Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 1129

  • Margaret et les torrents de haine

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 12.04.13
     
     
    De monstrueux torrents de haine et de fiel. Un esprit de rancœur, nourri d’automatismes de pensée, les mêmes depuis trois décennies. Un manichéisme glacial, binaire. Une absence de décence devant la mort. Dès l’annonce, lundi 8 avril, 14h, du décès de Margaret Thatcher, une partie de la gauche suisse a arraché le masque. Elle a montré un inquiétant visage : celui de la mise à l’index, dans un climat d’Inquisition et d’Epuration. On a eu l’impression que le diable lui-même, pour peu qu’il existât et qu’il fût mortel, avait tiré sa révérence : on le renvoyait chez lui, dans ses appartements de l’Enfer. Triste spectacle, qui en dit long sur le comportement de certains, le jour où d’importants pouvoirs viendraient à leur échoir.


     
    Ceux qui me lisent, depuis tant d’années, dans ce journal, commencent à me connaître : je ne suis pas un libéral, encore moins un ultra, je crois en un Etat solide, efficace et solidaire, la pensée économique de Mme Thatcher n’est donc vraiment pas la mienne. En même temps, j’admire la femme d’Etat, son courage contre vents et marées, sa solitude face à tous, sa totale indifférence envers l’idée d’être impopulaire, d’être traitée de tueuse d’Irlandais ou de marins argentins. Alors oui, elle divise, et même après sa mort. Elle divise, comme les plus grands. Partisan acharné, dès mon enfance, du général de Gaulle, il m’est arrivé, juste après sa mort, en novembre 1970, d’avoir des discussions enflammées avec des amis Pieds Noirs. Ils le haïssaient, je l’adulais. C’était ainsi. Ceux qui, dans leur vie politique, ont pris des risques, ne laisseront jamais une mémoire lisse et glissante. Ils suscitent les passions. La Dame de fer était de ceux-là.


     
    A partir de là, chacun d’entre nous est libre de l’aimer ou non, tout cela se discute. Ce qui m’a donné la chair de poule, c’est bel et bien le déversement de haine, parfois jusqu’à la vulgarité, dès qu’on a appris son décès. Je ne demande pas à ses ennemis de lui trouver miraculeusement des qualités sous le prétexte de sa disparition. Mais enfin, il me semble, et disons et que je parle ici avec mon rapport au spirituel, que face au mystère de la mort, un minimum de retenue s’impose. Même pour son pire ennemi. Qu’on démolisse son legs, aucun problème. Mais cette manière, chez certains, de lui promettre les flammes éternelles. Cette systématique reprise, sur les réseaux sociaux, de la chanson de Renaud, comme si une décennie aux affaires, tellement décisive dans l’Histoire, se résumait à ça. Et jusqu’à Mélenchon, Inquisiteur en chef, se réjouissant qu’elle connaisse l’Enfer. Cette gauche-là, heureusement pas tous, c’est la gauche de la haine et de la vengeance. Elle est sans pitié. A ses adversaires, elle ne fera jamais le moindre cadeau. Parce qu’elle est persuadée d’être détentrice du Bien et de la morale. Cette gauche-là, oui, me donne des frissons.


     
    Pascal Décaillet
     
     

  • Caesar pontem fecit


    Commentaire publié dans le GHI - 10 et 11 avril 2013


     
    Il m’a toujours semblé, mais c’est sans doute une immense naïveté, que la finalité d’un pont, depuis César, consistait à pouvoir passer d’une rive à l’autre. Du Rhône au Rhin, du Pont d’Arcole aux limons du Mékong, des eaux du Nil à celles de la Vistule, cette loi élémentaire du génie me semblait avérée. Las ! C’était avant Madame Künzler et ses puissants réseaux de l’immobilité. Oui, comme en physique, il y a le temps du mouvement et celui de l’arrêt : nos autorités ont clairement tranché en faveur du second. A Genève, il convient que rien ne bouge.


     
    Ainsi, grâce à une Fondation et à un illustre horloger, nous bénéficions depuis peu, sur l’Arve, entre le Quai Ansermet et les Vernets, de l’une des plus belles passerelles d’Europe. La nuit, illuminée de rouge, elle rend jalouse la Voie lactée. La chaussée est large, la circulation aisée. Pour nos extatiques de l’immobilité, c’en était trop : il convenait d’agir. Entendez, de bloquer tout ça.


     
    Chose dite, chose faite. Dégorgeant Plainpalais, la rue de l’Ecole de Médecine était, à vitesse convenable en milieu urbain, la voie de transit idéale pour accéder au pont. Elle ne l’est plus. Cette rue, et sa perpendiculaire de Carl-Vogt, sont désormais promises aux délices du bouchon. Le bruit que, peut-être, les autos feront moins, les fêtards des lieux auront tout loisir de le compenser. Merci, qui ?

     
     
    Pascal Décaillet

     

  • France : revoici le temps des Epurateurs

     

    Sur le vif - Mercredi 10.04.13 - 13.06h

     

    Panama, Dreyfus, Stavisky: j'ai étudié de très près, dans ma jeunesse, ces trois grandes affaires françaises. Sur la deuxième, j'ai réalisé en juillet 1994 une série historique de plusieurs heures, "Dreyfus, la belle Affaire", à la RSR. Pour cela, j'ai lu des milliers de journaux de l'époque, que j'ai encore dans l'un de mes greniers.



    A chacune de ces affaires, il y a l'histoire elle-même des protagonistes. Et puis, autour, comme une poudre qui se répand, il y a le révélateur de la société (française, en l'espèce) de l'époque. Par exemple, l'antisémitisme. Ou la haine des riches.


    Je commence à croire qu'avec Cahuzac, nous sommes partis vers le même schéma. Il y aura l'affaire Cahuzac elle-même, le procès Cahuzac, le destin personnel de M. Cahuzac, nous verrons tout cela. Et puis, dans le soufre exalté de la périphérie, il y aura - il y a déjà - ce qu'il faut bien appeler l'hystérie fiscale. Je descendais dans les Bouches-du-Rhône, pour un aller-retour de 48 heures, mardi dernier, 2 avril, le jour où l'affaire a éclaté. Écoutant en boucle les réactions sur toutes les chaînes de radio françaises, j'ai eu l'impression qu'on parlait d'un tueur en série. Les mots utilisés à l'endroit de l'ex-ministre du Budget étaient du même type !


    En boucle, en incantation, des centaines de fois, sur BFM-TV, le soir, tous répétaient: "Il a menti à la représentation nationale". Comme s'il avait tiré dans la foule, sur les Champs-Elysées, à l'heure de pointe. Comme s'il s'agissait d'un très grave criminel.



    Hier soir, à Infrarouge, chez nous en Suisse cette fois, retour de cette hyperbole. Avec Ada Marra, qui n'est pas Madame tout le monde, mais l'un de nos 246 parlementaires fédéraux, traitant de "criminels" les gens qui ne paient pas l'impôt.


    Oui, nous sommes partis dans une période d'hystérie. Je ne prends position, ici, ni sur le principe d'évasion des capitaux, ni sur les fautes (réelles) de M. Cahuzac. Juste sur la poudrière du discours. Comme après 1793, comme en 1944-45, comme tant de fois dans l'Histoire de France (et la Suisse n'est pas vraiment en reste), on va dénoncer, pourchasser, épurer. Ca n'est pas la France que j'aime. Et je l'aime, ce pays, croyez-moi.

     

    Pascal Décaillet