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  • Le Discours d’un roi : bouleversant

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    Dimanche 20.02.11 - 10.11h

     

    C’est l’histoire d’un homme qui chemine vers le langage. Syllabe après syllabe. Du silence qui l’étouffe, l’impossibilité de sortir un mot, repartant de zéro, comme un Enfant sauvage, il doit tout réinventer, tout reconquérir.

     

    Oui, j’ai pensé à Truffaut, hier soir, en regardant ce film bouleversant. À Kaspar Hauser aussi, « riche de ses seuls yeux tranquilles ». À tous ces films et tous ces livres qui ont pour objet la langue elle-même, la parole, lorsqu’elle est blessée, accidentée, avortée, et qu’il s’agit, au prix d’un inimaginable effort, de partir à sa recherche. Exercice physique, aventure psychique, l’une des plus belles qui se puissent concevoir.

     

    Que l’homme en question soit duc d’York, qu’il devienne roi d’Angleterre, le 11 décembre 1936, suite aux déboires de son frère Edouard VIII, qu’il fût le papa de l’actuelle reine Elisabeth, tout cela ajoute à la majesté du film et contribue bien sûr à en faire une incroyable machine à Oscars. Mais ça n’est pas cela qui m’a touché. C’est le chemin d’un adulte de 40 ans vers le langage. « Unterwegs zur Sprache », l’un des livres les plus saisissants de Martin Heidegger.

     

    "L'être humain parle, écrit le philosophe allemand. Nous parlons éveillés ; nous parlons en rêve. Nous parlons sans cesse, même quand nous ne proférons aucune parole, et que nous ne faisons qu'écouter ou lire ; nous parlons même si, n'écoutant plus vraiment, ni ne lisant, nous nous adonnons à un travail, ou bien nous abandonnons à ne rien faire ».

     

    L’humain parle, mais le futur Georges VI est bègue. Gravement. Blessures d’enfance, gaucher contrarié, nourrice qui le délaisse, qui sait ? Un événement s’est produit, qui rend impossible à ce prince de sang, deuxième fils du roi Georges V, le moindre discours public. L’apparition d’un micro, et c’est la panique. Son épouse (la future Queen Mum, qui vivra jusqu’à l’âge de 102 ans, en 2002), arrange un rendez-vous discret avec un orthophoniste australien, Lionel Logue. L’histoire de ce film, c’est le frottement de ces deux hommes, leur long, leur difficile chemin vers la réinvention des syllabes. Dire que c’est l’histoire d’une amitié est un trop faible mot. Trop frêle.

     

    Et c’est l’atelier qui révèle la grandeur du film. Le chantier du langage. C’est physique, c’est dur, il faut tout réapprendre, tout ce qui chez l’homme commun semble si naturel. La respiration. Le travail de la mâchoire. Celui de la gorge. Celui du ventre. Si c’est c’est trop dur, trop impossible, alors il faut le dire en chantant. Contact intime de deux hommes. Corps à corps. Il n’y a plus ni prince, ni roture, ni Angleterre, ni Australie. Il n’y a plus que le chemin commun vers le langage. On se demande si logopédiste n’est pas le plus beau métier du monde, avec celui de maman, ou d’instituteur en maternelle. Avant que d’incarner des idées, le mot est syllabes, et chaque syllabe est un travail physique du corps humain.

     

    Il est dit quelque part que le Verbe s’est fait Chair. C’est possible. Dans ce film, c’est la réciproque qui se vérifie. La Parole s’incarne-t-elle en nous ? La Parole absente peut-elle se retrouver ? Au prix de quelle magie, de quelle aventure de l’âme ? Le discours final du roi, dans le film, nous suggère une piste de réponse. J’irai plusieurs fois revoir ce film, qui pose l’énigme du Verbe avec la majesté d’ouverture des grandes histoires.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Le Discours d’un roi. Réalisé par Tom Hooper.

    Avec, entre autres, Colin Firth, Helena Bonham Carter, Derek Jacobi.

     

  • Quand s’épient les queues-de-pie

     

    Epigrammes à 3 grammes - Samedi 19.02.11 - 17.50h


    L’excellent Rolin Wavre, secrétaire général des radicaux genevois, me racontait l’autre matin, devant un café, son expérience de délégué du CICR au Rwanda, quelques années après l’horreur du génocide, dont « on sentait encore partout la trace ». Au Rwanda, explique-t-il, tout le monde s’épie. Tout le monde sait ce que fait son voisin. Et le note.

     

    A coup sûr, cette expérience douloureuse a dû être enrichissante. Et ô combien préparatrice pour entraîner l’ancien humanitaire à gérer les rapports actuels, à Genève, entre libéraux et radicaux.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La police genevoise et la clarté d’Euclide

     

    Sur le vif - Vendredi 18.02.11 - 19.21h

     

    Certains de mes jeunes confrères, très gouvernementaux, instruisent à charge le procès de la police en déclarant « incompréhensible » le mouvement de grogne des gendarmes genevois. Je ne partage pas leur point de vue.

     

    Au plus haut niveau politique, que fait-on ? Du marketing. De Beaumarchais à Guillaume Apollinaire, de Figaro en Phénix, on nous vend des opérations-miracles comme de la poudre de perlimpinpin. Délogés d’ici, les délinquants émigrent là. Comme chats et souris, on se déloge. Dans la foulée, on déplace le problème.

     

    Les policiers genevois font un travail remarquable. Dans des conditions de plus en plus difficiles. Sur Phénix, le chantier de réorganisation de leur corps, que doivent-ils penser lorsqu’ils voient leur ministre, personne au demeurant fort respectable, articuler des mots qui semblent jaillir des lèvres d’un souffleur : « Zustand », « Sollzustand », « processus itératif » ?

     

    Iter. Le chemin. Euclide : la droite. Le plus court chemin d’un point à un autre, quand on émet un message, n’est-il pas celui de la maîtrise de la pensée et de la cristalline clarté du verbe ?

     

    Pascal Décaillet