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Sur le vif - Page 791

  • Etats 2015 : longue vie à la gauche !

     

    Sur le vif - Mercredi 24.09.14 - 10.14h

     

    Dans mes années bernoises, j’adorais aller au Conseil des Etats. Il y avait cette antichambre si paisible, sans un bruit, l’odeur de la pipe de Gilles Petitpierre, le souvenir de très belles discussions avec cet homme brillant, mais aussi la parfaite courtoisie de tous, le sourire de mon ami Otto Schoch, représentant radical des Rhodes Extérieures d’Appenzell, qui avait présidé en 1990 une commission sur la réforme de l’armée à laquelle, avec entre autres Uli Windisch et Martin Killias, j’avais eu l’honneur d’appartenir. Nous avions siégé toute une année, dans tous les coins du pays.

     

    Les Etats, c’est la Chambre des Cantons. Autant dire que dans un pays fédéraliste, ça n’est pas rien. Les 46 représentants du « Stöckli » défendent bien sûr l’intérêt du pays tout entier, mais aussi celui de leurs cantons respectifs. Très important dans les questions touchant, par exemple, aux finances, aux grandes infrastructures routières ou ferroviaires, à l’assurance maladie. Ils sont ceux, véritablement, qui montent à Berne pour défendre l’intérêt supérieur de leur canton. On y parle assis (ce qui m’a toujours un peu dérouté), chacun dans sa langue, sans traduction. On attend donc d’un conseiller aux Etats francophone un bon niveau d’allemand, et l’inverse pour les germanophones. Quant aux représentants de la Suisse italienne, aucun souci pour eux : la plupart parlent parfaitement trois de nos quatre langues nationales.

     

    Et puis, il n’y a que deux conseillers aux Etats par canton (un seul par demi-canton), alors qu’au National, la représentation est proportionnelle au nombre d’habitants : beaucoup d’élus pour Zurich, très peu pour Glaris. Deux par canton, c’est plus visible. Le poste est donc, au moment des élections fédérales, particulièrement prisé. Mais le chemin d’accès est tout sauf facile : les politiciens les plus chevronnés s’y sont cassé les dents, Blocher par exemple.

     

    Il faut, aux Etats, des personnalités rassembleuses. Capables de faire des voix sur leur personne, au-delà de leurs familles politiques. Olivier Reverdin, qui avait été mon professeur à l’Université, mais aussi le patron du Journal de Genève, un helléniste hors pair, le président de l’Assemblée du Conseil de l’Europe et du Fonds national de la recherche scientifique, en était une, respecté au-delà de son étiquette libérale.

     

    Dès lors, qui représentera Genève aux Etats entre 2015 et 2019 ? Face aux deux sortants, la socialiste Liliane Maury Pasquier et le Vert Robert Cramer, qui tiennent la place et bénéficient de l’avantage du terrain, ayant tissé leurs réseaux, qui de droite pour oser s’emparer de l’un des sièges, voire les deux ? Réponse : à ce jour, d’une façon qui serait évidente, personne. Car dans la droite genevoise, principalement l’Entente, les grandes figures n’existent plus. Les dernières d’entre elles, ultimes cartouches, ont été casées au Conseil d’Etat. On n'imagine guère qu’à peine élus, ou réélus, ces gens aient le front de trahir leurs électeurs (pour cinq ans) pour s’en aller à Berne. Car désormais, il faut choisir : on est conseiller d’Etat ou aux Etats, pas les deux.

     

    Dans la députation actuelle au National, on ne semble pas se presser au portillon pour courir au casse-pipe, le dernier ticket d’Entente, pourtant constitué de deux locomotives, avait échoué il y a quatre ans, cela laisse des traces. Quant au recyclage d’anciens conseillers d’Etat, ayant déjà blanchi sous le harnais pendant douze ans, accompli une législature de trop et très modérément forcé leur talent dans l’ordre de la capacité de travail, on se dit que la Chambre des Cantons a peut-être une autre vocation que celle d’assurer des rentes à vie, aussi débonnaire et sympathique soit l’intéressé.

     

    Reste la question majeure, la stratégie électorale. Dans une élection de type majoritaire, il faut serrer les rangs. La gauche, disciplinée dans ces cas-là, sait le faire, et elle aurait tort de s’en priver. Mais face à elle, quid ? Une droite en lambeaux ! Des caciques de l’Entente qui ne cessent, à longueur de journées, au lieu d’attaquer la gauche, de s’en prendre à la troisième force du canton, dite « nouvelle », oui ce Tiers État de la politique genevoise, jailli des élections cantonales, et qui assurément aura marqué d'ici là des points, notamment dans les communes suburbaines, aux municipales du printemps 2015. Si l’Entente et le bloc MCG-UDC ne sont pas capables de passer des accords sur des personnes rassembleuses, le duo Cramer – Maury Pasquier perdurera. Nous pourrons dire « longue vie à la gauche », et nous frotter les mains d’avoir à Genève la droite la plus bête du monde.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Et Dieu créa la nostalgie

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    Sur le vif - Mardi 23.09.14 - 15.45h

     

    Les jeunes, aujourd’hui, ou les amnésiques, ne voient en elle que la dame de 80 ans qu’elle sera dimanche. D’abord, je veux dire ici que c’est très beau, une dame ou un homme de 80 ans, c’est une vie encore présente, une somme de bonheurs et de cicatrices, une mémoire. J’ai eu la chance de voir mes parents dépasser cet âge, n’ai jamais eu l’impression d’un naufrage, juste la vie qui va, vers son terme. Le destin de Bardot, vieillir, est notre lot à tous. Moi aussi, je me sens vieillir. Et toi, qui me lis ?

