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  • La guerre des mots sera sans pitié

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 07.04.21

     

    « Pacification ». C’est le mot utilisé par les Verts, à Genève, quand ils s’expriment sur l’avenir de la mobilité en Ville. Le mot est doux, il contient la paix, la douceur d’un monde meilleur. Les Verts ne sont pas des guerriers. Ils veulent notre bonheur. Ce qu’ils appellent « pacification », en mobilité urbaine, c’est tout simplement la victoire totale de leur vision, à eux. Pistes cyclables, rues piétonnes, priorité absolue aux transports publics, voitures chassées du centre-ville. Pour une bonne partie des Genevois, les habitants de la Ville, les livreurs, les travailleurs, les petits entrepreneurs, cette éradication du trafic motorisé est la promesse d’une grande violence à leur égard, peut-même un acte de guerre. Mais les Verts disent « pacification ». Ils tentent d’imposer leurs mots, leur langage, leurs euphémismes. Ils adoucissent les vocables, pour atténuer la part d’agressivité du concept. Car ce qui, pour les uns, constituera le Paradis de la mobilité future, sera hélas perçu par d’autres comme un Enfer. Alors, pour préparer le terrain, on enjolive les mots.

     

    C’est un exemple, parmi tant d’autres. Les Verts déboulent dans notre espace sémantique et sonore avec une batterie de mots, qu’ils glissent partout, et tentent de rendre courants : « transition énergétique », « urgence climatique », « transfert modal ». Ils arrivent avec leur vocabulaire, dans leur sac à dos. Ils entendent non seulement triompher politiquement (on ne saurait le reprocher à un parti), mais refonder notre rapport au langage. Ils aspirent à prendre pied dans nos cerveaux, coloniser notre vocabulaire, imposer quelques mots-clefs, qui sont ceux de leur propagande. Ils débarquent avec leur liturgie, leur latin d’Eglise. Et nous ? Nous sommes les indigènes de leur nouveau monde, les sauvages qu’ils vont éradiquer de leurs archaïsmes. Pour notre bien, ils vont nous inculquer le vocabulaire de la rédemption.

     

    Et les Verts sont encore bien doux. A côté, par exemple, des partisans du langage inclusif, cette poisse noire, pesante, collée aux ailes de la langue française. De partout, on tente de nous l’imposer. Partout, je l’affirme, il faut résister. C’est la beauté de notre langue qui est en cause, sa capacité à l’envol, sa grâce, sa légèreté. Sa lisibilité, aussi, qui doit offrir au lecteur, à l’auditeur, un champ ouvert, accueillant à toute semaison, plutôt qu’un fatras d’obstacles. Nous sommes enfants de la langue, elle est notre mère, bienveillante et nourricière, à l’image de ces madones, qui nous sourient, sur le contour d’un sentier de montagne. Défendons notre langue, ne la laissons pas salir, surcharger, par des idéologues incapables de saisir la puissance musicale d’une syllabe, la richesse de répit d’un soupir. Ils nous ont déclaré la guerre de la langue. Eh bien, menons-la ! Si nous cédons sur ce point, alors nous aurons tout perdu. Les mots sont beaucoup plus que des outils. Ils sont les feux sacrés de nos âmes. Sur ces valeurs-là, désolé, on ne transige pas. On se bat.

     

    Pascal Décaillet

  • Über Brecht als Dichter - Meine persönliche Empfindung

     
    *** "Distanzierung" ? Ja, natürlich ! Aber vor allem ein Dichter. Ein Zauberer der Sprache. In Brecht's Texten singt eine unvergleichbare Musik. Mein Verhältnis mit diesem ungeheurem Schrifsteller.***
     
    Ostermontag, den 05. April 2021. 16.06h.
     
     
    Überall seit meiner Kindheit höre ich Bertolt Brecht fast exclusiv als Dramaturg bezeichnet, was er natürlich im höchsten Punkt war. Überall "Dramaturg", und immer mit diesem Leitmotiv : "Distanzierug". Was auch genau ist.
     
    Seit der Kindheit - oder Ende Kindheit - habe ich trotzdem persönlich eine ganz andere Empfindung von diesem unvergleichbaren Autor. Für mich ist Brecht zuerst ein Dichter. Ein Zauberer der Sprache. Ein Worterfinder. Ich habe natürlich unzahlbare Stücke von Brecht auf der Bühne gesehen. Aber ich habe vor allem das Werk von BB gelesen, und nochmals gelesen, und immer noch gelesen. Und gehört ! Mit der Musik von Kurt Weill.
     
    Ich bin normalerweise kein Theaterleser, nur Zuschauer. Aber nicht im Falle von Bertolt Brecht ! Und auch nicht im Falle von Jean Racine. Warum ? In diesen beiden Beispielen schenkt uns der Text - der Text allein ! - etwas unsagbares zu hören. Ich lese Brecht immer mit lauter Stimme, wie für jeden Dichter, und wie (zum Beispiel) die deutsche Übersetzung der Bibel durch Martin Luther. Brecht's Antigone, über die ich vor vierzig Jahren gearbeitet hatte (im Vergleich mit Sophokles), ist wie eine Musik geschrieben : die Spezialisten können sogar etwas schwäbisches wiedererkennen, wie eine Spur von Brecht's entfernten Kindheit.
     
