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  • François Longchamp et ses Bulletins de la Grande Armée

     

    Il n’est pas question ici de mettre en doute la bonne volonté de François Longchamp dans sa lutte contre le chômage à Genève. Ni non plus, encore qu’il convienne d’en discuter, la pertinence de ses choix politiques. Mais il y a un problème avec les chiffres. La manière de les présenter. L’impossibilité de reconnaître, en le disant clairement, avant toute chose, que Genève est lanterne rouge nationale.

    Alors, on prend le réel, et on lui tord un peu le cou : on inonde les communiqués – et chaque prise de parole officielle, dûment instillée à tout locuteur agréé, notamment les chefs de service – du fait que « le chômage progresse moins à Genève qu’en moyenne suisse ». C’est sans doute vrai. Mais reste que le chiffre absolu, celui qu’on retiendra au final, ce sont les 7,4% (selon Anne Emery-Torracinta ; 6,6% selon François Longchamp, nous ne trancherons pas dans ce différend) de lanterne rouge nationale.

    Alors, déni ou simple enjolivement ? Perfectionnisme de trop bon élève qu’insupporte, comme un miasme, l’idée même de mauvais résultat ? Difficile de ne pas voir, dans ce rapport aux chiffres, le savant travail de corsetage du discours par le président du Conseil d’Etat genevois et sa très efficace Garde noire. Bonaparte, c’est vrai, avait lui aussi, dès la campagne d’Italie, les célèbres « Bulletins de la Grande Armée », où nul rappel de propagande n’était laissé au hasard. Mais lui, au moins, jour après jour, remportait des victoires.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Bonny and Clyde

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 29.03.10

     

    Bon voilà, on aurait peut-être préféré Faye Dunaway et Warren Beatty, mais au final ce sera Bonny (Didier) face à l’ignoble Clyde Barrow, l’irruption des trottoirs de Buenos Aires dans le marais très centriste de la démocratie-chrétienne genevoise. Clyde, c’est Chevrolet, le Moa qui se joue des Mao, moitié tonga, moitié tango : le très sage Bonny avait tout prévu, sauf le fou. Un destin décidément contraire lui aura sorti le fou.

     

    Bonny, parfaite forme physique, pas un gramme de trop, directeur d’école primaire, 14 ans de Municipal, passage-éclair au Grand Conseil, veste sur mesure (du cousu main) le 11 octobre, c’est la solution sage. Il ne froisse personne, s’entend tellement bien avec la gauche, adore Sandrine Salerno, tellement chrétien, tellement social, que François Gillet, en comparaison, pourrait passer pour un noir d’Entremont, une sorte de Rembarre, grognard, grognon.

     

    L’autre, le fou, qui fantasme l’érection de mille tours, roule à mort pour l’immobilier, affiche un appétit de conquête qui n’a d’égal que son appétit tout court, c’est l’anti-Bonny. Et Bonny, c’est l’anti-pampa. Heureux parti qui aura à trancher, en avril, dans l’un des binômes les plus suavement biscornus depuis les très regrettés Stan Laurel et Oliver Hardy. Celui qui croyait au ciel. Celui qui y croyait aussi. Reste à ajuster l’échelle. Bonne chance, Bonny. Bonne chance, Clyde.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

  • Bach, Buxtehude : une magnifique réussite de Daniel Künzi

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    D’abord, il y a la musique. Celle de Dietrich Buxtehude (1637-1707), considéré à son époque comme le plus grand musicien allemand. Musique jouée au piano (instrument que Buxtehude n’aura jamais connu) par un extraordinaire interprète luxembourgeois, Francesco Tristano Schlimé, né en 1981. Ce que donne à voir « Bach rencontre Buxtehude », c’est principalement cela : un jeune pianiste d’aujourd’hui qui nous interprète Buxtehude. Cela dure une heure et trois minutes. Cela nous habite et nous emporte. Cela nous transporte. Magie.

     

    En 1705, Jean-Sébastien Bach, qui a déjà perdu son père et sa mère, a vingt ans. Il a déjà vécu à Eisenach (sa ville natale), Ohrdruf et Lüneburg, il travaille depuis deux ans comme organiste à l’église Saint-Boniface d’Arnstadt, près de Weimar. A l’automne de cette année-là, il décide de parcourir 400 kilomètres à pied pour se rendre à Lübeck, près de la mer Baltique, où réside Buxtehude. Ce voyage, ce séjour, nous sont connus par les Mémoires d’Anna Margareta, la fille de Buxtehude, qui voit débarquer chez elle, un beau jour, ce solide marcheur « plus affamé de musique que de pain ». Les trois mois que Bach passera auprès du maître influenceront autant le vieux musicien, pour les deux années qui lui resteront à vivre, que le futur Cantor de Leipzig. Au point qu’à son retour (également à pied !) à Arnstadt, Jean-Sébastien se fera sonner les cloches par ses paroissiens, qui ne reconnaissent plus sa manière de jouer.

     

    Le petit miracle du film de Künzi (je l’ai vu au Bio de Carouge, que je continue d’appeler le Bio 72), c’est l’intensité des mains et du visage de notre pianiste d’aujourd’hui lorsqu’il laisse venir à lui la musique. On imagine le jeune Bach, on regarde ses cheveux longs en pensant à la célèbre perruque du maître. Et, pour ceux qui, comme votre serviteur, ont eu le bonheur de visiter Weimar et Lübeck, et de vivre un été entier (1972) à Lüneburg, on se retrouve comme plongé dans ces églises de briques rouges d’où naquit, à l’époque baroque, l’incomparable musique. Allemagne du Nord, austère, luthérienne, hanséatique sur les confins de la Baltique, entre Elbe et Weser, là où les hivers sont longs et où rugit la lande.

     

    Il y a aussi Marthe Keller, en voix off, comme récitante. Il y a Julie Nicolet, en furtives apparitions, dans le rôle d’une journaliste qui s’en va retrouver le manuscrit d’Anna Margareta. Il y a le spectateur qui se demande si cette dernière n’est pas, tout de même, tombée un peu amoureuse du jeune génie de vingt ans qui passa l’hiver avec son père. Un certain jour de l'été 1750, elle apprend, par un entrefilet dans le journal local, que Jean-Sébastien Bach est mort.

     

    Entrefilet, oui. Il faudra attendre Mendelssohn, comme on sait, pour faire sortir de l’oubli la Passion selon Saint Matthieu, en l’église Saint Thomas de Leipzig, un beau jour de 1829.

     

    Magnifique film que celui de Daniel Künzi, sobre, entièrement tourné  vers la musique. A voir, très vite.

     

    Pascal Décaillet