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Liberté - Page 868

  • Quelques questions autour de la Pologne

     

    Sur le vif - Vendredi 13.01.17 - 16.47h

     

    En lecture historique et stratégique des événements, il ne faut pas trop écouter ce que racontent les politiques, mais juger de l'état des forces, l'état du terrain. Suite à la décision américaine, hier, de déployer des blindés en Pologne, quelques remarques s'imposent :

     

    1) Barack Obama sait parfaitement que les quelques blindés américains ne seraient d'aucun poids, en cas de conflit conventionnel, face aux divisions russes bien implantées dans la région, depuis l'hiver 1944-1945. Il ne faut pas s'imaginer que ces divisions ont disparu. Les Russes connaissent parfaitement le terrain, depuis au moins deux siècles, les Américains pas du tout.

     

    2) Il existe une autre nation qui "connaît le terrain". Elle est aussi voisine de la Pologne, de l'autre côté, et s'appelle l'Allemagne. De nos jours, elle ne manifeste assurément aucune intention belliqueuse sur ses Marches orientales. Mais demain ? Après-demain ? Dans cinquante ans, cent ans? Depuis des années, j'écris que la question des frontières orientales de l'Allemagne n'est pas réglée.

     

    3) Cette nation, l'Allemagne, est très doucement, très discrètement, sans faire le moindre bruit, depuis 1989, en train de se réarmer. Aujourd'hui, cela se fait encore dans le cadre de l'OTAN. Mais combien de temps "l'OTAN" va-t-elle tenir en Europe ? Le Président américain élu, Donald Trump, qui entre en fonction dans une semaine, multiplie les signes de repli et de rapatriement de tout ce qui a été engagé militairement sur le continent européen, depuis le 6 juin 1944.

     

    4) Le jour où, par hypothèse, les Américains auraient quitté le continent européen, l'ensemble des armements lourds patiemment créés par les Allemands, de façon redoublée depuis 1989, dans le domaine des blindés, de l'aviation et même (tout récemment) de la Kriegsmarine (3 bâtiments, flambant neufs, commandés, dans l'indifférence générale, l'automne dernier), tout cela restera à disposition, sur le terrain européen. A disposition de qui ? Non plus de "l'OTAN", mais de l'Allemagne. La bonne vieille puissance militaire allemande, entamée sous Frédéric II, poursuivie sans relâche par Bismarck, par le Troisième Reich, et... par la Bundeswehr, sous couvert de participation aux forces atlantiques. Remarquable continuité, que la terrible défaite de 1945 a moins touchée qu'on ne pourrait croire. Avec quel matériel pensez-vous que la petite Bundeswehr, autorisée par le Grundgesetz (Loi fondamentale) de 1949, a commencé à se reconstruire ? Réponse : avec celui de la Wehrmacht, de même que l'encadrement en a été confié aux officiers de cette dernière, y compris d'anciens officiers supérieurs et généraux de la Waffen SS. Pourquoi ces réalités-là, parfaitement connues des historiens, ne sont-elles pas enseignées dans les écoles ?

     

    5) Là où Obama joue avec le feu, outre qu'il offre un cadeau empoisonné à son successeur, c'est qu'il accentue inutilement une tension géostratégique sur une ligne de front qui n'est autre qu'une poudrière. Il vient y semer l'esprit de guerre, alors que les Américains pourraient être amenés à se retirer, dans les années qui viennent, du théâtre d'opérations européen. Mais la tension restera. Et un autre acteur stratégique majeur, totalement invisible aujourd'hui dans l'opinion publique, demeurera. Première puissance économique d'Europe. Première puissance démographique. Et bientôt (cela dépend de la France), première puissance militaire. Cette Allemagne, je le réaffirme, est aujourd'hui un grand État démocratique, dépourvu d'intentions de guerre sur ses frontières orientales. Mais dans cinquante ans, cent ans ? Comment va évoluer, par exemple, sa cohésion sociale interne, élément capital depuis Bismarck ?

     

    Lorsque les Américains se seront retirés d'Europe (si cela se produit), la situation d'avant 1945 se décongèlera. Et nous pourrions bien retrouver, sur notre vieux continent, des lignes de front beaucoup plus classiques - comme nous les avons retrouvées dans les Balkans, entre 1991 et 1999 - que la lecture manichéenne de la Guerre froide, avec un monde coupé en deux, les gentils d'un côté, les méchants de l'autre. L'Histoire est coriace, férocement. Je vous invite donc tous à vous renseigner au maximum sur l'état des forces, la nature du terrain, les antécédents historiques, sur la question polonaise. Une poudrière, oui, à deux pas de chez nous.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Loin, les sondages !

