chéreau, la mémoire du sublime

     
    Sur le vif - Mardi 03.10.23 - 09.10h
     
     
    Patrice Chéreau, Pascal Greggory : jamais, de toute ma vie, je n'ai vu deux hommes aussi beaux, aussi justes, aussi précis dans l'occupation millimétrée d'une scène, aussi émouvants dans la retenue de leurs sentiments, portés par une langue aussi sublime, celle de Bernard-Marie Koltès.
     
    C'était il y a 28 ans, à deux pas de chez moi, dans une salle désaffectée de ces Ateliers mécaniques de Sécheron qui avaient accompagné mon enfance. Une salle oblongue, deux rangs de spectateurs qui se font face, le long des murs, le vitrage industriel. Deux hommes, un dealer, un acheteur. Deux hommes, pour porter le verbe. Deux homme, c'est tout. Ca s'appelle "Dans la solitude des champs de coton", c'est l'un des plus beaux textes que je connaisse.
     
    Il y a un moment, dans cette mise en scène (de Chéreau lui-même), où la parole s'absente, les corps s'immobilisent, et, dans l'un des intermèdes les plus saisissants qui se puissent concevoir, les deux hommes, les deux corps, se lancent ensemble dans une danse tribale d'une précision hallucinante. Fusion des corps, sorcellerie soudaine, possession, horlogerie de la chorégraphie. Toute personne ayant vécu ce moment s'en souviendra, toute sa vie.
     
    Je me souviens de la sonnette des usines, dans mon enfance, mais Sécheron, depuis, c'est cette irruption sauvage de la danse dans le clair-obscur d'un texte d'exception. J'ai pensé à Jean-Philippe Rameau, bien sûr, les Indes galantes. J'ai pensé à Brecht. J'ai pensé à Heiner Müller.
     
    Hier soir, Arte rediffusait la Reine Margot, Patrice Chéreau sur les traces de Delacroix et de la peinture doloriste, sulpicienne parfois, pour nous peindre les horreurs de la Saint-Barthélémy (24 août 1572). Et puis, après le film, le magnifique documentaire sur sa vie, comment cet adolescent est entré en dramaturgie, pour lui donner sa vie entière, travail acharné, amour des acteurs, proximité des corps, l'essence même du théâtre, ce qui se montre, dans la Cité. Tout jeune, il quittait régulièrement la France, allait passer dix jours à Berlin-Est, passait ses journées à regarder travailler le Berliner Ensemble, le théâtre de Bertolt Brecht.
     
    Dans ce documentaire, il y a un extrait de Koltès, Patrice Chéreau, Christian Greggory, j'ai soudain revu les Ateliers mécaniques de Sécheron. J'ai soudain entendu retentir, au fond de ma mémoire, la cloche des usines, qui libérait les ouvriers. C'était un autre temps. C'était hier. C'est aujourd'hui.
     
     
    Pascal Décaillet

     
  • Bravo, Mme Zuber !

     
    Sur le vif - Lundi 02.10.23 - 14.29h
     
     
    Putsch anti-parlementaire : la Présidente du Grand Conseil remet enfin à sa place le Président Vert du Conseil d'Etat ! Elle défend ainsi la dignité de sa Chambre, la séparation des pouvoirs, et le statut de Premier Pouvoir du Parlement. J'attends ce moment depuis une semaine, m'étant senti assez seul à dénoncer ce scandale dès la première minute. Mais enfin, c'est fait, et je dis bravo à Mme Céline Zuber-Roy. Ainsi qu'au Bureau du Grand Conseil.
     
    Et j'adresse tout mon mépris (oh oui, j'assume ce mot glaçant) aux petits marquis pro-gouvernementaux, éternels vassaux du pouvoir, courtisans du Prince Vert, qui ont traité cette affaire en haussant les épaules, comme si elle était sans importance. Qu'ils commencent par lire Solon, le législateur athénien du 6ème siècle avant notre ère. Puis, Montesquieu. Qu'ils fassent cela, oui, ou aillent ouvrir un Ordre mendiant des Suiveurs, derrière un célèbre Frère de la presse genevoise.
     
    Reste maintenant à éclaircir absolument un point, que je soulève aussi (toujours seul) dès la première minute : établir pourquoi les trois magistrates de droite (enfin, deux de droite et une du Marais centriste) ont jugé bon de s'engouffrer dans cette décision scélérate, qu'on nous a présentée comme unanime.
     
    Bref, un peu plus d'indépendance d'esprit, de courage, de solitude, dans cette République. Et un peu moins de suivisme de cocktails.
     
     
    Pascal Décaillet