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  • La mort, l’oignon

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Jeudi 27.05.10

     

    A part pour ceux qui perdent un proche ou qui pèlent un oignon, je n’ai jamais supporté les pleureurs. A part dans le soleil noir d’un cimetière sicilien, ou peut-être dans quelque vers d’Eschyle, je n’ai jamais supporté les pleureuses. C’est ainsi. C’est mon côté intolérant. Monstrueux.

     

    Mais, s’il est un domaine dans lequel j’abhorre l’exhibition des larmes – même celles de Mendès France dans les bras de Mitterrand – c’est bien la politique. Dans ce domaine, que j’observe un peu, on se bat, on gagne, on perd, on meurt, on se relève. C’est le jeu. Le rituel. On prend des coups. On en donne. Mais on ne pleure pas.

     

    A la Constituante, mardi soir, que s’est-il passé ? La droite et le MCG, dans une manœuvre habile mais qui n’a rien d’illégal, ont constitué ce qu’on appelle en politique une majorité. Et ils ont gagné. C’est dur, sans doute, pour les partisans du droit au logement et de quinze mille droits disparates. Mais c’est la règle.

     

    Je conçois que les perdants en soient fâchés. Aigris. Ulcérés. Napalmisés de colère. Ivres de vengeance. Tout ce que vous voulez. Mais pleurnicher contre les méchants vainqueurs, non. Et puis, il leur restera toujours une ressource : proposer un amendement sur le droit aux larmes. Loin de la mort. Loin des oignons. Là-bas, dans un autre monde. Plus doux.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

  • Patrick Ferla: un choix porteur d'espoir

     

    La nomination de Patrick Ferla, hier, à la présidence du Salon du Livre, est une bonne nouvelle pour tous ceux qui aiment cet objet tellement précieux qui accompagne nos vies. Je connais Patrick Ferla depuis longtemps : c’est un homme qui aime profondément le livre, et encore plus les auteurs. Il sait les écouter, les mettre en valeur, il a fait le choix, toute sa vie, de l’exigence au service du plus grand nombre. Non pas le discours circulaire, en huis clos, de type « chaîne culturelle destinée aux seuls initiés », mais la culture, sans l’avilir ni la travestir, à destination du plus grand nombre. Sur le seul type de chaînes, en radio, qui vaillent : les chaînes généralistes.

     

    Fondateur et infatigable défenseur du Salon, Pierre-Marcel Favre a beaucoup fait pour le livre. Avec son métier à lui, celui d’éditeur, sa connaissance des choses commerciales, son esprit d’entreprise. Avec Ferla, tout en maintenant le réseau, c’est l’espoir d’un affinage qualitatif qui émerge. Au fond, il ne faut pas que mon confrère ne devienne autre chose que ce qu’il est : un passeur. Davantage que son prédécesseur, il pourrait, par quelques signaux d’évolution, accentuer le respect et la mise en valeur des auteurs. J’ai toujours trouvé un peu déprimant, depuis vingt ans, de voir des gens de l’envergure de Chessex, devant une pile de leurs derniers romans, s’ennuyant à attendre le quidam qui voudrait bien venir discuter avec eux. Au Salon, les stands sont trop empilés de façon indifférenciée, comme alignés au cordeau : l’écriture mérite mieux.

     

    Autour des auteurs (ne sont-ils pas, eux, les véritables « héros des temps modernes », pour paraphraser Péguy), n’y aurait-il pas une scénographie plus subtile à organiser ? N’y a-t-il pas une meilleure visibilité à leur donner ? Enfin, je crois relayer un sentiment général en appelant à un peu moins de stands n’ayant strictement rien à voir avec le monde des livres, ni même avec celui de la culture. Propagande religieuse, voire sectaire, gnangnans alternatifs en sandales, tiers-mondistes picoreurs de petites graines, marchands du temple, trucs et ficelles, trocs et combines. Bref, le bordel.

     

    Après un homme d’affaires avisé (il en fallait un, pour lancer la machine), il est heureux que survienne un transmetteur de sensibilités. Ne devenir que ce qu’il est, c’est le défi de Patrick Ferla.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

  • Le droit au logement n’existe pas

     

     

    Sur le vif - Mercredi 27.05.10 - 10.29h

     

    Hier, la Constituante genevoise a franchi un cap. De sympathique amicale de causeurs et de ratiocineurs, elle est devenue ce qu’elle doit être : le point de rencontre d’antagonismes dialectiques, le lieu où s’affrontent les rapports de forces. C’est un peu plus dur, un peu moins sympa, moins convivial. Mais cela existe : cela s’appelle la politique. Se tutoyer à la buvette, ça va un moment, mais ça n’est pas pour cela prioritairement que le peuple envoie les gens représenter ses idées.

     

    Hier, la gauche a fait ce qu’il ne faut jamais faire : elle a quitté la salle. Elle a pleurniché. Elle a larmoyé. Ce matin, elle dénonce la méchante majorité droite-MCG qui a fait passer le très méchant amendement de l’ignoble Patrick-Etienne Dimier, supprimant d’un coup 14 propositions de commission. Ah, les mauvaises gens, qui ont eu l’outrecuidance de se mettre ensemble pour constituer une majorité !

     

    Eh oui, la droite et le MCG, cela constitue une majorité. C’est valable à la Constituante comme dans d’autres assemblées, d’ailleurs. Autant le Grand Conseil genevois, version 2009-2013, que (dans une moindre mesure) la Constituante sont dominés par des majorités de droite, qui ne proviennent nullement du droit divin, mais du seul souverain qui vaille, le peuple. Qu’hier, cette majorité-là se soit regroupée pour éliminer un excessif fatras de « droits » allant dans tous les sens, est peut-être de nature à faire pleurer la gauche, mais ne constitue strictement rien de scélérat ni de putschiste.

     

    Ce que la gauche de cette assemblée paie, c’est sa profusion à vouloir édicter des « droits » tous azimuts : droit au logement (lobby de l’Asloca), droit à une allocation, droit à un salaire, droit à un territoire aménagé, il y en a même qui parlent du droit à la santé ! Une vision du monde d’enfants gâtés, assistés, attendant tout de la maternelle bienveillance d’un Etat Providence, protecteur, un Etat cocon qui leur sourirait en leur rappelant leurs « droits ». Et des générations d’enfants grandiraient dans la suprême béatitude de cette communauté humaine où ils pourraient se prévaloir de tous les droits du monde. Et où l'on ne parlerait jamais des devoirs, de l’extrême difficulté de la vie, du combat pour s’imposer, toutes choses considérées comme archaïques, ancestrales, des reliquats de ces temps noirs où existait la violence.

     

    Hier, la droite de la Constituante s’est souvenue qu’elle existait. Dans un coup bien préparé, mais parfaitement légal, elle a sifflé la fin d’une récréation consensuelle, où l’on s’écoute parler davantage qu’on ne construit des projets solides. C’est impopulaire, mais il faut le dire : il n’y a pas plus de « droit au logement », sur cette terre, que de droit à quoi que ce soit. Il y a les droits de l’homme, oui, qui sont une grande chose, mais dont tout le monde sait qu’ils ne sont jamais acquis. Pendant que vous lisez ces lignes, sur toute la terre, on les bafoue, on torture, on tue. Ces droits-là, oui, méritent toute la force de nos combats. Mais le « droit au logement », pur produit de l’idéologie Asloca qui entend maintenir (par la reconquête) son espèce de droit permanent à siéger au Conseil d’Etat, non. C’est un intérêt sectoriel parmi d’autres. Mais ça n’a rien à voir avec la Charte fondamentale d’une République.

     

    Pascal Décaillet