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  • L'âme perdue des pies voleuses

     

    Sur le vif - Mardi 29.10.19 - 09.41h

     

    A lire la presse, on dirait que l'UDC mord la poussière, et que les Verts disposent de tous les leviers du pouvoir pour quatre ans.

    La réalité est exactement contraire : les Verts n'auront, entre 2019 et 2023, que 28 députés sur 200 au National. Seuls, ils ne peuvent rien. L'UDC, en revanche, malgré la campagne d'Apocalypse de cet automne, demeure de très loin le premier parti sous la Coupole fédérale, avec deux fois plus d'élus que les Verts. Beaucoup plus proche de la majorité des 101, si le PLR et la partie non-gauchisante du PDC daignent, de temps à autre, laisser au vestiaire leur mimétisme climatique, et construire des majorités de droite.

    On attend ces alliances, notamment, sur les questions financières et fiscales, et, bien sûr, sur les innombrables taxes que l'idéologie Verte ne manquera pas de nous inventer.

    A tête froide, les Verts peuvent donc être mis systématiquement en minorité. Pour cela, il faut que les partis de droite retrouvent leurs fondamentaux. Protection de l'environnement oui ; taxes contre la classe moyenne, non.

    Si le PLR et le PDC, qui sont au fond les personnages principaux de la prochaine législature, passent quatre ans, pour plaire à la mode ambiante et à l'esprit du temps, à faire les Verts comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, donc à se comporter comme des pies voleuses dans le nid des partis adverses, alors ils auront tout perdu : le soutien de la classe moyenne, et aussi cet invisible, cet indicible, cette part d'intime et d'irrationnel, qui s'appelle leurs âmes.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • De la perspective, SVP !

     

    Sur le vif - Lundi 28.10.19 - 14.39h

     

    Prenez les flashes ou journaux RTS, dont je suis, dès l'aube, un fidèle auditeur : le thème du Brexit y est obsessionnel. A longueur de journées, on nous parle de l'interminable saga du Royaume-Uni et de l'Union européenne. Sortira, sortira pas, sortira quand ?

    Depuis 2016, je m'inscris en faux contre cette hyper-couverture. Certes, ça n'est pas la RTS qui a créé la complexité du Brexit, mais enfin rien ne l'oblige à se calquer sur les moindres tressautements de l'affaire.

    Cela me rappelle les flashes sur la Guerre du Vietnam, lors de mon enfance, dans les années 60. C'était, je crois, l'ATS qui donnait encore ses "bulletins" horaires : passionné de radio, je les écoutais tous.

    Eh bien j'étais extraordinairement fâché, à neuf, dix ou onze ans, contre l'aspect fragmentaire de ces informations. Voici pourquoi : le principe d'un flash horaire est de commencer par donner les nouveaux éléments, ce qui est très bien en soi, quitte à rappeler, juste après, les antécédents. Et la nouvelle, on la met en tête, fort bien.

    J'affirme ici que, dans mon enfance, j'en étais venu (sans comprendre pourquoi) à détester ce mode d'informer. Outre qu'il se calquait, dans 90 % des cas (mais cela, je ne le savais pas encore), sur les communiqués de propagande de l'armée américaine, en vertu de cette loi sacrée de la "toute dernière nouvelle", il se bornait à nous indiquer des opérations militaires purement tactiques, "telle attaque vient d'avoir lieu à tel endroit, il y aurait tant de morts", toutes choses qui ne pouvaient satisfaire mes oreilles d'enfant.

    J'en avais parlé à mes parents : "Mais enfin, que se passe-t-il au Vietnam, quels sont les enjeux, pourquoi les Américains sont-ils là-bas ?". Ils m'avaient fort bien répondu, du mieux qu'ils pouvaient, me rappelant que l'affaire était complexe, qu'il y avait déjà eu la Guerre d'Indochine, avec les Français, entre 1946 et 1954, etc. Je leur suis infiniment reconnaissant de ce moment. L'une des premières fois où nous nous sommes assis en famille, pour prendre un peu de recul, tenter d'éclairer (avec des moyens bien limités !) une situation politique.

    En clair, mes parents avaient fait un bien meilleur boulot que les super-pros de l'ATS, avec leurs nouvelles construites sur les événement de la dernière heure. Bien sûr, les explications de mes parents ne valaient pas la biographie de Hô Chi Minh par Jean Lacouture, lue des décennies plus tard, mais nous avions tenté, ensemble, une perspective. Lorsque, quelques années plus tard, au milieu des années 70, j'ai lu en grec la Guerre du Péloponnèse, de Thucydide (Cinquième siècle avant JC), j'ai compris à quel point l'Histoire était affaire de causes et de conséquences, de dévoilement des intentions réelles, de décryptage du langage.

