Sur le vif - Vendredi 01.02.13 - 18.44h
Et maintenant, Monsieur Sanchez. Ça n’est certes pas la fin du monde, ni les grandes migrations, ni l’exode à travers la mer Rouge, ni la fin souffreteuse de la République de Weimar. En soi, ça n’est presque rien. Car ce qui est fou, ce ne sont pas les transferts. Non. C’est, chez les partis installés, ceux qui ont l’arrogance de se proclamer « gouvernementaux », comme si on l’était par essence et non par la volonté du peuple, ce cocktail de réactions à la fois méprisantes, moralisantes, ou alors ce doux frisson tétanisé, la jouissance par l’angoisse ou par la chair de poule. Le passage, ruisselant de désirs mêlés, d’une bourgeoise dans une ruelle noire.
Car enfin, numériquement, pas de panique : trois transferts, en soi, ça n’a aucune pertinence pour nous annoncer un raz-de-marée du MCG le 6 octobre. Mais au-delà des chiffres, il y a l’inhibition. Comme dans un couple : pourquoi part-il, ou elle, qu’ai-je mal fait, ça ne peut être qu’à cause de moi, je suis un misérable, allez au fond ce qui m’arrive, je le mérite. Le parti de Stauffer nous a comme enivré Genève. Si quelque chose arrive, je me regarde moi, je m’en veux, je m’ausculte, je m’introspecte, je me fustige, me lacère. Et puis non, dites-moi, oh dites-moi, comme dans la chanson, qu’elle est partie pour un autre que moi, mais pas à cause de moi.
Oui, les héros de l’histoire ne sont ni le MCG, ni les transfuges, mais bien la marécageuse incertitude de soi, oui l’état de délabrement idéologique des partis dont on part. Qui sont-ils ? Quelles valeurs ? Hélas, trop souvent des associations de notables, oh sympathiques, ils se tutoient, s’embrassent, se rendent des services, se partagent postes et prébendes dans la jungle des conseils de fondation que compte Genève. En clair, ils tiennent le pouvoir. Ce fameux pouvoir horizontal, partagé, multiple, mais qui, l’air de rien, demeure depuis des décennies celui de la Caste.
Ce qu’ils voudraient, le 6 octobre et le 10 novembre prochains, c’est le garder, ce pouvoir. Ils veulent cela, et rien que cela. Ils en ont parfaitement le droit. Mais il ne faut pas qu’ils continuent de nous faire le coup des « partis gouvernementaux », parce qu’un beau jour, ils finiront bien par ne plus en être. Alors, que feront-ils de l’adjectif ? Oui, ils veulent se maintenir, rien que cela. Et d’autres partis, d’opposition, ou de la Marge, aspirent, quant à eux, comme dans n’importe quelle démocratie du monde, à être aussi, un certain temps, aux affaires. Il n’y là rien de grave, rien de singulier, rien de ce drame moral ni de ce délitement des mœurs politiques dont rêve – ou cauchemarde – la bourgeoise parfumée de la ruelle noire.
Marécageuse incertitude de soi. Obsédé par les prébendes, les nominations de copains, on n’a pas vu qu’on glissait. Automne 2009, pour avoir le fric du patronat dans la campagne, on ne jure que par la libre circulation déifiée, sans entraves. Jouir du marché, sous-enchérir, libéraux sur l’étiquette, libertaires pour engager ou dégager. Et ça gueule, chez les Gueux, mais justement ce sont des Gueux, alors qu’ils gueulent. A mi-législature déjà, ce cirque est terminé, on reconnaît au plus haut niveau la primauté de l’emploi aux résidents, dans le Petit Etat, le Moyen Etat, le Tiers Etat, on se fout d’ailleurs du tiers comme du quart, on pique aux Gueux leur idée originale, en réalité on commence à paniquer : c’est cela, cette inconsistance, cette arrogance, oui cela le Marécage. Et de cela, en effet, il pourrait bien y avoir, le 6 octobre, une certaine sanction. Au profit de l’original.
C’est ce mouvement de fond qui compte, l’absence de charpente de ceux qui sont actuellement aux affaires. Leur côté juste clanique. Famille. Copains. Il y a quelque chose, profondément, qu’ils n’ont pas vu venir. Le 6 octobre, l’addition viendra.
Pascal Décaillet