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Liberté - Page 1383

  • Petit pays, grande fermeté


    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Jeudi 30.12.10


    Face à ses deux puissants voisins, une France de 60 millions d’habitants, une Allemagne qui en compte 80, la Suisse est une petite fleur fragile. Pays sans grandes richesses naturelles, hormis la qualité de ses nectars, l’éblouissante beauté de ses paysages. Pays qui doit compter sur sa matière grise, l’excellence de son système de formation, la vitalité conquérante de ses exportations. Pays qui était encore pauvre au dix-neuvième siècle, et même au début du vingtième, le Valais en sait quelque chose. Pays dont les atouts sont avant tout moraux : culture politique commune à 26 cantons très différents, fédéralisme, démocratie directe unique au monde, et que ce dernier, d’ailleurs, nous envie.

    Si cette force morale qui nous réunit, au-delà de nos clivages, devait un jour flancher, alors le pays serait perdu. Non ses habitants, ni ses paysages, mais le miracle d’une cimentation qui tente, avec un rare succès en comparaison internationale, de nous tenir ensemble, disons depuis 162 ans : je n’ai jamais été très adepte des mythes ni des références du treizième siècle. Ce ciment, le « foedus », c’est l’Etat fédéral. Il n’existe qu’à travers notre volonté, peut parfaitement un jour se déliter, de même que la Suisse peut retomber dans la pauvreté qui était sienne lorsque, par exemple, la vallée du Rhône était un marécage. En politique, rien n’est jamais gagné : les humains doivent se battre, et se battre encore. Défi de chaque génération, toujours recommencé.

    Le pari suisse, l’aventure suisse, ne sont pas gagnés pour l’éternité. Se reposer sur le travail des ancêtres sans apporter soi-même sa pierre à l’édifice, c’est déjà renoncer. Quand la Suisse négocie avec ses voisins, qui sont des géants par rapport à elle, quand elle discute avec l’Union européenne, elle doit le faire le regard droit, sûre de ses valeurs, de ses atouts. Certains d’entre eux, du côté des droits populaires, ne doivent en aucun cas être bradés. Les pressions exercées sur nous, par exemple dans le domaine fiscal, doivent être décodées avec réalisme, dégarnies de leur vernis mensonger de morale. Et, finalement, refusées. C’est dur, pas très sympa, pas très porteur en termes d’images, mais c’est la condition de la survie.

    Pascal Décaillet

     

  • La vieille dame, la loi, l’appartement vide

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    Sur le vif - Dimanche 26.12.10 - 17.51h

     

    Virée par son propriétaire, Noëlla Rouget a moins de trois semaines pour quitter l’appartement qu’elle occupe depuis 52 ans. Le 15 janvier 2011, il faudra que les locaux soient vidés, et Noëlla Rouget dehors.

     

    Noëlla Rouget est une dame très âgée, et pas tout à fait comme les autres. La police, elle connaît. La Gestapo, le 23 juin 1943, l’arrête à Angers, pour actes de résistance, avant de l’envoyer, via Compiègne, à Ravensbrück. Elle y restera plus de 14 mois, n’en sortira que le 4 avril 1945, pesant 32 kilos et souffrant de tumeurs tuberculeuses. Grand Officier de l’Ordre National du Mérite, cette dame d’exception multiplie les rencontres avec les jeunes, pour que l’oubli ne l’emporte pas. J’ai moi-même eu le très grand honneur de la recevoir, le 18 février 2010, sur le plateau de « Genève à chaud », en compagnie de Danielle Mitterrand.

     

    Alors voilà. Sans doute le propriétaire a-t-il ses raisons. Sans doute la loi est-elle avec lui. Je vous laisse simplement avec l’image d'une Noëlla Rouget tournant le dos, d’ici mi-janvier, à plus d’un demi-siècle de sa vie. Je vous laisse en conclure ce que vous voudrez. Moi, je n’en ai simplement pas la force.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Il y a moins d'une heure, les anges sont passés

     

    Sur le vif - Vendredi 24.12.10 - 19.02h

     

    La vie était encore là, banale comme une nuit de décembre, humide, insalubre. Tous, nous nous préparions à ce moment d’intimité qui s’appelle le Réveillon. C’était il y a une cinquantaine de minutes. Tous, en accomplissant les mêmes gestes, année après année, nous allons vers Noël, avec l’éternité de nos incertitudes.

     

    Et puis, soudain, il y a eu la voix de Brigitte Hool.

     

    En direct du studio de Sion, cette magnifique soprano était l’invitée de la RSR. Elle a dit quelques mots, répondu à deux ou trois questions. Et puis, très simplement, a capella, elle a chanté.

     

    Elle a chanté quoi ? La plus simple des chansons. La seule qu’osent fredonner, à minuit, ceux qui ne chantent jamais : « Les Anges, dans nos campagnes ». Et pendant une petite minute, il n’y eut plus que sa voix, sa voix seule, sa voix simple et sublime.

     

    Et quelque chose passa, plus léger que l’enfance. Doux comme l’amorce d’une annonce. Et ce fut tout. Mais ce fut immense.

     

    Pascal Décaillet