Sur le vif - Vendredi 08.04.11 - 19.50h
Christophe Darbellay le prédit, dans le Grand Oral qui sera diffusé après-demain, dimanche 10 avril (20h sur La Télé et Léman Bleu) : « Leader du plus grand parti du plus grand canton, Blocher sera le conseiller national le mieux élu de Suisse, au soir du dimanche 23 octobre. En revanche, pour les Etats, il n’a aucune chance : il ne pourra qu’atteindre le potentiel électoral maximum de son parti à Zurich, quelque chose comme les 35% d’Ueli Maurer, il y a quelques années ».
Darbellay a raison. Et Blocher le sait. Alors, pourquoi ce combat ? Parce qu’en s’attaquant au Stöckli, les socialistes et l’UDC, qui y sont sous-représentés depuis toujours en raison des modes électoraux, s’en prennent symboliquement à la Chambre qui incarne la Suisse de la raison, de la modération, des passerelles, des recherches de « solutions ». La Chambre où l’on parle assis. Où nul, jamais, ne s’emporte. Dans l’antichambre de laquelle Gilles Petitpierre fumait sa pipe. Ou aucun éclat, ni de verbe ni de geste, n’altère, sous la molasse, la bourgeoise sérénité des lieux.
Le Conseil des Etats, en 1848, a été créé pour compenser la puissance des grands cantons : Zurich a deux élus, Glaris aussi. A la base, une idée de génie, protectrice des minorités, garante du fédéralisme. En ce milieu du dix-neuvième siècle, quelques mois seulement après le Sonderbund, il fallait impérativement ce contrepoids. Il a sauvé la construction du pays. Et sans doute, aujourd’hui, est-il encore nécessaire, même si des réformes de modes électoraux sont souhaitables.
La Chambre de la « recherche des solutions ». La formule provient de l’apothicaire Didier Burkhalter, l’homme qui aime la politique en cercle clos, pour bien doser la recette-miracle. Enfin, disons que c’était sa méthode lorsqu’il était sénateur, parce que là, depuis qu’il est aux affaires, le miracle se fait méchamment attendre. La Chambre des compromis. La Chambre où l’on tente de s’entendre. La Chambre où règnent (jusqu’au 23 octobre, mais sans doute pour quelques années encore) les deux partis historiques qui ont dominé la Suisse du vingtième siècle, les radicaux (je n’arrive pas à m’habituer à la dénomination « PLR »), et, devant eux, le PDC. Le Valais, jusqu’à aujourd’hui, n’a envoyé, depuis 1848, que des PDC (jusqu’à une époque récente, on disait des « conservateurs ») au Conseil des Etats !
Ce que vont tenter les socialistes et l’UDC, c’est de troubler un peu la solide tranquillité de la citadelle. La tâche sera très rude, et sans doute les fruits, au soir du 23 octobre, peu nombreux. Mais la politique est affaire de symboles, Blocher le sait mieux que tout autre. Certains combats doivent être menés. Parce qu’un combattant qui se relâche est déjà mort. En s’attaquant au Stöckli, les partis frontaux donnent un signal. Et prennent date pour l’avenir. Ils nous rappellent aussi qu’un combat se mène debout, souvent dans la rue, avec les mots de tous les jours, avec parfois le ton qui monte, et le style affectif qui se substitue à la rotonde placidité de la rhétorique sénatoriale. C’est cela, cette symbolique-là, qui se joue. D’autres assauts, dans quatre ans, dans huit ans, dans douze, ne manqueront pas. L’Histoire est ouverte.
Pascal Décaillet