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  • Un communisme ontologiquement allemand (1918-1989)

     

    Sur le vif - Samedi 31.08.19 - 16.50h

     

    N'oublions jamais que le communisme allemand, celui qui fut au pouvoir en DDR de 1949 à 1989, n'est en rien un communisme d'importation soviétique. Le régime communiste a certes a été mis en place sous pression de l'occupant soviétique. Mais ses fondements intellectuels et historiques, et jusqu'aux hommes qui occupèrent les premières places, tout cela est à chercher dans l'Histoire d'un communisme proprement allemand, celui de la Révolution du 9 novembre 1918, celui des Ligues spartakistes, celui des opposants au Troisième Reich, tout cela est allemand, et ne doit strictement rien à la lecture de Marx dans les pays slaves.

    Et puis, quoi ? Le Rhénan Karl Marx, natif de Trêves, rédacteur en chef de la Rheinische Zeitung, lecteur des philosophes allemands, observateur critique du capitalisme rhénan, n'était, à ma connaissance, ni russe, ni polonais, ni tchèque. Les communistes allemands n'ont pas la même Histoire que les communistes français, ni surtout la même que les communistes russes. Ce sont les hommes de cette filiation, profondément allemande, que l'on retrouve en novembre 1918, dans les premiers mois de 1919, dans les camps du Troisième Reich (certains d'entre eux y furent internés pendant la totalité des douze ans), puis aux affaires, à Berlin-Est, en 1949.

    Il existe donc, bel et bien, un communisme de nature proprement allemande, enraciné dans la pensée politique allemande. Tout comme il existe, séparé du socialisme dès le Congrès de Tours (1920), un communisme ontologiquement français, celui qu'on retrouvera au Front populaire (1936), dans la Résistance, à la Libération (1944), puis dans le premier gouvernement Maurois (1981).

    Attention, donc, de ne pas immédiatement tenir les communismes européens (on pourrait parler de la Grèce, de la Yougoslavie, de l'Italie, de l'Espagne) pour des branches d'un communisme soviétique. S'ils furent inféodés, via le Komintern et les Internationales, c'était pour des questions de logistique et de rapports de forces. Si l'on souhaite se pencher sur cette subordination, bien réelle, alors on voudra bien, par symétrie, étudier le lien d'obédience de nos braves partis bourgeois européens, dans l'Après-Guerre, avec les Américains. Tenez, par hasard, le cordon ombilical entre la gentille démocratie chrétienne italienne, à partir de 1945, et les puissances financières de l'Oncle Sam.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Racines prussiennes

     

    Sur le vif - Samedi 31.08.19 - 11.40h

     

    Pas plus qu'on ne comprend les quarante années (1949-1989) d'Allemagne de l'Ouest sans avoir étudié le capitalisme rhénan, on ne comprendra la même période en DDR, sans s'être penché en profondeur sur l'influence de Kant et Hegel sur la pensée politique en Prusse. Le rapport de l'individu à l'Etat, notamment.

    Cela, bien avant 1949 et l'opportunité (imposée par la victoire soviétique à l'Est) d'un régime communiste enfin réel (et non rêvé par les Spartakistes en 1918/1919) sur sol allemand. Cela, bien avant 1933. Cela, bien avant la Révolution du 9 novembre 1919. Cela, à vrai dire, dès le début du 19ème siècle.

    Ne jamais oublier, pour ceux qui s'intéressent à l'Histoire de la Prusse, que tout est parti de l'occupation napoléonienne de ce pays, entre 1806 et 1813. Et d'une puissante résistance nationale, chez les élites, à la présence des troupes françaises. Lire mes épisodes sur Fichte, et ses Discours à la Nation allemande, Université de Berlin, 1807.

    Il est donc particulièrement réducteur de ne voir l'opposition RFA/RDA, entre 1949 et 1989, que comme un antagonisme de Guerre froide entre capitalisme et communisme. C'est le réveil d'une fracture profonde, imposé par la défaite d'étape du 8 mai 1945, entre une Allemagne rhénane, romanisée, et d'autre part un monde saxo-prussien qui s'inscrit dans un autre univers historique, philosophique et culturel.

    N'oublions jamais, enfin, que les racines historiques et affectives de la Prusse ne se situent pas à Berlin, ville récente, mais à Königsberg. Provisoirement renommée Kaliningrad.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • La Prusse, ça existe !

     

    Sur le vif - Vendredi 30.08.19 - 16.13h

     

    De grâce, qu'on cesse de parler de "l'ex-RDA" ! Quand on parle des Länder de l'Ouest, on ne dit jamais "l'ex-RFA". Ces Länder, on les appelle par leurs noms : la Bavière, la Rhénanie du Nord, etc. Dès lors, pourquoi réduire la Prusse et la Saxe, nations fondamentales de plus de mille ans d'identité germanique, au souvenir d'une appartenance de 40 ans (1949-1989) à l'une des deux portions de l'Allemagne coupée en deux ?

    Toujours dire "l'ex-RDA", mais ne jamais dire "l'ex-RFA", c'est laisser entendre que tout le Bien se situait à l'Ouest, paradis du capitalisme de l'occupant américain. Que que tout le mal se nichait à l'Est, dans l'enfer du communisme allié à l'occupant soviétique.

    J'ai connu ces deux Allemagnes. Je les ai aimées. J'y ai longtemps séjourné. J'y ai tant voyagé. J'ai lu les auteurs de la RFA, et aussi ceux de la RDA. J'ai pu admirer l'admirable travail culturel, littéraire et théâtral notamment, qui avait été entrepris à l'Est. J'ai passé des étés à regarder tous les soirs le Journal de la DDR (RDA) : il était certes d'inspiration socialiste. Mais croyez-vous, une seule seconde, que les chaînes d'information de la BRD (RFA) étaient moins imprégnées du libéralisme occidental le plus caricatural ?

    L'Histoire de l'Allemagne, ou plutôt des deux Allemagnes, entre 1949 et 1989, est complexe. Elle exige de la connaissance. Des nuances. Une vie de lectures. Et surtout, je rejet de tout manichéisme.

    Dès lors, ou bien on dit "l'ex-RFA" lorsqu'on parle de la Bavière, et alors OK pour "l'ex-RDA" si on évoque la Thuringe. Ou bien, on dit simplement "la Bavière". Et, tout aussi simplement, "la Saxe". Et on recommence enfin à utiliser, pour le Mecklembourg et le Brandebourg, le seul mot historique qui vaille, bien que banni depuis 74 ans : la Prusse.

     

    Pascal Décaillet