Liberté - Page 84
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Christian Grobet (1941-2023) : un homme d'Etat
Sur le vif - Lundi 18.12.23 - 14.25hChristian Grobet, qui vient de nous quitter à l'âge de 82 ans, était l'un des très rares politiques que j'ai connus à mériter le nom d'homme d'Etat. Il y avait lui, il y avait Delamuraz, il y avait Furgler, il y avait Tschudi. Pour ne prendre que la Suisse, bien sûr.J'ai fait la connaissance du député socialiste Grobet il y a 45 ans. Le Journal de Genève, pour lequel je rédigeais des piges à côté de l'Uni, m'avait envoyé couvrir un débat politique, un soir, dans un bistrot des Pâquis. Il y avait Grobet. Il m'avait impressionné par sa précision, sa ténacité, son sens du concret.Trois ans plus tard, en 1981, il accédait, pour douze ans, au Conseil d'Etat. C'est dire que pendant quatre ans, il y eut Chavanne et lui, dans la même équipe. Je n'ai jamais été socialiste, mais j'ai toujours admiré ce vieux parti de notre Histoire politique suisse, quand il combat pour la justice sociale, ce qui est tout de même son ADN. Je suis moins sensible, on le sait, à la dimension sociétale, plus récente, moins populaire à mes yeux.Au Journal de Genève, dès le milieu des années 80, on m'envoyait couvrir les projets de grands chantiers. Une "conférence de presse" de Christian Grobet, en ces années-là, c'était monter dans son bureau, quatre ou cinq journalistes, guère plus, au sixième ou septième étage de la rue David-Dufour. Grobet dépliait une carte de chantier, et nous expliquait ce qu'il comptait faire ! C'est tout. Par chance, j'avais appris, enfant, à lire une telle carte : mon père était ingénieur en génie civil, je l'ai suivi tant de fois sur les chantiers.Grobet, un homme d'Etat, pourquoi ? Il était socialiste, et diablement ancré. Mais je vous jure que, toute sa vie, il a agi au nom de l'intérêt supérieur des habitants du Canton, ou tout au moins ce qu'il se figurait tel, et non en fonction de préférences partisanes.Un homme d'Etat, pourquoi ? Jamais, de toute ma vie, je n'ai entendu cet homme parler d'autre chose que de l'objet politique même qui l'occupait, et justifiait notre rencontre, pour une interview. Il était un torturé du sujet, il traitait le thème et rien d'autre, il agissait en bâtisseur, au service de Genève.Un homme d'Etat, pourquoi ? Les années 80 étaient, à Genève, de grande puissance libérale, surtout dans les milieux immobiliers. Grobet, avec son jacobinisme volontariste, était au fond un homme très seul. Sans un caractère inflexible, celui du plus grand combattant qu'il m'ait été donné de connaître en politique, il n'aurait jamais pu s'imposer. Il fut contesté, vilipendé (notamment par ma si chère et si talentueuse consoeur Françoise Buffat, hélas elle aussi disparue), mais nul ne contestait son envergure.Christian Grobet respirait l'Etat. Il était en altitude d'Etat. Il était un homme de devoir et de rectitude, un guerrier d'un courage indépassable. Je n'ai pas connu Willy Brandt, ni Pierre Mendès France. Mais Grobet était de cette trempe-là. Puisse Genève se souvenir de lui comme l'un de ses serviteurs les plus ardents, les plus méritants.A son épouse, sa famille, ses proches, ma plus vive sympathie.Pascal Décaillet -
Verts : la fin de l'arrogance
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 13.12.23
A la majorité sans appel de 10 voix contre 5, la Commission de l’environnement et de l’agriculture du Grand Conseil a refusé, jeudi 7 décembre, d’entrer en matière sur la loi sur le climat, proposée par le Conseil d’Etat. La décision de la Commission est parfaitement démocratique. C’est un vote des élus du peuple, un vote du Premier pouvoir, le Grand Conseil, qui devra évidemment être avalisé par le plénum.
