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Sur le vif - Page 789

  • Des Etats généraux, à en perdre la tête

     

    Sur le vif - Mardi 07.10.14 - 16.38h

     

    A Genève, le dernier must, la mode dernier cri, n’est plus de prendre des décisions, mais de convoquer des états généraux. Ça fait très Versailles, 8 août 1788, où sans doute pour fêter la déferlante de « 8 » dans la date, Louis XVI, cédant aux pressions, avait fini par appeler à siéger une instance qui ne s’était plus réunie depuis… 1615. Eh oui, 173 ans auparavant ! La suite, on la connaît : les Etats se réunissent le 5 mai 1789, le Tiers fait des siennes, le Jeu de Paume défie les baïonnettes, la Révolution française commence.

     

    Nous avons, à Genève, nos petits Louis XVI. Oh, ils ont encore la tête sur les épaules, sont sans doute moins portés sur la serrurerie, n’ont pas à côtoyer l’Autrichienne amatrice de brioche. Mais tout de même. Cette furie des états généraux ! Etats généraux des transports, Rencontres du logement, états généraux de la détention et de la probation (si, vous avez bien lu), tout n’est plus chez nous qu’Assises, échanges, écoute. Les ministres ne gouvernent plus : ils prêtent l’oreille. Avec usure, of course.

     

    Il y a, dans cette mode, une posture. Celle de se prétendre bon prince, en phase avec le terrain, au diapason de la population. Tout, dans l’acte politique, ne serait que procédure de consultation permanente, confession sucrée de l’âme des peuples. On consulte, on fait la synthèse, on brasse, on touille, on assaisonne, et on sert au public à peu près ce qu’il demande.

     

    Telle n’est pas ma conception de l’action publique. La seule « écoute » qui vaille, en démocratie, n’est pas celle de la doxa (l’opinion), mais bien celle du démos : tenir compte du peuple, non lorsqu’il susurre ou murmure, mais lorsqu’il décide. Le peuple en armes, ça n’est pas le peuple qui pérore, mais celui qui vote et qui tranche. Or justement, ce sont souvent les mêmes princes qui, tout appliqués au semblant de l’écoute, sont les premiers à ignorer les décisions du suffrage universel, en freinant au maximum leur application.

     

    Transports, logement, détention : dans les deux premiers ministres concernés, je ne m’étonne pas de la démarche. Elle traduit le populisme sympathique, centriste et attrape-tout (à commencer par l’électeur) du premier, la légèreté du deuxième. Il me plaît moins de découvrir la posture chez le troisième, radical régalien frotté aux dimensions d’exigence de l’ascèse républicaine. Mais sans doute a-t-il cédé là à une mode aussi passagère que l’automne, celle des ultimes et flamboyantes couleurs, pour mieux conjurer l’imminence du frimas. Juste avant les Révolutions, n’est-il pas délicieux de s’imaginer éternel ?

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Aux Etats, le peuple, ça fait sale

     

    Sur le vif - Lundi 06.10.14 - 16.54h

     

    Invalider. Ils n’ont plus que ce mot à la bouche. Invalider les initiatives, même si ces dernières ont dûment obtenu les cent mille signatures nécessaires, souvent beaucoup plus. Les invalider, parce qu’on les juge « dangereuses ». Dangereuses, pour qui ? Pour l’intérêt supérieur du pays, ou pour la tranquillité notariale de la classe politique actuellement au pouvoir ? Tranquillité. Rotondité. Langueurs sénatoriales, dans cette Chambre qui devrait représenter les Cantons, et non censurer la démocratie directe, l’un de nos biens les plus précieux en Suisse : tous nos voisins nous l’envient !

     

    Oui, j’ai vu rouge en lisant hier la « Schweiz an Sonntag ». Non, je n’admets pas qu’une Commission (celle des Institutions politiques, en l’espèce) du Conseil des Etats vienne, du haut de son promontoire bernois, élaborer des règles visant à niveler, dans les textes d’initiatives populaires, tout ce qui gêne et dépasse. Invalider, niveler, tondre : nous les citoyens, hommes ou femmes, Romands, Alémaniques, italophones, de gauche ou de droite, n’avons pas à nous laisser dicter l’ordre du convenable, en matière de démocratie directe, par des parlementaires fédéraux.

