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Liberté - Page 131

  • Les Inquisiteurs

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 07.06.23

     

    Loi sur le climat : l’ambiance de campagne prend des tournures insupportables. Le camp du OUI n’en peut plus de diaboliser le camp du NON. En clair, il passe son temps à attaquer l’UDC, seul grand parti national à combattre le projet. Et les mots d’oiseaux n’en peuvent plus de fuser : « fake news » (fausses nouvelles), mauvais chiffres, etc.

     

    Le camp du OUI a tort. Non pas de défendre la loi, mais de passer son temps à parler de son adversaire. En politique, face à un scrutin populaire, il faut parler de soi : « Voici ce que nous pensons, nos arguments, nos valeurs, nous vous invitons à nous rejoindre ».

     

    Et puis, soyons clairs. Une loi est proposée au peuple souverain. On a le droit d’être POUR. Et on a, tout autant, avec la même audience, la même visibilité, le droit d’être CONTRE. C’est cela, le débat démocratique. Certains milieux, au nom de la vérité théologique qu’ils prétendent incarner, semblent vouloir limiter le débat à d’aimables causeries internes, entre gens du même point de vue.

     

    Partisans du OUI, méfiez-vous. Pour le moment, vous avez l’avantage. Mais toute tentative de sataniser, en la noircissant à l’extrême, la position de vos adversaires, affaiblira votre position. Nous sommes en Suisse, la plus belle démocratie du monde, la plus achevée en termes de droits populaires : place au choc des arguments, dans toute sa vivacité. Mais nulle place pour le dogme. Laissons cela aux Inquisiteurs.

     

    Pascal Décaillet 

  • Décadence et dérive des "sujets de société"

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 07.06.23

     

    A partir de quand le journalisme a-t-il commencé à décliner ? La réponse est simple : à partir du moment où, dans la foulée de Mai 68, les rédactions ont commencé à s’éprendre des « sujets de société ». Et du coup, à négliger les grands axes qui fondent l’intérêt commun, la « res publica », au sens latin de « chose commune » : la politique, l’Etat, la guerre et la paix, la survie des nations.

     

    Mai 68 n’est pas une Révolution politique. D’ailleurs elle obtient, aux législatives de juin suivant, après dissolution, l’exact contraire de ce qu’elle souhaitait : les élections de la peur, après le grand frisson qui a traversé la France, conduisent à l’Assemblée une Chambre bleu horizon, la plus conservatrice depuis 1919. Non, Mai 68, une fois signés les Accords de Grenelle qui relèvent le salaire minimum au-delà de toute espérance, se focalise sur des thèmes qui touchent au pouvoir, à la structure de la famille, au mandarinat dans l’enseignement, à la sexualité. Toutes choses passionnantes pour le Quartier Latin, nettement moins pour la France profonde. Celle qui votera en juin.

     

    Le mouvement de Mai, pourtant, laisse des traces. Les grands sujets « de société » commencent à passionner les rédactions. On s’éloigne du destin des nations, on nombrilise les sujets, on se passionne pour la vie privée, ce que font aussi d’éminents historiens, exactement à cette époque-là. On se désintéresse de l’Histoire, des traités, de la guerre et de la paix, des lieux de mémoire, de la création des identités nationales, comme celle de l’Allemagne, par exemple, à partir des « Discours à la Nation allemande », conférences capitales tenues par le philosophe Johann Gottlieb Fichte, fin 1807, dans un Berlin occupé (1806-1813) par les troupes napoléoniennes, qui avaient vaincu la Prusse l’année précédente. Que comprendre à l’Histoire allemande, sans lire ces discours ?

     

    En bientôt quarante ans de journalisme, j’ai toujours combattu les modes sociétales. Le moins qu’on puisse dire est que j’ai été particulièrement gâté, ces dernières années, avec l’importance disproportionnée accordée au wokisme, aux théories du genre, à l’écriture inclusive, à la relecture foireuse et anachronique de l’Histoire, celle qui projette les critères d’aujourd’hui sans restituer le contexte de l’époque. Du journalisme, je garde la conception classique de ma jeunesse, celle aussi de mes premières années au Journal de Genève : la politique, la culture (incluant le vitriol des plumes), l’analyse, les chaînes de causes et de conséquences. Bref, le Monde d’Hubert Beuve-Méry (et certainement pas celui d’aujourd’hui), la NZZ, la Frankfurter Allgemeine.

     

    Ai-je raison, ai-je tort ? Chacun jugera. Mais je suis ainsi. Je crois profondément à la dimension révolutionnaire de l’écriture, et aux lumières de la critique dialectique. Je crois à la magie des mots, et encore plus à celle de la musique. Mais les modes, non merci. La vie privée, non merci. Par la voix ou par la plume, soyons hommes et femmes d’arguments. Frères et sœurs dans l’ordre de la langue.

     

    Pascal Décaillet

  • Ce qui monte en Allemagne

     
    Sur le vif - Mardi 06.06.23
     
     
    En Allemagne, l’AfD fait jeu égal avec le SPD, parti historique et fondateur de l’Allemagne moderne, le parti de Willy Brandt, et de sa très pâle copie atlantiste, Olaf Scholz
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    Ce qui monte en Allemagne, c’est l’opposition à la guerre en Ukraine. L’opposition à l’obédience derrière les faucons bellicistes de Washington.
     
    Ce qui monte en Allemagne, au-delà de la question ukrainienne, c’est l’idée allemande, tout court. L’Allemagne, comme grande puissance souveraine, la moins liée possible à des conglomérats supranationaux.
     
    Ce qui monte en Allemagne, c’est le rejet de la conception de Saint-Empire, défendue après 1945 par le Rhénan Adenauer, puis le Rhénan Kohl. Cette vision d’une Allemagne acceptant une tutelle européenne, comme les Électeurs avant 1806 acceptaient l’ultime arbitrage d’un Empereur, est en perte de vitesse.
     
    La vision des Rhénans, issus de Rome et du catholicisme, historiquement façonnés par la présence des légions romaines, puis des premiers diocèses, n’est de loin pas celle de toutes les Allemagnes. Elle n’est pas celle de la Prusse historique, qui regroupe aujourd’hui le Brandebourg et le Mecklenburg-Vorpommern, les bastions du grand Frédéric II (1740-1786).
     
    L’idée allemande, celle que les Allemagnes se forgent du pays tout entier, varie selon l’Histoire. Elle oscille entre la conception rhénane, intégratrice, tournée vers la France, et l’ambition d’une Allemagne ne comptant que sur sa volonté nationale propre. Ce mouvement de balancier a toujours existé.
     
    La montée de l’AfD, c’est dans ce contexte-là qu’il faut l’inscrire. Celui des mouvements lents, tectoniques, d’un pays en pleine recherche de son destin. La grande puissance montante, aujourd’hui, en Europe. Passionnante, dans sa complexité, ses contradictions, sa vitalité intellectuelle, la richesse et le foisonnement de sa langue, de sa culture. Le pays de Luther et de Brecht.
     
    Le pays dont tout dépend, plus que jamais, sur le continent européen.
     
     
    Pascal Décaillet