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    Commentaire publié dans GHI - 11.01.17

     

    Ils nous ont annoncé l’élection de Jospin en 1995, puis à nouveau celle de Jospin en 2002, puis la victoire de Juppé aux primaires de la droite en 2016, sans compter celle – éclatante – de Mme Clinton à la présidentielle américaine. Ou encore, la défaite du Brexit, le 23 juin 2016. En Suisse, ils n’ont rien vu venir lors du vote du 9 février 2014, sur l’immigration de masse. Brillants, les sondages politiques.

     

    Brillants, et surtout totalement inutiles. Juste bons à faire vivre les instituts qui les sécrètent, et les médias qui passent des partenariats avec eux. De plus en plus à côté de la plaque. Décalés, face au réel. « Cela n’est qu’une photographie de l’instant », s’excusent-ils. Mais diable, qui d’entre nous a besoin de la moindre de ces « photographies » ?

     

    Je plaide ici pour une interdiction des sondages politiques en période de votations ou d’élections, en Suisse. Nous n’avons nulle nécessité de ces projections, au demeurant de plus en plus fausses. Dans notre démocratie, le seul sondage qui vaille, c’est celui, grandeur nature, du jour de l’élection, ou de la votation. Le reste, c’est du vent. Du brassage.

     

    Citoyennes et citoyens, constituant ensemble le souverain de notre pays, nous n’avons nul besoin de ces « photographies » intermédiaires de campagne. Nous avons besoin de connaître les dossiers. Débattre, entre nous, et pourquoi pas avec vivacité. Nous engueuler, fraternellement. Et prendre acte, ensemble, du résultat, un beau dimanche. Le reste, c’est de l’intox. Nous n’en voulons pas.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Obama danse comme un dieu - Et alors ?

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 11.01.17

     

    Le 20 janvier, s’achèveront huit années de l’Histoire américaine. Dans la traditionnelle cérémonie de passation de pouvoirs, Donald Trump succédera à Barack Obama. Au moment du bilan du Président sortant, il est particulièrement savoureux de se remettre à parcourir le chœur d’éloges et de dithyrambes de nos puissants éditorialistes, au moment de sa première élection, en novembre 2008. Un Messie nous était donné. La face du monde allait changer de couleur. Un avenir radieux nous était promis. Un monde nouveau, enfin débarrassé du tragique de l’Histoire.

     

    Le résultat, on le connaît : M. Obama a fait ce qu’il a pu. Il n’a peut-être pas été un mauvais Président, le pire ayant sans doute été atteint par son prédécesseur. Mais enfin, il faut le dire haut et fort, il n’a pas non plus été bon. Sur la scène internationale, entre prudence et attentisme, on a surtout eu l’impression d’un homme soucieux, avant tout, de ne pas trop prendre de risques, pour ménager son image face à l’Histoire. Sur le théâtre du Proche Orient, notamment syrien, l’inaction de M. Obama s’est révélée tragique. Il ne faut pas s’étonner, dans ces conditions, que l’autre grande puissance mondiale, la Russie, soit devenue arbitre et souveraine en cette partie du monde.

     

    Bref, un Président moyen. Dont l’Histoire jugera les bons et les mauvais aspects. Le problème, ça n’est pas tellement M. Obama : il a fait son possible. Mais des journalistes professionnels, des éditorialistes, des commentateurs de l’action politique, des gens dont la qualité première doit être l’esprit critique, ou la distance face à l’image fabriquée par le pouvoir, qui, pendant huit ans, et jusqu’à aujourd’hui, sont à ce point tombés dans le piège de l’icône. En Suisse romande, les penseurs les plus autorisés de la presse lausannoise, encore le 8 janvier dans le Matin dimanche, nous annoncent que nous allons « regretter » M. Obama. Ah bon, pourquoi ? Mais parce qu’il est beau, pardi, élégant, félin, magnifique danseur. Rend-on hommage à Fred Astaire, ou à un homme politique ?

     

    Surtout, c’est quoi, cette manière d’analyser l’action d’un politique ? Sommes-nous dans Gala ? Dans Points de vue et images du monde ? Dans un magazine pour salons de coiffure ? La moindre des choses, quand on prétend commenter la politique, c’est justement de se méfier de l’image. Démonter le mécanisme de création d’une idole. Avec tout ce qu’elle peut avoir d’enrobant, d’édulcorant, d’anesthésiant. Lire, dans le Matin dimanche, la politologue Nicole Bacharan, s’extasier face au « trot » du président, sa « souplesse », sa « classe sexy » quand il descend d’avion, mais où sommes-nous ? Dans quelle presse, quel journal ? Quid de l’Ukraine ? Quid de la Syrie ? Quid de ses lacunes en politique internationale ? Quid de l’endettement abyssal des États-Unis, pour longtemps débiteurs des banques chinoises ? Consœurs, confrères, de grâce, un minimum de sens critique : la pâmoison face au danseur félidé, laissons cela aux groupies.

     

    Pascal Décaillet