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Liberté - Page 1335

  • La marge, les gueux

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 24.01.11

     

    Qui détient le pouvoir exécutif à Genève ? Réponse : cinq partis acoquinés, n’ayant aucun rapport entre eux, un grand écart allant des libéraux aux socialistes, juste un équipage de fortune, jeté là par le hasard et l’opportunisme de se partager postes et prébendes.

     

    Ce pouvoir, qui en est écarté ? Réponse : la gauche de la gauche (près de 14% d’un électorat hélas pour lui divisé), le MCG, l’UDC. Près de deux Genevois sur cinq. Il y a donc, d’un côté, les détenteurs d’un pouvoir, que nous nommerons « les transversaux », s’épargnant plus qu’ils ne se combattent, se félicitant de se cirer mutuellement les pompes dans les cocktails. De l’autre, la marge, que nous nommerons « opposition ».

     

    Etrange système : avec 17 sièges au Parlement, Eric Stauffer n’est pas conseiller d’Etat. Avec seulement 11, François Longchamp l’est. Il l’est comment ? Mais par alliances, pardi, en s’appuyant sur d’autres. C’est, ma foi, le jeu, dans la règle actuelle.

     

    Ce qui choque, ça n’est pas que les transversaux gouvernent. C’est la hargne, l’arrogance, la morgue avec laquelle certains d’entre eux traitent les gueux de la marge. Ils voudraient tellement pouvoir régler leurs petites affaires entre eux. Faire taire. Censurer. Il n’est pas certain que ce soit là le vœu de la population. Elle aura, sous peu, l’occasion de le montrer.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Hans Fehr : réactions nauséabondes

     

    Sur le vif - Dimanche 23.01.11 - 17.52h

     

    En se rendant vendredi soir à l’Albisgüetli, la traditionnelle fête annuelle de l’UDC zurichoise, à laquelle participait la présidente de la Confédération, le conseiller national Hans Fehr a été sauvagement agressé par des « Chaoten ». Dûment tabassé, il a dû se rendre aux urgences.

     

    Je connais bien Hans Fehr. C’est un homme d’une parfaite courtoisie. Ses combats, il les mène avec des mots, jamais avec les poings. Ce qui lui est arrivé est parfaitement dégueulasse. Inadmissible dans une démocratie.

     

    Mais il y a plus nauséabond encore. Ceux qui, tout en condamnant hypocritement l’agression, laissent entendre que l’UDC paierait là le tribut de son style politique, et qu’au fond Hans Fehr ne l’aurait pas volé. Au fond d’eux-mêmes, sans doute se réjouissent-ils de la correction subie par l’un des ténors du premier parti de Suisse.

     

    Alors, juste une seconde, imaginons. Posons comme hypothèse qu’une éminente personnalité socialiste ou Verte, Christian Levrat ou Ueli Leuenberger, ait été rossée par des activistes d’extrême droite. Vous les voyez déjà, sur cinq colonnes et en caractères géants, les unes de nos journaux ? Vous les entendez, les concerts d’indignation ? Et Strasbourg par ci, et le « droit supérieur » par là, et les manifs pour hurler à la décadence de notre vie politique.

     

    Mais pour Hans Fehr, rien de cela. Des regrets, dans le meilleur des cas, polis et compassés. Dans le pire, hélas courant, une avalanche de perfidies sur le thème, à vomir en l’occurrence, de l’arroseur arrosé.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Bagatelles pour une erreur

     

    Lettre ouverte à Monsieur Frédéric Mitterrand, ministre français de la Culture - Samedi 22.01.11 - 18.01h

     

    Monsieur le Ministre de la Culture,

     

    Vous portez un grand nom, celui d’un homme qui aimait les textes et les écrivains, le jaillissement du verbe sur le papier, le livre, la reliure, ce qui tisse et façonne les histoires, illumine les imaginaires, à la fois Stendhal, Jules Renard, Chardonne. Oui François Mitterrand, votre oncle, avait écrit sa vie comme un roman, il était une passion française, de cette exceptionnelle tradition qui place les Lettres avant toute chose. Avant la politique. Ne parlons pas de l’économie, tout là-bas. Quelque part.

     

    Vous portez un grand nom, il était à espérer que vous vous fissiez un prénom. Je crains qu’il faille renoncer à cette idée. Hier soir, sous pression d’un lobby dont je respecte et partage d’ailleurs le combat en tant d’autres circonstances, vous avez retiré Louis-Ferdinand Céline des célébrations nationales de 2011. Il était normal que Serge Klarsfeld attende de vous ce retrait, il est dans son rôle, je n’ai nul grief à lui adresser. Encore moins à son combat pour la mémoire.

     

    Mais vous, ministre, vous auriez dû lui dire non. Parce que Céline, aussi infectes fussent ses prises de position antisémites, n’en demeure pas moins, avec Gide et Proust, et un ou deux autres que chacun voudra bien ajouter ou retrancher, le plus grand écrivain français du vingtième siècle. Et vous, ministre de la Culture, c’est cela que vous devez voir. C’est cette voix-là, oui cette petite voix, certes au milieu des immondices, que vous devez considérer. Quitte à froisser, heurter, déranger. Un ministre, comme un écrivain, doit se faire des ennemis, s’il veut laisser une autre mémoire que celle, furtive, d’un passant.

     

    Je sais que vous avez hésité, Monsieur le ministre, que vous n’avez pas pris cette décision de gaieté de cœur. Mais vous l’avez prise, et elle est funeste. Parce qu’elle abdique le style devant la morale, aussi respectable soit cette dernière, et je crois avoir suffisamment, dans ces colonnes, exprimé mon rejet de toute forme d’antisémitisme. Elle se saisit, votre décision, du pire instrument qui se puisse concevoir lorsqu’on ambitionne de construire une mémoire nationale : la gomme. Elle damne le réel. Elle rejette à la marge ce qui dérange. Elle s’en va corriger et le texte et l’histoire. Alors, le 1er juillet 2011, jour du cinquantième anniversaire de la mort du docteur Destouches, le « calendrier des célébrations nationales » demeurera muet. La case sera blanche.

     

    Mais Louis-Ferdinand Céline vivra, Monsieur le ministre. Avec ou sans célébration. L’exceptionnelle fulgurance de ses syllabes traversera les siècles. Il demeurera réprouvé par les moralistes, et ne l’aura d’ailleurs pas volé. Et encensé pour avoir révolutionné l’écriture. Dilemme, diptyque, paradoxe qui se posaient déjà de son vivant, se perpétueront, c’est ainsi, c’est le lot des maudits. Mais cette petite voix, celle de Ferdinand Bardamu en errance entre les bribes de phrases sans verbe et les points de suspension, cette petite musique qui hante les ateliers radiophoniques et les chevets des adolescents, vous ne pourrez la faire taire. Vous ne le pourrez pas, ni ne le voulez, j’en suis sûr. Juste dommage, là, que vous soyez ministre. Le mauvais rôle. Celui qui tient la gomme. Chienne de vie. Il y a des jours où l’officialité mémorielle nous emmène en voyage, hélas, jusqu’au bout de l’ennui.

     

    Pascal Décaillet