Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sur le vif - Page 877

  • Genève: l'empire du miroir

     

    Sur le vif - Samedi 03.11.12 - 18.48h

     

    Le vrai pouvoir, à Genève, n’est pas celui qu’on croit. Il n’est pas incarné par un seul homme, ni par le Conseil d’Etat, ni par le Grand Conseil, ni par l’administration, même si ces entités, bien sûr, exercent des parcelles de puissance. Il n’est pas non plus exercé par les partis politiques, qui jouent leur rôle, pourraient le faire mieux, et dont la plupart des actuels présidents sont bien pâles et bien faiblichons, comme si les vrais ténors étaient ailleurs.

     

    Alors, il est où ? Nulle part, et partout. Il ne s’exerce pas de façon individuelle, malgré l’émergence, dans l’Histoire, de belles verticalités régaliennes (Grobet, Segond, bientôt Maudet), mais par la confluence mélangée, entrecroisée, de réseaux. Il est un pouvoir collectif, et je crois que cette essence corporatiste est profondément chevillée à l’Histoire de Genève. De la Compagnie des Pasteurs, avec juste à sa tête un Modérateur, aux associations professionnelles, de l’organisation du patronat à la Chambre économique, du Cartel intersyndical aux associations de maîtres ou de parents, sans parler du pouvoir judiciaire, rien à Genève ne peut s’accomplir seul.

     

    Il faut des appuis. Une toile de connaissances. Des centaines de soirées à boire des verres avec des copains, des milliers de mains à serrer. Oui, à l’époque des réseaux sociaux sur internet, Genève n’a de loin pas renoncé aux bonnes vieilles camaraderies tactiles, on se touche, on se tape sur l’épaule, sur la cuisse, on rigole un bon coup, on brise la marmite, et pour ceux qui, comme votre serviteur, étaient au régiment d’infanterie 3, on se raconte des souvenirs des nuits passées à se les geler, les cours d’hiver, dans le Val de Travers.

     

    Et même si vous êtes habité par le talent le plus pur, comme MM Grobet, Segond ou Maudet, vous ne ferez jamais rien de bon sans vous tremper régulièrement, et plutôt mille fois qu’une, dans le rite baptismal de cette camaraderie initiatique. La République, en superficie, n’est pas si grande, guère plus que la seule Commune de Bagnes. Alors, on se connaît. On se retrouve. On se touche, on se tapote : je me demande parfois si Genève n’est pas une immense chambrée, avec ses souvenirs, ses effluves. Plus vous allez vers le cœur de la Vieille Ville, plus le théâtre d’opérations est minuscule, plus vous êtes amené à ne rencontrer, désespérément, que les mêmes. Le Père Glôzu, lui, a tout compris, il y a trois décennies, en quittant le Bar Corona, à la Tour Maîtresse, pour monter se planter là, lui-même, de sa personne, au cœur du monde sensible. Les cercles concentriques, de son Café de l’Hôtel de Ville, il les laisse joyeusement virevolter autour de lui. De l’ombilic, il écoute les entrailles de Genève.

     

    Et puis, il y a ce tutoiement. Ils se tutoient tous ! Adversaires politiques ? Peut-être, mais dans le même comité associatif, camarades de commission, de sous-commission, copains de Conseil de fondation, d’administration, commensaux de tant de fondues. Et vous voudriez qu’ils se disent vous ! Le vrai pouvoir, à Genève, n’est pas vertical, mais se niche quelque part dans l’intrication d’une multitude d’affinités horizontales. Pour faire carrière, il faut simplement y être beaucoup. Beaucoup s’y montrer, Beaucoup toucher les gens, beaucoup tapoter, beaucoup tutoyer. C’est un jeu collectif, sauf qu’il n’y pas vraiment de règles, pas d’arbitre, pas de capitaine, pas de juges de touche. Mais le jeu, il faut en être. Il faut qu’on sache, partout, que vous en êtes. Genève est une galerie des glaces, l’empire du miroir. Bonne continuation à tous.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Scénario pour une Revue

     

    Fagments - Mercredi 24.10.12 - 15.08h

     

    Acte III, scène 1 – Bureau crasseux, rideaux jaunâtres, vieilles Remingtons, ventilateurs années quarante empesés de sirocco. Bouteilles de whisky bon marché servant de vases à des plantes pestilentielles. Le bureau du juge D. Rien ne se passe. C’est la scène du silence.

