Commentaire publié dans GHI - Mercredi 11.10.23
Nous sommes en pleines élections fédérales. Depuis 1987 (j’étais au Journal de Genève), ce sont mes dixièmes comme journaliste. Et comme citoyen votant, mes douzièmes. Eh bien croyez-moi, je ne me suis jamais autant passionné que cette année ! Vous connaissez ces mots magiques de René Char, « le désir demeuré désir », le choc de ces syllabes pourrait résumer mon bonheur à couvrir l’actualité politique. Non que je goûte la cuisine des officines, le micmac des états-majors, vraiment pas. Mais les enjeux, pour le pays ! Notre souveraineté, notre contrôle de l’immigration, nos assurances sociales (sans doute le sujet que j’ai le plus creusé, en quarante ans de métier), nos régimes de retraites, nos grands projets routiers et ferroviaires, nos relations avec l’Europe, nos finances fédérales, notre agriculture, notre industrie, notre système de formation, l’avenir de nos jeunes.
Jamais je ne me passionnerais autant pour ces sujets si je n’étais, comme tous les Suisses de plus de dix-huit ans, un citoyen actif. Pas question, comme chez nos amis français, de regarder le pouvoir d’en bas, sans avoir d’autre prise sur le destin que d’élire, tous les cinq ans. Comme s’il y avait, d’un côté, la caste politique, et de l’autre la masse de ceux qui les contemplent. En Suisse, le suffrage universel, ce qu’on appelle en grec le démos (le peuple qui vote), ne se contente pas d’élire, il intervient directement sur les thèmes. L’outil, incomparable, de l’initiative populaire, lui permet de concevoir lui-même un sujet, le lancer à l’approbation de cent mille signataires, puis à celle, un beau dimanche, du corps électoral tout entier. C’est totalement génial.
Une élection fédérale, c’est la rencontre de deux paramètres : les thèmes, les personnes. Pour les premiers, des débats, tous les soirs. Pour les seconds, ces fameux Visages de Campagne que vous voyez défiler pendant deux mois. Là, l’aspect cérébral de la politique cède la place à l’incarnation. Je peux, le temps de six minutes, m’émerveiller de l’humain qui me fait face, tout en détestant ses idées. Je crois que tout journaliste politique doit se confronter, un jour ou l’autre, à ce paradoxe : on ne juge pas un homme ou une femme sur ses seules idées, mais sur la magie de sa personne, ses passions, son enthousiasme, son grain de folie. En cela, le journalisme me semble être un humanisme.
Couvrir une campagne politique, en radio ou en TV, les médias chauds, où il faut être un peu cinglé, torréfié par l’actualité, les rebondissements, c’est, d’une certaine manière, faire campagne au milieu des candidats. Vivre, courir, haleter, perdre son souffle, se surexciter à leur rythme. Eux roulent pour un parti. Nous, pour peindre la campagne, la raconter, la faire vivre. C’est une forme de fusion, qui en aucun cas ne doit devenir confusion des rôles. Mais action commune, sur la scène. Non comme acteur. Mais peut-être comme éclairagiste, régisseur. Ou tout simplement vendeur de glaces, à l’entracte. Vous préférez vanille ou citron ?
Pascal Décaillet