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Liberté - Page 135

  • Les faux amis

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 04.10.23

     

    Parce qu’ils sont alliés, les Verts et les socialistes sont considérés par les gens comme des familles politiques proches. Les deux, au fond, qui constituent la gauche. Comme, naguère, les socialistes et les communistes.

     

    Etudions, en profondeur, l’Histoire de ces deux partis. Et nous saisirons à quel point ils sont différents. Les socialistes, c’est le grand parti de gauche, historique, ancré, depuis 120, ou 130 ans, dans nos pays d’Europe : la Suisse, la France, l’Allemagne. Chez nous, ils sont au Conseil fédéral, en continu, depuis 1943. Huit décennies où ils ont contribué à construire le pays.

     

    Les Verts ne sont là que depuis quatre décennies. Ils ne viennent pas de la lutte des classes, encore moins du monde ouvrier, mais surgissent de mouvances décentralisées, autour de la protection de la nature ou d’idéologies libertaires. Les socialistes, comme les radicaux, ont un parfum d’Etat, les Verts pas du tout.

     

    Allez visiter le Musée de la Mine, à Bochum, dans la Ruhr. Vous y sentirez le poids historique du SPD, la social-démocratie allemande, le parti de Willy Brandt. Le vent de l’Histoire.

     

    Rapport radicalement différent à l’Etat. Souches fort éloignées. Cette alliance, au fond, va-t-elle beaucoup plus loin qu’une conjonction d’intérêts électoraux ? Sentons-nous libres d’admirer les uns, sans pour autant voter pour eux. Et d’afficher notre totale incompréhension face aux autres.

     

    Pascal Décaillet

  • La parole politique est en cendres

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 04.10.23

     

    Vous avez lu l’Iliade ? Ce poème d’exception, huitième siècle avant notre ère, qui fut longtemps chanté avant d’être écrit, commence, au chant 1, par une engueulade monumentale entre Achille et Agamemnon au sujet d’une captive, Briséis. Achille, demi-dieu, roi des Myrmidons, le plus valeureux de tous les combattants, face au roi des rois, Agamemnon, roi de Mycènes et d’Argos, le chef de l’expédition des Grecs contre Troie. Deux caïds, qui s’affrontent par la parole, avec une puissance inouïe. La joute aurait pu dégénérer, si Athéna n’avait retenu Achille. J’ai lu cette scène saisissante, dans le texte, très tôt dans mon adolescence, elle m’a poursuivi toute ma vie, comme d’ailleurs l’intégralité de l’Iliade.

     

    Ces deux coqs royaux, qu’on imagine nez à nez, à s’envoyer les pires mots, incarnent la querelle de pouvoir, la violence de la politique, le rôle du verbe dans la guerre, les mots comme des flèches, surgis des viscères. Tout est là, dans cette scène littéralement homérique, depuis trois millénaires. Ça vaut tous les « Paris libéré ! », tous les « I have a dream », tous les « Ich bin ein Berliner », c’est le verbe en fusion, prêt à tuer.

     

    Aujourd’hui, la parole politique n’est plus que cendre et poudre. Les élus, les candidats, peuvent émettre des mots, on ne les écoute plus. Prenez l’assurance-maladie, en Suisse : trente ans d’échec. Ruth Dreifuss, Pascal Couchepin, Didier Burkhalter, Alain Berset, des gens très bien, très intelligents, des socialistes, des radicaux, deux grands partis qui ont fait la Suisse, mais au final, le fracas sur le récif. Aucun de ces quatre n’a réussi à enrayer l’inéluctable montée des primes, celle qui aujourd’hui nous étouffe tous. Ils ont pourtant parlé, exposé, argumenté, tout entrepris pour convaincre. Mais un élu se juge à ses actes, non à ses paroles. Combien de débats, radio ou TV, ai-je organisés sur notre système de santé, pendant ces trente ans ? Sans doute une bonne centaine ! Résultat : l’échec, l’échec, encore l’échec.

