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Le monde n'existe pas

 

Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 05.07.13


 
Le monde n’existe pas. La prétendue dimension planétaire des problèmes nous donne certes l’impression d’englober notre bonne vieille terre, jouer de sa légèreté, comme le Dictateur de Chaplin. Mais je tiens cette vision pour une fiction. Bien sûr, la terre existe, l’air que nous respirons, notre stratosphère, notre eau si précieuse, tout cela constitue un trésor commun, qu’il s’agit de respecter, préserver. Mais politiquement, je ne crois pas trop à l’existence du « monde ». Je me méfie de la mondialisation, du mondialisme. Je nous vois tous encore si différents, surgis de coins de terre bien précis, avec des systèmes de langages, des références qui déterminent notre rapport à la pensée. Celui que l’idéogramme a façonné peut-il vraiment percevoir le monde comme l’enfant d’une syntaxe indo-européenne ?


 
Le monde n’existe pas. Et pourtant, j’ai commencé par être mondialiste, le jour de mes sept ans, lorsque j’ai reçu une magnifique mappemonde que je pouvais, le soir, illuminer de l’intérieur, grâce à une ampoule. J’ai passé des centaines d’heures, assis par terre, à la contempler, apprenant chaque fleuve, chaque ville, chaque montagne. L’URSS était verte, le Brésil rose, c’était magique. Je n’avais (juste) pas encore commencé à étudier l’Histoire des nations, qui n’est faite que de guerres, de sang versé, de sacrifices, de lieux de mémoire. Au point que depuis ce jour de juin 1965, bien des frontières ont changé sur la vieille mappemonde : le géant vert URSS a éclaté, l’Allemagne est unie, Tchèques et Slovaques ont divorcé, la Yougoslavie n’est plus.


 
Le monde n’existe pas. Dès que vient à poindre, en un lieu de la planète, un véritable danger de résurgence de la pire sauvagerie, la « communauté internationale » fout le camp. D’un coup, elle n’existe plus. Elle se retranche dans ses états-majors genevois, le bord du lac étant d’une fréquentation plus agréable que le tragique de l’Histoire. Fondée au lendemain de la Grande Guerre, la SDN, chère à Solal et Adrien Deume, n’a strictement servi à rien. Je ne suis pas sûr que l’ONU, son successeur, soit infiniment plus utile. A quoi ont-ils servi, ces palabreurs aux langues simultanées, aux pires moments des guerres balkaniques ?


 
Le monde n’existe pas. Et même l’Eglise catholique, la seule matrice dont je me reconnaisse, il m’arrive de lui en vouloir de sa prétention planétaire. Catholicos : universel, en grec. Oecouméné : la terre habitée. Quelle prétention, au fond, pour un mouvement spirituel, certes de premier plan, mais surgi des rives du Jourdain, né de dissidences juives du premier siècle, arraché au Proche-Orient par la Grèce et par Rome, totalement lié à l’Histoire. Le monde n’existe pas. Mais nos racines, oui. Notre adhésion à une terre, un paysage ou aux inflexions d’une langue. Nous sommes tellement plus telluriques que nous l’imaginons. Mais que surgisse une mappemonde, avec une ampoule à l’intérieur, et nous revoilà tous des enfants. Emerveillés.


 
Pascal Décaillet
 
 

 

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