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Liberté - Page 87

  • Maria Callas : la vie, oui la vie

     
    Sur le vif - Samedi 02.12.23 - 17.09h
     
     
    Pourquoi Maria Callas nous parle ? Pourquoi nous touche-t-elle, au point de remuer nos propres viscères, nos mémoires, nos nostalgies ? Pourquoi elle, plus qu'une autre ? Pourquoi elle, plus que l'exceptionnelle Renata Tebaldi ? Pourquoi Callas, plus qu'une bonne vingtaine de cantatrices inoubliables, ces cent dernières années ? Pourquoi Callas, plus que l'incroyable Sabine Devieilhe, aujourd'hui ?
     
    Pourquoi Callas, pourquoi ce mythe ? Ce chant venu si tôt, dans son enfance, pour la tirer d'un roman familial complexe. Ce travail acharné, dès le plus jeune âge, sur la voix, le souffle, la dramaturgie, l'expression. Cette mémoire musicale hors-normes, elle entend un extrait d'opéra, sur un disque, elle le reprend immédiatement, de tête, tout est gravé.
     
    Il faut juger la musique sur le son, pas sur le visuel. Il faut donc entrer dans Callas par le disque. La voix du siècle ? On se dispute depuis toujours sur la question, on nous avance avec raison tel fragment de Tebaldi, Birgit Nilsson, et plein d'autres, sublimes. On ajoute que la différence, chez Callas, réside dans la puissance d'interprétation, l'identification.
     
    Laissons le visuel. Laissons la star. Déplorons la totale vacuité des questions dans la plupart de ses interviews, presque toutes à côté de l'essentiel : pourquoi la voix, pourquoi le chant, pourquoi le sacrifice de toute une vie à un art qui dévore, comme Médée tue ses enfants ? Pourquoi le rôle ? Pourquoi se prendre pour une autre, le cri d'une autre, l'extase d'une autre, l'agonie d'une autre, la vie et la mort d'une autre ? Pourquoi s'arracher à elle-même, sa vie déjà n'était pas simple, elle aurait pu s'occuper d'elle, non ?
     
    Elle ne s'est pas occupée d'elle-même. Elle a fui sa propre vie, elle s'est extirpée à la banalité, elle a incarné, incorporé, transformé l'intérieur d'un corps dont elle a tant exigé, être la meilleure, la plus précise, la plus juste, la plus émouvante. Elle a tyrannisé sa propre existence pour parvenir à ce degré de perfection. Inhumaine envers elle-même, pour porter un rôle à son sommet d'humanité.
     
    Elle fut la star du siècle, mais cela n'importe pas. D'abord, elle ne fut pas, elle est. Elle n'est pas morte, ce jour de septembre 1977. Elle vit. Star, non pour ses robes, ses bijoux, l'éclat de ses apparats. Non, star, parce qu'elle nous illumine, chacun de nous, dans les recoins les plus sombres, les plus glacés, de nos propres existences. Elle nous transcende, par sa voix. Par le travail de tout son corps. Par la lente, la méticuleuse, la jouissive montée en puissance vers la note la plus folle. Peut-être pas la plus aiguë, qu'importent les degrés. Non, la note à laquelle seul peut succéder le silence. La mort. Donc, la vie. Ailleurs, ou peut-être ici même. Mais enfin, la vie.
     
    La vie, oui. La vie.
     
    Pascal Décaillet
     

  • Conseil fédéral : les deux maillons faibles doivent partir

     
    Sur le vif - Vendredi 01.12.23 - 09.01h
     
     
    A part, peut-être, Mme Keller-Sutter et M. Rösti, c'est un changement complet du Conseil fédéral qu'il faudrait, le 13 décembre prochain.
     
    Passons sur Mme Amherd, qui laisse l'OTAN mettre la main sur les cadres de son Département.
     
    Passons sur M. Parmelin. Oui vraiment, passons.
     
    Restent les deux qui doivent absolument partir : Mme Baume-Schneider, nulle dans la gestion de l'asile, et M. Cassis, le plus catastrophique ministre des Affaires étrangères depuis la guerre.
     
    Je tire la sonnette d'alarme depuis des mois. M. Cassis est sûrement un homme intelligent, cultivé, aimable. Mais il n'est pas à sa place pour diriger la diplomatie suisse. Il doit, tout au moins, changer de Département.
     
    Dans l'affaire ukrainienne, il a bradé la neutralité suisse, en se jetant avec une obédience inimaginable dans toutes les "sanctions" possibles et imaginables contre la Russie, dictées par l'Oncle Sam. Il a donc grillé toutes les chances de notre pays d'être un lieu de négociations pour la paix. Ce qui est notre mission, notre honneur, notre vocation.
     
    Dans l'affaire du Proche-Orient, ses sympathies pour l'un des camps, depuis des années, donc bien avant le 7 octobre 2023, pulvérisent, là aussi, toutes les chances de la Suisse de devenir un jour un hôte de négociations. La Suisse est une amie d'Israël, et c'est tant mieux, mais elle doit, tout autant, avoir une politique arabe, connaître ce monde complexe, passionnant. M. Cassis ne s'intéresse pas au monde arabe. Ni aux racines historiques de la cause palestinienne. Il est atlantiste, pro-Israël, Punkt Schluss.
     
