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Sur le vif - Page 788

  • La solitude, la petite mort, le partage de la joie

     

    Sur le vif - Vendredi 10.10.14 - 18.52h

     

    Longtemps, les journaux ont été l’une des grandes passions de ma vie. Le bon vieux journal papier, que j’ai compulsivement collectionné depuis l’âge de douze ans, très précisément depuis cet inoubliable Paris Match relatant les funérailles de Charles de Gaulle, en novembre 1970. Mon père me l’avait offert, il y a entre autres un texte de Jean Cau d’une incroyable densité de plume, j’en ai fait mille fois le tour, je l’ai encore. Jusqu’à l’apparition d’internet, je ne vivais que pour les journaux. Un jour, pour me récompenser d’un Prix de journalisme que j’avais reçu, un confrère m’avait offert, dans des cartons de bananes Chiquita, des centaines de journaux de l’époque de l’Affaire Dreyfus, sur laquelle j’avais justement réalisé une série historique radiophonique. Il ne pouvait me faire de plus beau cadeau.

     

    Aujourd’hui, je ne touche que très peu le papier, les neuf dixièmes de ma consommation (toujours énorme) d’articles se passent sur internet. Alors, comme nous tous, j’attends du papier autre chose qu’une simple donnée d’informations. Quelque chose de puissant. De magique. De l’ordre d’une irruption, d’un parfum, ou alors d’une communauté invisible, celle des Revues littéraires du début du vingtième siècle, couverture blanche de Gallimard, Revue des Deux Mondes, Revue Esprit. Ou encore cette éblouissante Revue Choisir, de mes amis Jésuites, ou Nova et Vetera, fondée par l’Abbé Journet, et puis tant d’autres. Pourvu que cela fleure l’engagement. Le choix. La précision de l’angle. L’immensité d’une solitude.

     

    Je viens de lire intégralement le no 41, 10 octobre 2014, de Gauchebdo. Il surpasse, par l’appel d’air de ses fenêtres ouvertes, toutes les autres éditions de ces dernières semaines. Un édito délicieusement assassin de Jérôme Béguin sur l’embourgeoisement des socialistes en Ville de Genève (je vous salue au passage avec affection, Chère Sandrine). Un reportage sur les « damnés de l’asile ». Un papier de fond sur le Brésil, en pleine présidentielle. Les revendications d’exilés colombiens à Genève. Et un second cahier, culturel, qui relègue les suppléments week-end de nos braves quotidiens au statut de Catalogues de la Redoute de la promotion et de la complicité sucrée. Il y a du choix, de l’angle, du courage, « de la douleur et du néant », du théâtre, de la musique (Abbado), de la littérature romande, et une remarquable analyse de dernière page sur l’Ukraine.

     

    Quand je lis Gauchebdo, je suis fier que mon métier existe encore. Et qu’il demeure, pour les gens de plume, d’autres valeurs que l’argent, le clinquant, l’insolence. En huit pages seulement, ce numéro 41 nous réconcilie avec l’envie de toucher du papier, humer l’encre, mettre en œuvre notre faculté de mémoire, nos océans de nostalgie. Je repense à ces dimanches entiers, si lointains, de mon enfance, où la lecture était seule, salvatrice, rédemptrice occupation. Il m’est parfaitement égal, aujourd’hui, de rejouer avec un journal de gauche ou de droite, homo ou hétéro, catholique ou athée, ce jeu si délicieux de petites morts et de résurrections. Une fois de plus, je dis merci aux gens de Gauchebdo d’exister. Avec leur journal, je voyage dans le temps. Le mien. Celui de mon esprit vagabond, solitaire, et pourtant toujours en quête d’une joie partagée.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Déchoir, disent-ils

     

    Sur le vif - Vendredi 10.10.14 - 10.13h

     

    Les temps sont violents, c’est vrai, nous sommes confrontés à des horreurs. Nos Etats de droit, nos Républiques, ne doivent évidemment pas baisser les bras face à ceux qui veulent saper les fondements de leurs valeurs. Tout cela oui. Mais l’inflation du discours. La démesure dans la réponse. La résurrection de peines ancestrales. Le Talion. La haine. La vengeance.

     

    Laissons ici la peine de mort, sur laquelle je n’ai même pas envie de m’exprimer. Mais la légèreté avec laquelle, depuis quelques mois, des voix s’élèvent – et jusqu’à un bel esprit dont j’apprécie l’acuité – pour évoquer la notion de « déchéance de la nationalité ». Déchoir, disent-ils. En brandissant cette peine comme si elle devait relever de l’arsenal de nos sanctions les plus banales, couramment utilisées.

     

    A ces mêmes qui brandissent la connaissance de l’Histoire, rappelons juste que le régime, dans l’Europe du vingtième siècle, qui s’est illustré par la loi de déchéance, ou même des « commissions de déchéance » (comme il existe des commissions de naturalisation) fut celui de Vichy, brillamment actif comme on sait entre juin 1940 et août 1944.