     

    Acte III, scène 2 – Le juge D. somnole. Dans un tintamarre d’enfer, le juge G. surgit comme un métal hurlant, se rue sur son collègue, veut lui faire avaler sa barbe. Par la fenêtre ouverte, on n’entend que le bruit des sirènes. C’est le Super-Procureur qui arrive.

     

    Acte III, scène 3 – Déjà, le juge G. a pris la fuite. Le juge D. cherche ses lunettes, hélas écrasées par la piétinante folie de l’intrus. Il saigne du nez, tente de se relever. Retombe. Il revoit passer sa vie, une vie de juge, l’intimité des prétoires, la jouissance des dossiers. Il est là, presque heureux, à gésir au milieu des cafards.

     

    Acte III, scène 4 – Brisant la fenêtre, le Super Procureur arrive. Du ciel ! Cuir noir, moulant, masque sur les yeux, grande cape, celle des side-cars de la Wehrmacht, à l’époque bénie de la Meuse franchie. Incommodé par l’odeur, le Super Procureur se protège les narines d’un revers de son gant de dresseur d’aigles.

     

    Acte III, scène 5 – Les scellés – Le juge D., encore à terre, tout à gésir, regarde, impuissant, la porte du paradis se refermer. Rends-nous les documents, hurle le Super PG, l’infortuné juge déjà n’entend plus. Déjà, il est ailleurs. Une délicate mésange, sur le rebord de la fenêtre, vient se poser. Elle a la grâce du passage. Rideau.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Budget: les leçons d'un refus

     

    Sur le vif - Samedi 13.10.12 - 10.15h

     

    Le refus du budget, hier soir, par une nette majorité (54 contre 38), constitue un signal de premier ordre et un tournant dans une législature qui, pour le Conseil d’Etat, s’achève lamentablement. Il est certes revigoré, ce gouvernement, par le sang frais d’un Maudet, mais l’équipe est catastrophique, elle ne dégage aucune vision, aucune projection, si ce n’est de lointaines chimères concernant la région, ou la (congestion de toute) circulation en 2030. À ce Conseil d’Etat-là, incapable de s’en sortir (dixit l’UDC Eric Leyvraz) avec un budget de 8 milliards, il convenait de donner une leçon.

     

    C’est chose faite. Et l’arrogance d’un François Longchamp, oubliant parfois qu’il parlait aux élus du peuple, et ultimes responsables du budget, n’y changera rien. En voilà un, d’ailleurs, dont on ne cesse de nous dire, qu’on va en prendre pour cinq ans avec lui (en voilà une belle raison de voter non demain), dont il va falloir, de très près, contrôler les appétits de pouvoir absolu. Le pouvoir d’un super administrateur, d’un géomètre précis, plaçant ses hommes partout, ne laissant rien au hasard, et beaucoup d’autres choses encore.

     

    Revenons au budget. La leçon politique d’hier, c’est qu’allié avec deux partis de la Marge qu’il a jusqu’ici considérés comme des gueux, un PLR clairement inscrit dans sa famille politique naturelle, refusant les tiédeurs de bénitier des uns et les illusions écolo-libertaires des autres, peut faire la politique de ce canton. L’infléchir sérieusement, en tout cas. Et cette fois, enfin, avec une lisibilité politique (pour le rejoindre ou pour le combattre) que la population appréciera. Toutes ces années de gages, à pures fins électoralistes, donnés aux Verts (qui, bien sûr, hier soir, s’étouffaient d’indignation), ont été de nature, hélas, à diluer l’entendement même de la politique radicale, ou libérale.

     

    Mais cette ère est révolue. La récréation est terminée. On la vu avec l’affaire Vibourel, on l’a vu, en Ville, avec le camouflet aux rues piétonnes. Il y a, dans ce canton, une gauche et une droite. Il y a, quelque part, un Marais centriste qui pourrait bien payer assez cher, à l’automne 2013, la moiteur de son opportunisme poitevin. Et les mêmes hommes, chez les radicaux, qui faisaient il y a peu des courbettes aux Verts, sont ceux qui, aujourd’hui, reprennent à leur compte (par exemple en matière de préférence cantonale) le discours honni du MCG.

     

    Oui,  cette décision d’hier soir marque un tournant. Et peut-être, au fond, la première mise en action des troupes pour la campagne électorale. Sur des bases qui méritaient d’être clarifiées. Les mêmes qui, pour leur destin personnel, avaient brouillé le message en 2009, sont ceux qui, aujourd’hui, lui rendent clarté et lisibilité. Par pragmatisme : ils ne connaissent d’ailleurs que cela.

     

     

    Pascal Décaillet