Sur le vif - Samedi 15.02.20 - 17.01h
Kaspar Villiger est, avec Jean-Pascal Delamuraz et Adolf Ogi, le conseiller fédéral que j'ai fréquenté au plus près dans mes années à Berne.
Je suis quasiment "monté" au Palais fédéral, comme journaliste, en même temps que lui comme conseiller fédéral. J'ai suivi, avec une rare proximité, l'ensemble des dossiers concernant la politique suisse de sécurité, ayant appartenu, pendant toute l'année 1990, à la Commission Schoch, chargée de plancher sur la réforme de l'armée. Une Commission extra-parlementaire, dans laquelle nous avons mené une trentaine de journées de réflexion, chaque fois décentralisées dans un lieu différent du pays.
Je disais souvent, dans mes commentaires, il y a trente ans déjà, que de facto, notre neutralité n'était qu'une apparence. On parlait, à Berne, en haut lieu, de collaboration active avec l'OTAN : pour un pays prétendument neutre, c'était tout de même assez énorme. Le mur de Berlin venait de tomber, la pensée unique capitaliste et atlantiste commençait à déferler sur l'Europe, sans le moindre contrepoids en face, l'URSS s'étant elle-même écroulée en 1991.
Bref, ce rapprochement avec l'OTAN, je le combattais dans mes éditos. Car l'OTAN, ça n'est plus la neutralité. Pas plus que feu le Pacte de Varsovie n'eût été la neutralité. Personnellement, ayant passé pas mal de temps en Allemagne, et connu sa partie orientale, ayant surtout étudié à fond l'Histoire de la Seconde Guerre mondiale, je n'ai jamais considéré que l'impérialisme américain fût plus reluisant que celui des Soviétiques. Donc pour moi, l'OTAN, c'était non. Et ça le demeure, trente ans après, plus que jamais.
J'en viens à l'essentiel, qui m'amène à prendre la plume : Kaspar Villiger. Je veux dire ici que cet homme, dans un monde bernois qui n'était - déjà à l'époque - pas avare en pleutreries politiques, a représenté pour moi, avec Delamuraz, le prototype de l'homme intègre. Un homme d'Etat, au sens plein du terme. J'étais en désaccord avec lui sur le moindre rapprochement avec l'OTAN, mais il était un conseiller fédéral remarquable, dans l'ordre du pragmatisme, de l'intelligence et de l'écoute. Il avait le sens de l'Etat, le sens des intérêts supérieurs de la Suisse, comme Delamuraz. C'était l'époque où être radical, à Berne, au plus haut niveau de ce grand vieux parti qui a fait la Suisse, ça voulait encore dire quelque chose de fort, de puissant.
Alors, voilà. J'ignore évidemment quelle connaissance Kaspar Villiger avait pu avoir, à l'époque, de cette affaire d'espionnage, très grave en effet, qui resurgit. La vérité, bien sûr, doit sortir. Mais je dis ici, très fort, qu'il me paraît a priori un peu facile de tomber à bras raccourcis sur le conseiller fédéral lucernois, sans avoir auparavant acquis une connaissance intime et profonde du dossier.
Nul, certes, n'est intouchable. Et la vérité historique, toujours, doit prévaloir. Mais la première des présomptions, dans un Etat de droit, est celle de l'innocence. Cet homme de rigueur, limite austérité parfois, que j'ai vu au travail pendant des années, et qui fut un grand serviteur de la Suisse, mérite tout au moins cette prudence et ce respect, dans la manière d'empoigner le dossier.
Quant à l'essentiel, le fond, soit le rôle des services secrets américains - ET ALLEMANDS - en Europe, depuis la chute du Mur, je suis le premier à les dénoncer depuis trente ans. Pendant toute la décennie des années 90, celle des Guerres balkaniques, je n'ai jamais rien fait d'autre. Au milieu d'un espace éditorial romand dont les plus puissants penseurs se montraient totalement acquis à la prédominance atlantiste sur notre continent. Et ne voyaient que du feu dans le rôle des services secrets américains - ET ALLEMANDS - dans le démembrement dûment prémédité de l'ex-Yougoslavie. C'est dire si je suis le premier à souhaiter transparence et vérité sur cette affaire d'espionnage.
Pascal Décaillet