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  • « Je le vis, je rougis… »

     

    Tribune de Genève - Jeudi 25.06.09

     

    Ce soir, ou au plus tard demain matin, nous devrions savoir si Pierre Maudet, 31 ans, jeune prodige de la politique en Suisse romande, se porte ou non candidat au Conseil fédéral. Cette décision, plus que toute autre, lui appartient.

    Etrange, tout de même ce début de campagne où les plus bavards ne sont pas toujours les plus importants, où les ténors se taisent, et où l’acuité du cri des chérubins vient percer nos oreilles. Etrange, oui, cette marmoréenne attitude :  « ceux qui comptent » se drapent de silence, en préparant la seconde si jouissivement nuptiale de l’aveu. C’est Phèdre qui se penche vers Oenone, les mots irrévocables : « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue… ».

    Pourquoi ce cirque, au fond ? En quoi Mme Brunschwig Graf, MM Broulis, Pelli, Darbellay devraient-ils à tout prix nous faire suer d’impatience, le temps d’un été de mutisme, avant de nous délivrer l’oracle ? François Longchamp, Pierre Maudet, eux, auront au moins tranché, dans un sens ou dans l’autre, avant l’été. Il y a là un respect du public.

    Pour le reste, il est souvent d’usage, fin juin, en se quittant, d’offrir quelques livres. Alors, disons, pour Darbellay, « La grande peur dans la montagne », où l’homme ira mûrir sa décision. Et, pour Pelli, ce petit chef-d’œuvre de fouet, de sadisme et de confiture de la très regrettée Comtesse de Ségur : « Les vacances ».

     

    Pascal Décaillet

     

  • Filles de l’or

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    Tribune de Genève - Lundi 22.06.09

     

    Mon premier passage sur l’Acropole date de 1966. Long voyage, familial, qui nous avait conduits jusqu’à Beyrouth et Damas. Coup de foudre pour la Grèce. Cinq ans plus tard, début d’une longue initiation à cette langue. Vertige. Et, depuis ce week-end, émotion : c’est un architecte suisse qui a conçu le tout nouveau Musée de l’Acropole, Bernard Tschumi.

    La trace de la Grèce ne se ramène de loin pas au seul culte de la raison. Il y a autant de récits, de folie, de fulgurances d’irrationnel, dans cette littérature-là. Et les « filles des nombres d’or » de Valéry, de quelle mathématique d’ombre surgissent-elles ? Clarté d’une équation, ou nuit d’encre de l’énigme ?

    Alors, retournons tous sur l’Acropole. Ou plutôt, dans le ventre de la Grèce d’aujourd’hui. Avec ses sources et ses pollutions, la colère de sa jeunesse, la rigueur de ses montagnes. Et, s’il faut retenir un poète, je vous supplie d’ouvrir Georges Séféris (1900-1971), eh oui un Grec moderne : lisez les « Six nuits sur l’Acropole », son seul roman. Epoustouflant.

    A ceux d’entre vous qui ont la chance d’aller en Grèce, cet été, je dirai bien sûr d’aller voir l’œuvre de Tschumi. Et puis, de vous laisser vivre. Avec ou sans Pindare. Avec juste le vent. Et ces syllabes de myrrhe ou d’encens, juste colportées, ce grec moderne à vos oreilles, à la fois même et autre, comme une permanence. Face à la mortelle déraison du silence.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • T’es Latin, coco ?

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    Série "Dis Papa, c'est encore loin, le 16 septembre?" - Dimanche 21.06.09 - 09.15h

    Ils n’ont plus que ce mot-là : « Latin ». Ils ne disent pas « Romand », mais « Latin ». Ils pourraient ajouter « noiraud », « sémillant », « conduisant vite, à l’instinct », « adepte du tango », « amant jaloux ». Tout cela, condensé en un mot : « Latin ».

    Voilà donc, l’espace d’une vacance, la Suisse coupée en deux : les Teutons et les Latins. On voudrait la belgiciser (avec l’éclatant succès qu’on sait), on ne s’y prendrait pas autrement. Le procès qu’on vient d’intenter au Singinois Schwaller, procès en non-latinité, n’est pas loin de rappeler les très riches heures de l’Inquisition contre les sorcières, voire certaines quêtes de « certificat » des années noires.

    À lire la presse orangée dominicale, ce matin, c’est le délire. Ils montent tous au créneau, le poignard ethnique entre les dents. Oh, que les deux meilleurs candidats se trouvent être des Latins, je n’en disconviens pas, ayant déjà esquissé le vivifiant intérêt d’une finale de chefs, en septembre, la finale de rêve entre Fulvio Pelli et Christophe Darbellay. Mais enfin, ça n’est en aucun cas parce qu’ils sont Latins. J’évite, en principe, de pratiquer la prise de sang avant de délivrer une appréciation sur la valeur d’un politique.

    Dès lors, lorsque tous les cadres d’un groupe de presse romand en viennent à plaider à l’unisson, et avec quelle fureur, pour qu’un fils de la Louve, et nul autre, ethniquement attesté, remplace aux affaires l’Imperator d’Octodure, on viendrait presque à se demander si le rachat récent de leur groupe par les Zurichois n’aurait pas provoqué en eux comme un surmoi d’urticaire. Mais cette question, nous ne la poserons pas. Nous la laisserons juste flotter, au fil de l’eau. Comme portée par une voile latine. Dans la douceur de sa dérive.

    Pascal Décaillet