Ce vote, le Conseil d’Etat n’a pas à le qualifier. Il doit en prendre acte. Les pouvoirs sont séparés. Le Grand Conseil n’a strictement aucun compte à rendre au gouvernement. Il a justement pour mission de le contrôler. Dans ces conditions, le communiqué du Département, qui s’est empressé de suivre l’annonce de la décision de la Commission, vendredi 8 décembre en milieu de journée, pour la démolir, constitue un scandale. Décidément, certains de nos ministres ne sont pas encore sortis de l’autoritarisme des dernières années, favorisé par la crise du Covid.
Quant aux Verts, ils semblent ne pas avoir compris que leur empire sur les consciences allait se rétrécissant. Aux dernières élections fédérales, le 22 octobre, moins d’un Suisse sur dix a voté pour les Verts. A Genève, ils ont perdu un siège au National, et un siège aux Etats. Il va quand même falloir qu’ils se résolvent à un changement de ton. Le temps de l’arrogance Verte est terminé.
Pascal Décaillet
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DIP : Anne Hiltpold mérite d'être soutenue !
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 13.12.23
André Chavanne, Dominique Föllmi, Martine Brunschwig-Graf, Charles Beer, Anne Emery-Torracinta : en 62 ans (1961-2023), le Département de l’Instruction publique (DIP) n’aura eu à sa tête que cinq magistrats. Il est vrai que le premier d’entre eux avait passé 24 ans au pouvoir ! Aujourd’hui, avec toutes les pressions sur la charge, une telle longévité serait strictement impossible. Après dix ans, donc deux mandats, un conseiller d’Etat est usé, laminé. Le pouvoir vous travaille de l’intérieur, il vous corrode, il vous rouille l’âme, il vous démantibule l’enthousiasme. Surtout, il vous isole. Il vous livre aux courtisans. Il vous ôte le sourire. Il vous ride. Il plombe vos années. Vous le quittez, tout s’écroule. Les faux amis s’éclipsent. Pour vivre tout ça, il faut du cran.
Sous Chavanne, c’était quand même plus calme. Quasiment jamais de conférence de presse, très peu de communiqués, aucun compte à rendre aux médias, pas de TV locale, pas de producteur de Genève à Chaud qui vous emmerde, pas de fouineurs qui vous balancent des scoops sur vos dysfonctionnements, pas de séances du Grand Conseil transmises en direct. Des syndicats autrement plus calmes que ceux d’aujourd’hui. Alors oui, si on avait le coffre (Chavanne l’avait, c’est sûr !), on pouvait tenir 24 ans. Et passer dire bonsoir, dans les bistrots.
Aujourd’hui, voici Anne Hiltpold. Depuis le 1er juin, elle a repris le flambeau. On la dit PLR, je dis « radicale », c’est l’un des plus beaux mots de la politique suisse, il ramène au grand vieux parti qui, depuis 1848, a construit notre pays. La tâche de cette nouvelle magistrate, intelligente et pragmatique, est immense. Elle ne peut se permettre d’échouer, elle le sait. Les dernières années de la magistrate antérieure ont été très difficiles, lestées par des affaires. Anne Hiltpold doit, avant tout, restaurer la confiance. Cet impératif, qui est de l’ordre du Contrat social, prime sur tous les autres. On verra bien ce qu’elle réussira sectoriellement, comme par exemple cette bonne idée des duos d’adultes dans les deux premières années primaires. Elle aura des succès, elle aura des revers. Mais l’essentiel, c’est la confiance.
Une magistrate pragmatique. C’est d’une importance centrale. En matière scolaire, le temps des idéologies est révolu. Il faut aider nos jeunes, de toutes nos forces, à affronter un monde sacrément plus difficile qu’à mon époque. Ce monde, il ne faut pas en avoir peur, ni passer ses journées à regretter les temps anciens. Il faut forger des outils. Transmettre les connaissances, les compétences. Ouvrir des horizons. Enthousiasmer. En ce stade initial de son mandat, il faut soutenir la nouvelle conseillère d’Etat. Cela ne signifie pas être d’accord avec toutes ses propositions, nous verrons bien. Mais construire avec elle la confiance. Le DIP, c’est l’avenir de nos enfants, ou petits-enfants. Nul n’a intérêt à son échec. Aimons l’école. Aimons la connaissance. Elle est, de très loin, la première de nos richesses.
Pascal Décaillet