     

    Une initiative, je ne cesse de le répéter, c’est une affaire du peuple avec le peuple. Le défi lancé, par quelques citoyens au départ, à l’ensemble du corps électoral de la Confédération, ainsi qu’à nos vingt-six Cantons, la double majorité étant requise. Sur quels sujets ? Mais justement, parbleu, sur ceux que les 246 parlementaires fédéraux n’ont pas jugés bon de humer, peut-être parce que le fumet populaire les incommodait. Initiative des Alpes, lex Weber, renvoi des criminels étrangers, immigration massive (9 février 2014), et demain Ecopop (30 novembre 2014) : autant de sujets ignorés, sous-estimés par nos parlementaires fédéraux, tiens justement par le Conseil des Etats. Autant de sujets méprisés, vilipendés, jugés indignes de parvenir au jugement suprême, celui du suffrage universel : les quelque quatre millions d’électeurs potentiels de notre Confédération, et les vingt-six Cantons.

     

    Insupportable, le signal d’arrogance délivré par cette Commission des Etats. Si une initiative est mal ficelée, le peuple citoyen (ces quatre millions, justement) est largement assez mûr, assez rôdé à l’ascèse de la sagacité démocratique, pour en juger lui-même. Le suffrage universel suisse n'a nul besoin d'un "Comité de Sages", ni parlementaire ni judiciaire, pour dessiner à sa place la géométrie de l'acceptable. Cette proposition scélérate de quelques sénateurs mérite un seul classement : celui, vertical, de la poubelle

     

    Pascal Décaillet

     

  • Traversée, logements : le mirage doré des PPP

     

     Sur le vif - Vendredi 03.10.14 - 10.47h

     

    Faire de la politique, notamment quand on assume une charge, c’est croire en l’Etat. Inscrire son action dans le cadre de la chose publique. On peut militer pour plus ou moins d’Etat, c’est une question de régulateur, mais le seul fait de s’être présenté à une élection républicaine délimite au candidat le périmètre de son action future : il pourra pratiquer une politique de gauche, de droite, du centre, tout ce qu’il voudra, mais dans le cadre de l’Etat. Lequel n’est ni un club, ni une société privée. De quels grands commis l’Histoire a-t-elle retenu le nom ? De Philippe le Bel à Louis XI, de Louvois à Richelieu, de Bismarck à Jules Ferry : des hommes qui ont, de toute la puissance de leur génie et leur énergie, lutté pour écarter, dans le cadre public et dans nul autre, le champ du possible.

     

    Hors de l’Etat, entendez par ce mot la volonté des humains de codifier leur organisation politique et sociale, et s’il vous plaît n’entendez pas une armada de fonctionnaires derrière des guichets, hors de ce cadre qui a fondé nos sociétés modernes, la politique ne peut avoir de sens que comme aventure personnelle, pulsion libertaire, exercice néo-féodal du pouvoir, par exemple par la tyrannie de l’Argent. C’est une option de la vie en communauté. Ca n’est pas la mienne.

     

    A cet égard, comment ne pas s’étonner, à Genève, de voir deux conseillers d’Etat, provenant comme par hasard de partis très éloignés des rigueurs régaliennes, le Vert et le PDC, nous brandir allègrement, dès que surgit une difficulté budgétaire, le mirage doré du « Partenariat Public Privé », ci-devant compressé dans le triptyque palatal « PPP ». Il faudrait financer la future (et bien lointaine) traversée du lac par des « PPP ». Il faudrait (le Temps d’aujourd’hui) créer une fondation public privé pour faire enfin émerger des logements à Genève.

     

    Il y a, dans cette rhétorique aussi légère que floue, l'abdication assumée de l’une des grandes ambitions qui fondent nos sociétés depuis la Révolution française : inscrire les grands projets, les grands travaux, non dans la générosité d’une prince mécène, mais dans la volonté collective des citoyens. Voulus par eux, conçus par eux, corrigés et contrôlés par eux. Donc, financés par eux. Avancer d’emblée l’appel aux fonds privés, c’est reconnaître que les caisses de l’Etat sont vides, qu’on n’a plus la moindre imagination pour les remplir, c’est avoir peur de se rendre impopulaire en articulant l’idée d’impôt. C’est déchirer bien imprudemment le contour imposé de l’action publique, pour s’aventurer vers des donateurs dont on se demande bien quelles contreparties, le jour venu, ils exigeront pour leur générosité. C'est revenir à l'Ancien Régime.

     

    Je ne conteste pas ici l’intérêt d’avoir parfois recours aux fonds privés. Mais enfin, l’idée même de la République, depuis un peu de deux siècles, c’est que ces fonds contribuent à l’effort commun, non par l’arbitraire d’un don, mais par le biais de la fiscalité. Ce qui me paraît très contestable, c’est de brandir d’emblée le PPP, en amont de toute discussion. Avant même d’avoir sollicité du peuple ou de ses élus la réflexion citoyenne sur ce qu’il veut entreprendre, ou ce à quoi il préfère renoncer. Gouverner, c’est choisir. Gouverner la République, c’est opérer ses choix dans le cadre de l’Etat.

     

     

    Pascal Décaillet