Liberté - Page 89
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Strauss-Hofmannsthal : la 33ème galaxie
Sur le vif - Lundi 27.11.23 - 15.12hIl est très clair que le Rosenkavalier de Richard Strauss (1864-1949), programmé en décembre, constitue à mes yeux le sommet de la Saison lyrique au Grand Théâtre. Le moment musical que je guette le plus, depuis Elektra.Richard Strauss a conduit la voix humaine, celle des femmes notamment, là où nul, même Wagner, peut-être même Mozart, ne l'avait encore élevée. On pense aux monologues d'Elektra, entre autres. La première fois que j'ai entendu un opéra de lui, à l'âge de 13 ans, j'ai été saisi, physiquement, par une force époustouflante. Un souffle de l'âme, surgi de la matérialité du corps. Quelque chose comme le feu.Je fréquente Richard Strauss depuis le début de l'adolescence. Mais il m'a fallu attendre l'âge de 18 ans pour rencontrer Hugo von Hofmannsthal (1874-1929), l'auteur du livret (comme celui d'Elektra, de Die Frau ohne Schatten, de Ariadne aux Naxos), bref le génial écrivain viennois qui formera, avec le Munichois Strauss, le plus exceptionnel couple librettiste-compositeur de l'Histoire de la musique. On pense à Mozart - Da Ponte, Berg - Wedekind, et surtout Brecht - Kurt Weill. Duos magiques, fusion de génies.L'homme qui m'a initié à Hofmannsthal, c'est Bernhard Böschenstein (1931-2019). Sans lui, sans cet incomparable passeur, je serais sans doute demeuré à l'écart de la langue si subtile de l'auteur du Rosenkavalier.Sans Richard Strauss, Hofmannsthal serait resté comme l'un des plus grands auteurs de la Vienne austro-hongroise. Mais il ne serait connu, au fond, que par les germanistes.Avec Strauss, il accède à l'universel. Porté par l'une des musiques les plus puissantes jamais composées par un humain, Hofmannsthal nous plonge dans la 33ème galaxie. Celle dont nul ne revient.Pascal Décaillet -
Berset à Kiev : la visite de trop
Sur le vif - Samedi 25.11.23 - 08.12hOn apprend à l’instant qu’ Alain Berset est à Kiev. « Visite d’Etat préparée en secret ».Ce déplacement est un absolu scandale. Après la visite marketing de Macron, où deux Présidents se sont pavanés en se tutoyant, et rien d’autre de concret, voici la diplomatie du coup de pub. Points de vue et images du monde. Nul doute que la presse dominicale nous livrera demain photos et récits, très riches heures du voyage, à la manière du duc de Berry.À quoi rime ce voyage ? Qui a autorisé Berset à organiser cette visite d’Etat ? Le Parlement a-t-il été informé du projet ? Le bling bling Berset engage toute la Suisse, son peuple, ses citoyens, son image internationale, dans une aventure de pure promotion personnelle. On va dire bonjour au gentil de Kiev, juste pour récolter l’adoubement béat des bien-pensants.La diplomatie suisse est une catastrophe. Le ministre des Affaires étrangères compromet notre neutralité, dans l’affaire ukrainienne comme dans celle du Proche-Orient. Et un Président sur le départ multiplie les coups d’éclat, juste pour faire parler de lui et se mettre en avant.Pascal Décaillet -
Les Verts : une défaite amplement méritée !
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 22.11.23
Depuis de longues années, dans ce journal et ailleurs, je livre une analyse sévère et sans concessions de l’action politique des Verts. Ce regard critique, je l’ai exercé, sans faillir, du temps de leur splendeur. Nous n’étions pas beaucoup, dans la presse romande, à refuser de nous pâmer devant la vague Verte, refuser de reprendre leurs mots, leurs mantras, leur liturgie, refuser d’encenser leurs grandes figures. Il fallait, partout dans la société suisse, adhérer à la grande secte de ceux qui parlent Vert, pensent Vert, disent « climat » dans chaque phrase, et « transition » toutes les trente secondes. Oui, nous sommes quelques-uns à avoir dit non. Nous nous sommes dérobés à la prière. Nous avons décliné la génuflexion. Nous avons renoncé à l’obédience. A ce parti que tous encensaient, nous disions nos quatre vérités.
Et maintenant ? Au lendemain de la défaite sans précédent qu’ils ont essuyée aux élections fédérales, nous n’enfoncerons par le clou. Le peuple genevois, le peuple suisse, ont tranché. Au niveau fédéral, ce parti n’atteint même pas les 10% sous la Coupole, à Berne : moins d’un votant suisse sur dix a voté pour les Verts ! Nous pourrions en faire un slogan. Nous saurons nous en abstenir. Maintes fois, nous avons soutenu, ici et ailleurs, des positions éditoriales minoritaires dans la caste des journalistes, maintes fois le peuple et les cantons nous ont donné raison, comme ce 9 février 2014, sur l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse. Dont on attend toujours, au passage, un embryon de mise en oeuvre. Alors oui, seul contre tous, nous savons l’être. Les attaques, les pressions, ne nous font pas peur.
Reste l’analyse de la défaite. Les Verts sont des gens intelligents. Il leur appartient de mener le débriefing. Cette catharsis interne est leur affaire, pas la nôtre. Tout au plus, en passant, mentionnerons-nous l’absolue nécessité de s’interroger sur les origines philosophiques de ce parti, passionnantes d’ailleurs, complexes, décentralisées, plus proches de la pensée libertaire (on pourrait remonter à Fourier) que des programmes politique articulés sur l’Etat, comme le sont ceux des radicaux et des socialistes. Au point qu’on peut se demander si les Verts, en Suisse comme ailleurs (ne parlons pas de la France, où le pataquès les rend illisibles) ont vraiment vocation à être un parti politique, au sens traditionnel. On les sent plus proches de l’effervescence associative, des groupements communautaristes. L’Etat n’est guère leur affaire, ils sont sociétaux. C’est une tradition. Elle n’est pas la mienne. Elle n’est pas celle, non plus, de plus 90% de nos compatriotes, au niveau fédéral. Voyez, on peut être minoritaire dans sa profession, dans le milieu des chroniqueurs ou éditorialistes, et parfaitement majoritaire dans le peuple suisse. Laissons donc les Verts tirer, entre eux, les leçons de leur Waterloo électoral. Et tournons-nous vers les authentiques préoccupations de nos concitoyens : la fin du mois, avant la fin du monde.
Pascal Décaillet