Liberté - Page 187
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Tout pouvoir est menteur
Sur le vif - Jeudi 09.03.23 - 16.01hLa propagande politique, ça passe par des mots. Celui qui impose son vocabulaire a déjà gagné la partie.Ainsi, "pacifier". Ce sont les Verts qui, les premiers, ont lancé ce verbe : "pacifier" le centre-ville, "pacifier" la ceinture urbaine, etc.D'abord, le poids de l'Histoire. J'ignore si les Verts la connaissent, mais moi oui, alors j'y viens. Le mot "pacifier" a été, pendant toute l'époque coloniale, un euphémisme éhonté pour couvrir une réalité, qui était le contraire même de son sens : "pacifier" l'Algérie, c'était conduire des opérations de guerre particulièrement sanglantes. "Pacifier" l’Aurès, la Kabylie, c'était traquer le FLN, dans une guérilla sans merci.Au Maroc aussi, on a "pacifié", notamment en 1925, lorsqu'on a envoyé le Maréchal Pétain, 69 ans, régler l'affaire du Rif, à la place de Lyautey. En Afrique occidentale, en Afrique équatoriale, dans le Tonkin, en Cochinchine, on a "pacifié". Pour faire passer l'opération dans l'opinion publique en Métropole, on lui balançait un euphémisme, une hallucinante édulcoration du réel.Bref, nos amis Verts auraient pu réfléchir un peu, il y a quelques années, lorsqu'ils ont lancé ce verbe. Les mots ont un poids, une Histoire, des vibrations, des résonances. On ne balance pas n'importe lequel, sans conséquences.Aujourd'hui, c'est M. Dal Busco qui utilise le verbe "pacifier". C'est un homme cultivé, il connaît l'Histoire. Lui aussi, aurait pu réfléchir un peu. N'importe quel esprit au parfum de l'Histoire récente du monde, et notamment de cet immense travestissement du sens que fut la colonisation, freine ses ardeurs avant d'utiliser certains vocables.Aujourd'hui, Dieu merci, on ne tue plus. Mais on distille la propagande, tous le font. "Pacifier", en langage Vert, ou en plagiat dalbusquien, ça veut juste dire "faire triompher nos thèses", en les couvrant sous un mot doux. "Pacifier", en 2023, ça veut dire éradiquer implacablement la voiture du centre-ville.Je ne reproche pas aux Verts d'avoir leurs thèses. Je reproche un peu plus férocement à M. Dal Busco de les avoir embrassées, avec la fougue d'un Jeudi Saint, à la tombée du soir. J'invite chacun de nous à scruter les mots. Surtout ceux qui viennent du pouvoir.Tout pouvoir, d'où qu'il vienne, est propagandiste par essence. Tout pouvoir dévoie les mots. Tout pouvoir est menteur.Pascal Décaillet -
Visages de Campagne
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 08.03.23
Je me suis lancé une nouvelle fois, cette année, dans la grande aventure des Visages de Campagne. Soixante candidates ou candidats au Grand Conseil, tous partis confondus, cinq par liste, défilent face à moi, pour un entretien de 6 à 7 minutes. Il y a plusieurs années, pour les élections fédérales, j’en avais reçus plus de cent, à la même enseigne. C’est un marathon. C’est éreintant. Mais pour moi, c’est profondément enrichissant. Car je découvre, les yeux dans les yeux, ce qu’il y a de plus beau en politique : l’ardeur citoyenne d’un être humain.
Je ne suis pas un grand partisan de la démocratie représentative, encore moins des élections. Je préfère les votations, où l’on brasse un thème plutôt que de mettre en avant les personnes. J’aspire, vous le savez, à une démocratie totale, où le suffrage universel interviendrait directement, beaucoup plus qu’aujourd’hui, sur la fabrication même des lois.
Mais ce système rêvé, utopique peut-être, c’est pour une autre vie. Pour l’heure, il y a des élections, je suis journaliste politique, j’assume. Eh bien ces soixante (nous en sommes à trente-six, au moment où sort ce journal), je veux ici leur rendre hommage. Comme d’ailleurs aux presque sept cents qui se présentent. La démocratie, ce sont des hommes et des femmes. Des rêves. Des engagements. Des projections individuelles sur un destin collectif. Nous sommes, grâce à tous ces candidats, dans le cœur palpitant de l’engagement citoyen. Bonne chance à tous, sans exception !
Pascal Décaillet
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Pour nos retraités : décence et dignité !
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 08.03.23
Il y a des jours où les Chambres fédérales, où j’ai eu l’honneur de passer quelques années comme correspondant parlementaire, ne grandissent pas la Suisse. Je n’utiliserai pas le mot de « honte », qui suinte la morale et ne fait pas partie de mon vocabulaire politique, mais comment cacher ce sentiment de colère, de révolte, face à la décision prise par le National, puis les Etats, le mercredi 1er et le jeudi 2 mars ? Il s’agissait d’indexer de 7 à 14 francs par mois les rentes AVS, pour s’adapter à l’inflation. 7 à 14 francs ! Et ils ont dit non ! Coût total : 418 millions sur un an. Pour le budget de la Confédération, c’était plus que supportable. En comparaison d’autres coups de pouce, le refus est carrément indécent : faut-il rappeler ici les milliards engagés dans le sauvetage d’une compagnie aérienne, puis dans celui d’une grande banque, enfin les crédits phénoménaux à l’époque du Covid ?
Alors oui, cette décision doit être qualifiée. Elle doit être jugée par les citoyennes et citoyens de notre pays. Et elle doit avoir des conséquences politiques. Nous sommes des hommes et des femmes libres, nous voulons la justice. Nous voulons l’équité. Nous voulons la dignité. Nous voulons la reconnaissance du pays pour ces aînés, ces hommes et ces femmes qui ont travaillé toute leur vie. Et dont certains – pas tous, heureusement – tirent le diable par la queue. Allez faire vos courses, dans un supermarché, regardez-les prendre un produit, chercher le prix, puis reposer délicatement la marchandise sur l’étal. C’est ça la réalité d’un nombre considérable de retraités dans notre pays. Et on leur refuse, du haut des Chambres fédérales, une augmentation de 7 à 14 francs ! Là, désolé on arrête de discuter. On ne débat plus. On combat. Et on gueule. Parce que c’est révoltant, inadmissible, dans un pays comme la Suisse, l’un des plus prospères du monde.
Je suis un homme de droite, patriote, attaché au pays. Mais là, sur ce coup, ces parlementaires de droite, dont certains éternels jouvenceaux de l’ultra-libéralisme, aux tonalités de plus en plus arrogantes et cassantes, qui ont dit non, je dis ma colère. La Suisse est un petit pays, mais c’est un grand peuple, qui a su, notamment depuis 1848, construire un Etat social, soucieux des équilibres, attentif à la cohésion intérieure du pays, bannissant tout fossé entre les citoyens. Là, avec cette décision, la violence de sa portée symbolique, on casse quelque chose. L’un des grands axes de solidarité, en Suisse, c’est celui entre les générations. Là, on le jette aux orties. La politique, on la relègue aux oubliettes, au profit de calculs de petits comptables au service des puissants. Cette Suisse-là n’est pas la mienne.
Quant à la droite de notre pays, il est temps, dans toutes ses composantes, qu’elle renoue avec des valeurs autres que celles du profit et de la servilité. Nous voulons la Patrie. Nous voulons le Pays. Nous voulons l’intelligence et la culture. Nous voulons la puissance du verbe, celle de l’esprit. Il y a encore, apparemment, un certain chemin à parcourir.
Pascal Décaillet