Sur le vif - Lundi 30.09.19 - 12.53h
Il y a des moments, dans la vie, comme des chocs de lumière. Ainsi, l'apparition de Daniel Barenboim, sur le coup de 12.37h, à Saint-Sulpice, lors de la cérémonie d'adieux à Jacques Chirac. L'incomparable musicien s'est mis au piano. Et il a joué. L'Impromptu Op.142 no 2, en la bémol majeur, de Franz Schubert.
Immense émotion, parce que c'est Barenboim. Et parce que c'est pour Chirac. Parce que c'était lui, parce que c'était l'autre. D'abord, Daniel Barenboim, né en Argentine il y a bientôt 77 ans, est l'un des plus grands musiciens de notre temps. Un surdoué, dont la connaissance du répertoire est quasiment inégalable.
Mais toute cette virtuosité, aussi éclatante soit-elle, ne vaudrait rien si Barenboim n'était, par le coeur et l'esprit, l'un des humains les plus ouverts, les plus éclairés, parmi nos contemporains.
Le voyant surgir dans la nef, s'approcher du clavier, devant le cercueil d'un Président qui avait su porter très haut l'ambition d'une politique fraternelle de la France au Proche-Orient et dans le monde arabe, comment ne pas se souvenir de tout ce que, dans cet ordre, Barenboim lui-même a réalisé ?
Car l'homme capable de jouer par coeur toutes les sonates du monde, de diriger le Ring, de nous éblouir de tous les éclats de son génie, est avant tout un homme de coeur. Il a fondé un orchestre israélo-palestinien. Il a plaidé pour un Etat de Palestine. Au milieu d'un monde en guerre perpétuelle depuis 1948, il répond au tragique de l'Histoire par la lumière de la musique. Et par la reconnaissance de l'autre, ci-devant ennemi, comme frère en humanité. Il ne dit pas que les guerres s'arrêteront. Il dit que chaque humain en vaut un autre.
Devant la mort, en cette Église Saint-Sulpice, il fallait la majesté de la musique. Voyant poindre Barenboim à quelques mètres du corps inanimé de Jacques Chirac, nous avons vu naître des étincelles de lumière. Et pensé à ces tout derniers mots des Mémoires de Guerre, "la lueur de l'espérance".
Pascal Décaillet