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Patrice Chéreau, la mémoire du sublime

 
Sur le vif - Mardi 03.10.23 - 09.10h
 
 
Patrice Chéreau, Pascal Greggory : jamais, de toute ma vie, je n'ai vu deux hommes aussi beaux, aussi justes, aussi précis dans l'occupation millimétrée d'une scène, aussi émouvants dans la retenue de leurs sentiments, portés par une langue aussi sublime, celle de Bernard-Marie Koltès.
 
C'était il y a 28 ans, à deux pas de chez moi, dans une salle désaffectée de ces Ateliers mécaniques de Sécheron qui avaient accompagné mon enfance. Une salle oblongue, deux rangs de spectateurs qui se font face, le long des murs, le vitrage industriel. Deux hommes, un dealer, un acheteur. Deux hommes, pour porter le verbe. Deux homme, c'est tout. Ca s'appelle "Dans la solitude des champs de coton", c'est l'un des plus beaux textes que je connaisse.
 
Il y a un moment, dans cette mise en scène (de Chéreau lui-même), où la parole s'absente, les corps s'immobilisent, et, dans l'un des intermèdes les plus saisissants qui se puissent concevoir, les deux hommes, les deux corps, se lancent ensemble dans une danse tribale d'une précision hallucinante. Fusion des corps, sorcellerie soudaine, possession, horlogerie de la chorégraphie. Toute personne ayant vécu ce moment s'en souviendra, toute sa vie.
 
Je me souviens de la sonnette des usines, dans mon enfance, mais Sécheron, depuis, c'est cette irruption sauvage de la danse dans le clair-obscur d'un texte d'exception. J'ai pensé à Jean-Philippe Rameau, bien sûr, les Indes galantes. J'ai pensé à Brecht. J'ai pensé à Heiner Müller.
 
Hier soir, Arte rediffusait la Reine Margot, Patrice Chéreau sur les traces de Delacroix et de la peinture doloriste, sulpicienne parfois, pour nous peindre les horreurs de la Saint-Barthélémy (24 août 1572). Et puis, après le film, le magnifique documentaire sur sa vie, comment cet adolescent est entré en dramaturgie, pour lui donner sa vie entière, travail acharné, amour des acteurs, proximité des corps, l'essence même du théâtre, ce qui se montre, dans la Cité. Tout jeune, il quittait régulièrement la France, allait passer dix jours à Berlin-Est, passait ses journées à regarder travailler le Berliner Ensemble, le théâtre de Bertolt Brecht.
 
Dans ce documentaire, il y a un extrait de Koltès, Patrice Chéreau, Christian Greggory, j'ai soudain revu les Ateliers mécaniques de Sécheron. J'ai soudain entendu retentir, au fond de ma mémoire, la cloche des usines, qui libérait les ouvriers. C'était un autre temps. C'était hier. C'est aujourd'hui.
 
 
Pascal Décaillet

 

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