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Liberté - Page 1386

  • Procès BCGe: quel François Longchamp a parlé?

     

    Sur le vif – Samedi 09.10.10 – 19.05h

     

    Les grands airs de chevalier blanc et de justicier arborés hier par François Longchamp, devant la Cour correctionnelle chargée de juger les anciens dirigeants de la Banque Cantonale de Genève, appellent quelques remarques et quelques bémols. En tout cas par rapport aux comptes-rendus bien obédients que nous proposent ce matin le Temps et la Tribune de Genève. Obédients, oui, face au grand oral manifestement réussi du président du Conseil d’Etat. Obédients, face à la position du gouvernement genevois. Une petite impression de Feuille d’avis officielle.

     

    Car enfin, dans cette affaire, quel est le rôle du Conseil d’Etat ? Celui de partie civile. Donc, un antagoniste parmi d’autres. Et non la voie de la vérité, ni celle de la sagesse. On ne sent pas exactement cela en lisant les articles, ce matin. Sans compter que le Conseil d’Etat (d’autres personnes, à l’époque) a sans aucun doute, lui aussi, d’écrasantes responsabilités dans la gestion de la débâcle de la banque, il y a une dizaine d’années. Cela, c’est pour François Longchamp président du Conseil d’Etat, garant de la continuité.

     

    Mais il y aussi l’homme François Longchamp. Comme le rappelle à fort juste titre Roland Rossier, dans la Tribune de Genève, l’actuel magistrat était journaliste au Temps le 9 mars 2000, lorsque l’affaire a éclaté. Il en avait même eu la primeur (magnifique coup, d’ailleurs). Lors de la conférence de presse du 10 mars, Dominique Ducret, président démissionné, lui lance : « Monsieur, vous avez ruiné ma carrière ! ». Cet antécédent étant ce qu’il est, n’eût-il pas été préférable que le président du Conseil d’Etat, hier, se récusât au profit, par exemple, du vice-président, Mark Muller ?

     

    Et puis, en régime de séparation de pouvoirs, il est tout de même assez singulier de voir le chef d’un exécutif accabler la défense, dans un procès, et lui nier des droits de recours parfaitement prévus par la procédure : « Le but était qu’on en arrive à la prescription. Et les incidents de ces derniers jours visaient à empêcher l’Etat de venir au procès. Cela est intolérable pour le conseiller d’Etat que je suis ! ». A-t-on souvent vu des hommes en déposition aller aussi loin dans l’analyse des fonctionnements internes d’une Cour ? François Longchamp n’a-t-il pas, très habilement, hier, joué l’oscillation entre sa casquette de partie civile et la majesté de sa position de chef d’exécutif ?

     

    Reste tout ce qui ne sera jamais démontrable, les sources du « journaliste » François Lonchamp le 9 mars 2000, les règlements de comptes politiques (disons internes à l’Entente) autour de la BCGe. Et mille autres choses qui m’amènent à ne pas partager immédiatement la pâmoison de certaines de mes consœurs devant le numéro d’hier. En toutes choses, ne faut-il pas établir qui parle, avec quels intérêts, quel passé, quelle équation personnelle au problème? Non pour l’accabler. Mais pour comprendre.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Pleurer, gémir…

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Jeudi 07.10.10

     

    Avec René Longet et Cyril Mizrahi dans ses plus hautes instances, le parti socialiste genevois n’est plus un organe de combat, mais un chœur de pleureuses. L’arène politique, un cimetière antique, avec de sublimes femmes en noir sous le soleil, et des cris de détresse dans le désert.

     

    Les décisions de la Constituante déplaisent ? Qu’on la dissolve, dixit Longet. Les membres de l’Assemblée, légitimement élus ? Qu’ils mourussent ! René Longet vient d’inventer une nouvelle méthode politique : la résistance par la gomme. L’évacuation du problème par la cuvette des toilettes. La larme atomique, à la première contrariété.

     

    Non seulement cette position, en logique républicaine, est indéfendable, mais elle s’accompagne, chez nos duettistes de la folle complainte, d’infinies variations sur le monde du gémissement : il y a celui qui geint et celui qui sanglote, il y a les soupirs de la sainte et les cris de la fée.

     

    Longet, la fée. Mizrahi, la sainte. Ils sont venus nous dire qu’ils s’en allaient, et leurs propres larmes n’y pourraient rien changer. Alors, dans le désert, ils pleurent. Et la vie, elle, continue. Parce que, comme le disait si bien Mouloudji, « Faut vivre ! ».

     

    Pascal Décaillet

     

  • La philosophe et la passion du suicide

     

    Sur le vif - Mercredi 06.10.10 - 08.21h

     

    Le philosophe doit-il à tout prix s’occuper de politique ? La question est vieille comme la philosophie, vieille comme la politique, qui sont d’ailleurs nées ensemble, quelque part dans l’Athènes des cinquième et quatrième siècles avant Jésus Christ, avec ces textes de Platon, puis d’Aristote qui nous illuminent tant, encore aujourd’hui.

     

    La question mérite d’ailleurs d’être affinée. Il faudrait demander : « Le philosophe, lorsqu’il se mêle de politique, doit-il garder la pureté cristalline de son approche ? ». C’est à cela que beaucoup de Suisses romands ont dû penser, il y a un instant, en écoutant la philosophe Marie-Claire Caloz-Tschopp répondre aux questions de mon confrère Simon Matthey-Doret sur l’initiative UDC du 28 novembre prochain concernant l’expulsion des criminels étrangers.

     

    Car hélas, aussi brillante soit Mme Caloz-Tschopp, aussi puissante et fraternelle sa prise de parole (oui, une qualité de langage qui détonne en Suisse romande), sa fuite continuelle du sujet au profit de grands principes ne pourra, à son corps défendant, qu’alimenter la partie adverse.

     

    En refusant d’empoigner le thème précis sur lequel le peuple suisse devra bien se prononcer le 28 novembre (une initiative et un contre-projet), en bottant constamment en touche sur les vrais « grands criminels qui font peur, les banquiers », l’éminente philosophe nous a délivré une véritable caricature, un sommet de déni. Elle a, clairement, donné des points à l’UDC.

     

    Ça n’est pas que les Suisses adorent les banquiers, surtout par les temps qui courent et après les excès du capitalisme financier. Mais il se trouve que la question sécuritaire, au jour le jour, notamment en milieu urbain, existe. Il ne s’agit certes pas de l’exacerber. Mais pas, non plus, de la nier, avec cette détestable et méprisante notion de « sentiment d’insécurité » que nous sort la gauche depuis des années. Allez dire à quelqu’un qui s’est fait agresser : « Ca n’est qu’un sentiment subjectif, mon ami, rien de grave ».

     

    En résumé, une grande voix, ce matin, quelque chose de très fort dans l’incandescence du verbe, mais une fausse route. Car les questions du 28 novembre, il faudra bien les traiter. Ne les prendre que de haut, avec cette altitude dégagée de l’intellectuel, pourrait bien réserver aux adversaires la même surprise qu’avec les minarets. Oui, Madame la philosophe, dans une interview radio comme dans une dissertation de votre discipline, la première des choses à faire est de traiter le sujet. La marge, c’est bien. La page, c’est mieux.

     

    Pascal Décaillet