     

    Vichy, ça n’est pas l’Allemagne nazie. Ce sont juste quatre années d’Histoire de France. Quatre années bien davantage dans la continuité que dans la « parenthèse » qu’on a essayé, plus tard, de nous faire croire. Les hauts fonctionnaires, les magistrats judiciaires, étaient les mêmes que sous la Troisième, on les retrouvera (la plupart) dans la Quatrième, voire sous la Cinquième. Une partie de la classe politique, aussi. Jusqu'au plus haut niveau.

     

    Le régime de Vichy n’est évidemment pas né le 22 juin 1940, ni même le 10 juillet lorsque l’Assemblée s’est auto dissoute, mais quelque part entre 1894 et 1906, dans l’immense drame passionnel que fut l’Affaire Dreyfus. Naissance de l’Action française. Mise sur pied des grandes Ligues qui traverseront la fin de la Troisième, et dont la tendance idéologique eut l’occasion (« Divine surprise »), de 1940 à 1944, de se retrouver, pour la seule fois depuis la Révolution, aux affaires.

     

    C’est ce régime-là, celui de la rafle du Vel d’Hiv (juillet 1942) et de la complicité dans les déportations, qui avait si sympathiquement revivifié le concept de « déchéance de la nationalité française ». Il conviendrait que ceux qui, aujourd’hui, osent brandir tout benoîtement le même mot, dans une insensibilité aussi effrayante au fracas sonore des syllabes, s’en souviennent.

     

    La déchéance, comme la peine de mort, ils ont évidemment le droit de l’envisager. Dans une discussion, on a droit à tout. Il ne s’agit pas de les censurer. Non. Juste leur brandir le miroir de références par eux-mêmes articulées. Comme un écho du tragique. Dans la nuit d’encre de l’Histoire.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Immigration : le PLR ne manque pas de culot

     

    Sur le vif - Mercredi 08.10.14 - 16.49h

     

    Le PLR suisse ne manque pas d’air. Dans un communiqué diffusé cet après-midi, il affiche « la maîtrise de l’immigration » comme l’une de ses deux priorités, avec les bilatérales. Va pour ces dernières, où sa ligne est cohérente, et d’ailleurs sans doute majoritaire dans le pays. Mais l’immigration ! Dans le style récupération éhontée du thème identitaire d’un parti concurrent, le PLR pulvérise tous les records.

     

    Le parti qui ne cesse, depuis deux décennies au moins, d’avancer le thème de l’immigration, n’est évidemment pas le PLR, mais l’UDC. Le parti qui n’a cessé, sur ce thème, de combattre l’UDC, par exemple dans la campagne du 9 février 2014, c’est justement le PLR. Que demandait l’initiative « Contre l’immigration massive », acceptée par le peuple et les cantons à la grande fureur du PLR : précisément, une meilleure « maîtrise de l’immigration ». Ce texte, les gens du PLR, tout au long d’une campagne dûment stipendiée par le patronat, alias Économie Suisse, n’avaient cessé d’en dénaturer l’esprit, les uns parlant de « xénophobie », les autres nous annonçant l’asphyxie économique du pays.

     

    Ne refaisons pas la campagne. Chacun pense ce qu’il veut du 9 février. Mais au moins, appelons un chat un chat. Et sachons reconnaître l’original de la copie, la paternité du plagiat, la prise en compte d’un thème en amont, par rapport  à la récupération. Il y a, dans le parti appelé « PLR », deux composantes de philosophie politique. L’une, la composante radicale, a fait la Suisse moderne, construit et développé l’Etat, dessiné (avec d’autres, dont les socialistes) les contours de nos assurances sociales. L’autre, la composante libérale, malgré de grandes figures humanistes, ne peut pas s’enorgueillir d’un tel legs. Et surtout pas ce qu’elle est devenue depuis une trentaine d’années, apôtre de la dérégulation, casseuse de services publics, prosternée devant le Veau d’Or de l’Argent facile et de la spéculation. Vouloir faire cohabiter radicaux et libéraux au sein d’une même famille, c’est se heurter continuellement à une contradiction majeure, quelque chose de puissant autour du rôle de l’Etat, sur lequel ces deux courants divergent.

     

    Dans tous les cas, le PLR, en affichant la « maîtrise de l’immigration » comme l’une de ses deux priorités, fait preuve d’un culot inégalé dans la politique suisse depuis la guerre. Il pique à un parti concurrent l’un de ses thèmes existentiels. Les électeurs, le jour venu, sauront reconnaître l’original de la copie. Quant au PLR, tant qu’il n’aura pas réinscrit la République au rang de ses priorités, tant qu’il donnera le sentiment d’inféodation aux puissances de la finance, avec ses parlementaires commis-voyageurs des banques privées, des pharmas, ou du lobby des caisses maladie dans la Berne fédérale, il continuera de nager en eaux troubles. Dommage pour ce parti, du moins pour sa composante historique et républicaine, les radicaux.

     

    Pascal Décaillet