Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 01.02.13
La Suisse est une petite fleur fragile. Petit pays, l’un des plus menus d’Europe, pas tant de richesses naturelles, une Histoire complexe et passionnante, vingt-six Etats en un, comme un condensé ventral des tensions de l’Europe. Nous sommes au cœur de ce continent, en parlons les langues, lui livrons les eaux de nos fleuves, y passons nos vacances, et eux chez nous. Nous avons juste fait le choix de ne pas être dans l’actuelle institution appelée Union européenne. Mais européens nous sommes, jusqu’aux tréfonds de nos identités.
Fragile, parce que le pays, au moins depuis 1848, s’est construit sur la magie de quelques équilibres. Les langues, les religions, la ville et la campagne, la plaine et la montagne, les régions prospères et la périphérie. Mais aussi, la dialectique de la Raison, chère aux radicaux historiques, avec ou sans l’Equerre, face à la chaleur émotive, plus immédiate, de l’appartenance. Dans « pays », il y a paysage, paysan, toute cette dimension de l’indicible, ce qui nous relie. Je ne puis, par exemple, depuis l’aube de mon âge, apercevoir le Catogne (en arrivant, depuis le Léman), ni le Grand Combin, ni le Dolent, sans être aussitôt saisi d’émotion. Ce lien est aussi celui avec la mort, le souvenir de ceux qui nous ont quittés, si présents.
Je ne puis penser au pays sans songer à la mort. Sans tristesse, juste la puissance du lien. Aimer le pays, c’est avoir infiniment parcouru son Histoire. Vingt-six Histoires ! Toujours à réécrire. Ni le mythe béat du Grütli, ni la coulpe excessive des années Bergier. La lente maturation d’un pays, puis celle d’une démocratie. Avec, à partir de 1848, des institutions exemplaires, que l’étranger nous envie. Ces vingt-six Histoires cantonales, toutes plus passionnantes les unes que les autres, il nous faut les pénétrer, doucement. Elles nous offrent un tableau saisissant de nos réalités multiples, loin de l’archaïsme, à vrai dire une modernité sans cesse réinventée. Ils ont chassé le patricien, érigé le bourgeois, codifié leur vies communautaires. Et puis, dès le milieu du dix-neuvième, ils ont ajouté à leurs vingt-cinq communautés un échelon supérieur. Librement consenti !
J’ai à peu près tout lu ce qui était lisible sur le Valais du dix-neuvième, les bagarres entre conservateurs et radicaux, idem sur Vaud, Genève. L’Histoire industrielle, aussi, des premières filatures de Suisse orientale à nos biotechs d’aujourd’hui. Bien sûr que le pays avance, il n’est de régression que dans nos peurs. J’ai aussi, passionnément, aimé l’Histoire de notre presse : vingt-six Histoires. Et les idées qui passent, et s’entrechoquent. Et le pays qui, doucement, se construit. Et les morts, ces chers morts, qui revivent. Et la vie qui nous emporte, la vie sublime, la vie qui va. Vers quels rivages ?
Pascal Décaillet