    Hélas, le 13 décembre, le nouveau Parlement reconduira les actuels conseillers fédéraux. Les nouveaux parlementaires viennent d'arriver, peuvent se permettre un coup de sac, ils en ont même le devoir. Mais ils ne le feront pas. Parce que le pouvoir appartient aux partis. Notamment aux ineffables, et beaucoup trop puissants, "groupes" aux Chambres fédérales. Ce sont eux, leurs machineries, qui font et défont les rois. J'en ai vécues, des "Nuits des longs couteaux", la veille de l'élection, sur place, jusqu'au milieu de la nuit. Je la connais, la musique. Je sais comment les choses se passent.
     
    Heureux pays, au fond. Il accorde si peu d'importance à ses gouvernants qu'il les maintient en place, quel que soit le mérite de chacun, sa valeur, sa vertu, au sens latin, pas victorien.
     
    Pour la gestion des tempêtes, on garde l'équipage des beaux jours. Pour les routes glacées, on conserve les pneus d'été.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Henry Kissinger : mort d'un géant

     
    Sur le vif - Jeudi 30.11.23 - 08.43h
     
     
    Un jour ensoleillé de 1999, alors que je faisais un jogging dans les parcs de mon quartier, ceux déjà de mon enfance, j'avais croisé Henry Kissinger avec Guy Mettan, devant la Perle du lac. Telle est la souriante perversité du monde : vous voulez vous en extraire, il vous rejoint. Je m'étais quand même dit "Sacré Guy !", en tentant de reprendre mon souffle.
     
    Henry Kissinger, qui vient de s'éteindre à Kent (USA) à l'âge de cent ans, six mois et deux jours, est l'homme, sous Nixon (69-74), qui a fait passer la diplomatie américaine de l'ère des bureaux feutrés à celle du marketing trans-galactique. Il était partout, on ne voyait que lui, il passait sa vie à descendre les escaliers d'un avion, partout sur la planète. Le premier qui ait su vendre la diplomatie comme des savonnettes.
     
    Le destin de cet homme brillant mérite d'être étudié dès sa naissance à Fürth, en 1923. Dans une Bavière en effervescence, marquée au fer rouge par la Révolution allemande (1918-1923), les luttes au couteau entre Spartakistes et Corps francs, la République des Conseils, la tentative de putsch de Hitler à Munich, le 9 novembre. L'homme qui vient de s'éteindre, un siècle après, venait de là, de ce contexte ! Issu d'une famille juive, il quitte l'Allemagne en 1938, l'année de la Nuit de Cristal, autre 9 novembre. Il devient citoyen américain, participe comme interprète, dans les renseignements, à la fin de la guerre, accumule les diplômes, devient prof de Sciences politiques, donne déjà des conseils à Kennedy.
     
    Mais c'est un autre homme, le Républicain Richard Nixon, qui fera de Kissinger le diplomate le plus connu du monde. D'abord, dès 69, comme Conseiller à la sécurité nationale, puis, dès le second mandat de 73, comme Secrétaire d'Etat. Brillante diplomatie, comme jamais : ouverture à l'Union soviétique, avec les premiers pas de la détente, ouverture à la Chine, préparation du voyage de Nixon à Pékin (qui donnera lieu à un magnifique opéra de John Adams), politique active au Proche-Orient, dialogue avec toutes les parties en conflit (eh oui, toutes, M. Cassis !). Revers de la médaille, la politique en Amérique latine : soutien actif des Etats-Unis au putsch de Pinochet contre Allende au Chili (11 septembre 1973), assurément la plus grande zone d'ombre de l'ère Kissinger, qui porte une responsabilité personnelle écrasante dans l'affaire.
     
    Mais enfin, c'était l'époque où les Etats-Unis d'Amérique avaient une grande diplomatie. Sur le fond, elle était cynique, bismarckienne, fondée sur les rapports der forces, bref tout ce que doit être une politique étrangère. Sur la forme, elle était moderne, éternellement souriante, ouverte, polyglotte, jaillissante, surprenante. Tel était cet homme d'exception, remarquablement intelligent, mais n'oubliant jamais qu'il faisait son tour de piste, non au service de la planète, mais des intérêts fondamentaux de son pays. C'est exactement cela, la diplomatie, lisez les biographies de Bismarck, à commencer par celle de Lothar Gall.
     
    Le plus grand diplomate américain du vingtième siècle meurt, clin d’œil dévastateur, alors qu'on chercherait en vain, sous Biden, une quelconque cohérence dans la politique étrangère américaine. Pas de dialogue avec le monde arabe. Glaciation des rapports avec la Russie. Jeu de dupes avec la Chine. Malgré ses aspects noirs (le Chili), Kissinger nous manque déjà. Par sa culture. Sa vision. Son destin personnel, fuir une Allemagne mortifère pour les siens, se tourner vers l'Amérique. Ah tiens, lisez Kafka, Amerika, première page, arrivée à New York, travelling à la Cassavettes (Gloria) sur la ville aux gratte-ciels. Fuir l'écorce terrestre. Pour la folie salvatrice de la verticalité.
     
     
    Pascal Décaillet