    Gegen mächtige Dramaturgentheorien über "Distanzierung" habe ich überhaupt nichts. Bin aber kein Thetarfachmann ! Nur ein gespannter Leser, verliebt in die Dichtung und in die deutsche Sprache.
     
    Beste Grüsse an alle deutschsprachigen Leser !
     
     
    Pascal Décaillet

  • Détruire l'Allemagne, disaient-ils

     
    Nouvelle réflexion sur la destruction de la Ville allemande - 1945, dans le miroir de 1648 - Dimanche 04.04.21 - 11.16h
     
     
    En 1945, les villes allemandes sont détruites. C'est à dessein que les Anglo-Saxons les ont pulvérisées elles, les villes. Pas seulement parce qu'elles concentraient le secteur industriel. Mais parce que l'âme allemande, au fil des siècles, s'est forgée dans un théâtre de représentation urbain : les cathédrales, les résidences des seigneurs locaux, les collections d'art, les salles de concert, les théâtres.
     
    En 1945, tout cela est en cendres. Pas les villages ! Pas la campagne ! Non, les villes, si importantes dans la construction de l'imaginaire du Saint-Empire : Immédiateté impériale, Franchises, concentration des pouvoirs, convergences des artistes. En rasant Hambourg en 1943, puis Dresde en 1945, Harris, le chef des commandos de bombardements la Royal Air Force, ne prend pas ces décisions tout seul. Non, il obéit à un chef, le Premier Ministre, qui s'appelle Winston Churchill, un homme pétri d'Histoire, et qui sait parfaitement ce qu'il fait. Pas seulement venger Coventry, il l'a fait au centuple ! Bien pire : éradiquer la Ville allemande. La Ville allemande, pas seulement les villes allemandes !
     
    Ma mère a passé une partie de sa jeunesse en Allemagne, dans les années 1936 à 1938. Elle a connu d'éclatantes villes allemandes, au centre du pays, avant la guerre. Les trésors du Moyen Âge y étaient visibles à chaque coin de rue. Quand elle y est retournée, peu après la guerre, plus rien. J'ai moi-même visité d'innombrables villes, dans l'ensemble du pays, des Alpes jusqu'à la Baltique, du Rhin jusqu'à l'Oder, avec une prédilection pour la partie orientale (Saxe, Prusse, Thuringe) : malgré certaines splendeurs sauvées du désastre, on sent bien qu'il y a quelque chose de perdu, d'irrémédiable.
     
    J'aime passionnément Hambourg, Lübeck, Nuremberg, Würzburg, Francfort-sur-l'Oder, Weimar, Brême. J'ai passé de longs mois à Munich, du temps de mes études. Je n'aime pas trop Berlin, bien que je m'y sois rendu maintes fois. Je préfère la Prusse intérieure, austère, sévère, intellectuelle, celle qui semble retenir en elle le monde sensible, de peur qu'il n'explose. La Prusse de Kleist. J'aime les bords de l'Oder, à la frontière polonaise, il y règne un esprit de garnison, de musique et de poésie. Le monde germanique, dit-on, s'y termine. Je n'en suis pas si sûr.
     
    La Ville allemande, devenue cendres et poudres. 1945 ? Pas seulement ! En 1648, à l'issue de l'abominable Guerre de Trente Ans, la Ville allemande, de la Baltique jusqu'à Bâle, est en ruines. Les Suédois, entre autres, y sont pour beaucoup. Les Princes de toute l'Europe, à partir de la Défenestration de Prague, avaient décidé de faire des Allemagnes le terrain de jeu de leurs guerres. En 1648, il n'y a plus de Ville allemande, il n'y a plus d'Allemagne, il n'y a plus rien. 
    Il faudra un siècle pour que renaisse, en Europe, un esprit allemand : ce sera l’œuvre de Frédéric II, le Roi de Prusse (1740-1786), l'homme sans qui nul renouveau n'eût été possible.
     
     
    En visitant pour la première fois Lübeck avec toute ma famille, en juillet 1968, nous sommes allés voir ces sublimes églises de briques rouges, où chante l'âme luthérienne, et d'où semble encore poindre la musique de Buxtehude. Les murs de l'une d'entre elles étaient percés de trous d'obus. Seconde Guerre mondiale, avais-je demandé au guide : "Oui, je crois bien. A moins que ce ne soient les Suédois, au moment de la Guerre de Trente Ans".
     
    Une marge d'erreur de trois siècles ! Mais la béance, au coeur de murs, était toujours là. Comme un rappel du destin allemand, tragique et muet, à la recherche d'un fil invisible. Comme dans Wagner. Comme dans les Contes de Grimm. Comme dans "Deutschland, bleiche Mutter", l'éblouissant poème de Brecht. Quelle mère ? Et quel enfantement ? Pour quel destin ?
     
     
    Pascal Décaillet