     

    Ces gens-là n’ont pourtant pas menti. Leur bonne foi n’est pas en cause. Ni leurs efforts sincères pour tenter de changer le système. Mais, sur trente ans, le politique, tous partis confondus, n’a jamais été capable de s’imposer, dans ce dossier, sur les puissances de l’argent. C’est un échec républicain. Et c’est une faillite du verbe. La parole politique est ruinée, son crédit dévasté, les gens n’écoutent plus, ils sont au bord de la révolte.

     

    Macron non plus, plus personne ne l’écoute. Oh, il parle bien, avec intelligence, quand il reçoit les journalistes à l’Élysée. Mais, en six ans, il a trop péroré, trop promis, ses syllabes ne touchent plus les âmes, elles s’envolent. Partout en Europe, la parole politique est en état de chute de crédit vertigineuse. Les gens veulent des actes. La fidélité à une parole donnée, une seule, et pas trente-six, à l’image d’un Pierre Mendès France. Et le chemin sacrificiel pour parvenir à un résultat. Le reste, comme dans Shakespeare, ce sont des mots. Toujours des mots.

     

    Pascal Décaillet

  • Conseil d'Etat : une fraction d'irréparable a été commise

     
    Sur le vif - Mardi 03.10.23 - 13.43h
     
     
    Et alors, l'affaire est close, la vie continue ? Pas de vagues ? Ne pas envenimer, à deux doigts des élections fédérales ? Faire le dos rond, l'autruche ? Bien enfouir sa caboche dans les profondeurs sablonneuses de indifférence ? Ménager les neuf semestres (putain, neuf !) qui restent, pour la législature ?
     
    J'ai félicité ici même, et hier soir en la croisant, la Présidente du Grand Conseil, et le Bureau. Il fallait réagir sans faille au coup de force du Président Vert du Conseil d'Etat, ils l'ont fait, c'est bien.
     
    Mais cela ne suffit pas. Ce nouveau Conseil d'Etat, même pas encore au dixième de sa durée de mandat, a commis une fraction d'irréparable, en brandissant cet étrange article 109.5 contre une loi dûment votée par le Parlement. Les députés avaient examiné le projet, débattu, appliqué la procédure de vote, la loi était sous toit. Dès lors, à part lancer un référendum, il n'y a plus aucune possibilité de revenir sur une décision souveraine du Premier Pouvoir.
     
    Ce qui doit être sanctionné politiquement, c'est la duplicité retorse du discours gouvernemental. Le Conseil d'Etat ose qualifier de "gabegie parlementaire" une décision qui, tout simplement, lui déplaît politiquement. Il n'y a eu strictement aucune "gabegie" : les élus du peuple, convoqués pour examiner une loi, ont appliqué la procédure. Et ils ont voté la loi.
     
    Ce qui est gravissime, c'est que le Conseil d'Etat nous prend pour des cons. Il prétexte une entorse sur la forme (il n'y en a manifestement AUCUNE), pour camoufler sa défaite sur le fond.
     
    Il y a mille raisons, en effet, pour que ce gouvernement soit profondément déçu du redimensionnement de son "Plan Climat" par une nouvelle majorité surgie ce printemps des urnes. Sur ces raisons, principalement économiques et financières (des centaines de millions sont en jeu), nous aurons l'occasion de revenir. Mais dans ces conditions, rien n'empêchait le Conseil d'Etat de s'associer à un référendum contre la nouvelle loi, votée cet automne. Là, nous n'aurions rien dit. C'eût été agir à la loyale, et non tenter de tromper le peuple en invoquant la forme pour dissimuler le fond.
     
    Le résultat ? Voilà un jeune gouvernement, avant même le sixième mois (sur soixante !) de son mandat, qui se discrédite lourdement par la bassesse de sa manœuvre. Comment les trois magistrates de droite (enfin, deux de droite, et une du Marais imprévisible) ont-elles pu cautionner cela, puisque la décision nous est présentée comme "unanime" ? Ces trois-là ont entamé la confiance. Le collège tout entier, aussi. Oui, une fraction d'irréparable a été commise. Sous d'autres cieux, on appelle cela un péché mortel.
     
     
    Pascal Décaillet