    Retour au Brexit, et aux flashes RTS. Ce qui compte, dans l'affaire, ce ne sont pas les soubresauts. Mais l'essentiel : la complexité millénaire de la relation entre le Royaume-Uni et le continent européen. Cela exige du recul. Cela impose l'Histoire. La référence à de longs siècles de guerres, d'alliances, de mésalliances. A cette aune-là, on se rendra assez vite compte que la question de l'arrimage, ou non, de la Perfide Albion dans une structure continentale de l'Europe, est au fond assez périphérique, en comparaison d'autres paramètres : montée inexorable de la puissance allemande depuis Frédéric II de Prusse (1740-1786), axe franco-allemand, Ostpolitik de l'Allemagne, présence de l'OTAN dans les Balkans, etc.

    A cet égard, on aurait pu, juste ce matin, parler un peu moins des énièmes aléas du Brexit. Et beaucoup plus de la Thuringe, Ou, au hasard, de l'Ombrie. Excellente journée à tous.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Thuringe : les leçons d'un scrutin

     

    Sur le vif - Lundi 28.10.19 - 05.33h

     

    Avec quelque 24% des voix pour l'AfD et plus de 29% pour Die Linke (gauche radicale), le Land de Thuringe écrit une nouvelle page dans l'Histoire politique de l'Allemagne. La CDU, parti de la Chancelière Merkel, est complètement larguée. Et devient une formation de second plan.

    J'expliquais ici même, avant-hier, les raisons de l'immense colère sociale, confinant parfois au désespoir, dans ce Land de l'ex-DDR, riche d'une culture et d'une Histoire incomparables, que j'ai la chance de bien connaître. Nous sommes sur les terres de Martin Luther, de Jean-Sébastien Bach, des mille feux de Weimar.

    À chaque élection régionale, c'est le même scénario : les deux partis qui ont fait l'Allemagne de l'après-guerre, CDU/CSU (le parti de Konrad Adenauer) et SPD (le parti de Willy Brandt), disparaissent un peu plus dans le paysage politique. Au contraire, une droite plus nationale et une gauche plus radicale émergent, chaque fois plus haut.

    La nouvelle donne politique des Allemagnes, c'est cela. Cette montée inexorable de fronts plus tranchés nous ramène dans une situation beaucoup plus proche de 1919 que des années de quiétude politique de l'après-guerre, lorsqu'il fallait filer doux.

    À partir de là, rien de plus spécieux, rien de plus ridicule, que de crier au populisme, brandir les années trente, prendre les Allemands de haut parce qu'ils voteraient mal. Les habitants du Land de Thuringe n'ont de leçons à recevoir de personne. Ce sont eux qui souffrent de la politique de Mme Merkel, eux qui n'ont ni emploi, ni avenir, ni la protection sociale des années DDR, dont les aînés ont la nostalgie. Ce sont eux qui ont subi de plein fouet les effets de la politique migratoire de l'automne 2015. Eux qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts.

    Mais ces gens de la Thuringe, je les connais. Même chez les plus déshérités, demeure un trésor, intime et partagé : l'appartenance à la communauté allemande, la Gemeinschaft. Il leur reste la patrie. Et cela, nulle politique ultra-libérale, nul capitalisme brutalement importé de l'Ouest, nulle déchirure de la cohésion sociale ne pourra le leur ôter.

    Au pays de Luther et de Bach, il existe d'autres valeurs que celles du marché. Il existe la puissance du verbe, et celle de l'esprit. Les Allemagnes ont connu la Guerre des Paysans, le Sac du Palatinat, la destruction totale du pays en 1648 (Guerre de Trente Ans), puis celle de 1945. Mais dans l'ordre du verbe et celui de l'esprit, elles n'ont jamais capitulé.

    Cette nouvelle donne, à chaque élection régionale, tentons de la comprendre en profondeur, plutôt que la juger à l'emporte-pièce. Pour cela, il faut lire et se renseigner. Cela prend des années, des décennies. Cela occupe une vie. Les enjeux de la connaissance passent par le sacrifice du temps et l'énergie de l'esprit.

     

    Pascal Décaillet