     

    Bien sûr, cette octogénaire a quelque chose d’un peu particulier : elle fut l’une des plus belles femmes du monde. Elle le fut, et ne l’est plus : voir partir notre jeunesse, c’est aussi notre lot à tous. En cela, Brigitte Bardot n’est rien d’autre qu’un humain comme un autre, celui dont les années de lumière et de facilité s’éloignent, pour laisser la place au chemin d’aspérité. Mais aussi, à cette incroyable sérénité, délestée des angoisses de la jeunesse. Vieillir, ou mûrir si le mot vous fait peur, ça n’est justement pas accumuler, mais s’enrichir en se dessaisissant. Par soustraction, se préparer à l’essentiel.

     

    Toute ma vie, déjà enfant, j’ai aimé le passé, la nostalgie. Cela s’appelle le romantisme, allemand bien sûr, celui qui produisit les plus grands poètes, les musiciens. Et dans mon enfance, il y avait Bardot. Nul, de moins de cinquante ans, ne peut imaginer l’effet qu’elle produisait. Ça n’est pas de la star, pourtant, que je veux aujourd’hui me souvenir, mais de sa présence de feu sur les écrans. Je tiens le Mépris de Godard pour l’un des plus grands films du monde, Bardot y est tout simplement bouleversante. Je voudrais prendre ce film avec moi, pour unique viatique, sur une île grecque, dans les rivages éblouissants de la mer bleue, le voir et le voir encore. Le prendre, oui, dans l’ultime traversée du dernier fleuve, Styx ou Achéron, comme vous voudrez, le Petit ou le Grand Rhône, la Dranse ou le Trient me convenant aussi à merveille.

     

    Aujourd’hui, je veux dire merci à cette dame, à quelques jours de ses 80 ans. Je ne parlerai ni de ses positions politiques, ni de la cause animale, ni de la trace des ans. Je parlerai juste de la vie qui va, et de cette dame hors normes, naguère pour sa beauté, aujourd’hui pour sa liberté. Bon Anniversaire, Madame Bardot.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • La droite doit se réconcilier avec l'Etat

     

    Sur le vif - Dimanche 21.09.14 - 15.27h

     

    Avant de considérer l’éternelle triangulation entre les trois grandes familles des droites suisses (PDC, PLR, UDC), posée une nouvelle fois, ce matin, à fins électorales, dans la presse alémanique, avec sa faux d’agronome, par le géomètre Christophe Darbellay, il convient évidemment de se plonger dans l’Histoire. D’où viennent ces grandes familles de droite ? Surgies de quels combats, principalement au dix-neuvième siècle ? Portées par quels grands journaux, quelles grandes plumes, quelles grandes voix ? Installées depuis quand au plan fédéral ?

     

    Et puis, il faudra multiplier toute cette réflexion par vingt-six, nos Histoires politiques étant éminemment cantonales : le radicalisme valaisan n’a pas grand-chose à voir avec le zurichois ; la démocratie chrétienne genevoise est fort éloignée des étendards noirs de la Suisse centrale. Sans cette approche diachronique, multiple et nuancée, l’observateur politique, faute de recul, se laissera trop facilement saisir par les pièges de la rhétorique électorale, tous partis confondus. Appel, donc à la culture. Appel à l’Histoire. Appel à lire voracement, par exemple, les ouvrages si remarquables d’Olivier Meuwly sur le destin de nos partis politiques suisses, ces deux derniers siècles. A l’exception de ce dernier, et Dieu merci de quelques autres, il manque aujourd’hui, en Suisse, une véritable école de réflexion sur la nature profonde, la philosophie, le chemin historique des différentes droites en Suisse, depuis 1848, voire 1798.

     

    J’affirme ici que dans l’improbable géométrie triangulaire des trois grandes familles que sont le PDC, le PLR et l’UDC, un facteur fatal d’illisibilité procède du divorce, depuis une trentaine d’années, entre une partie de la droite suisse et le sens de l’Etat. Je fais partie, comme on sait, des défenseurs d’un Etat fort (ce qui ne signifie pas tentaculaire), un Etat solide et dynamique, actif non seulement dans ses fondements régaliens (la sécurité, la défense nationale, les Affaires étrangères, les grandes infrastructures routières ou ferroviaires), mais aussi, avec la même puissance, dans les assurances sociales, la santé, l’école. D’où ma position, certes d’avance perdante, mais à laquelle je ne retranche rien, sur la Caisse publique. Or, cette défense de l’Etat (je dis de l’Etat, et non d’une armada de fonctionnaires derrière des guichets), pourquoi la droite, depuis plus d’une génération, l’a-t-elle laissée à la gauche ? Comment des hommes et des femmes de grande culture républicaine ont-ils pu à ce point se laisser phagocyter, depuis trente ans, par les mirages du libéralisme, souvent alliés à l’individualisme libertaire, le culte de l’argent facile, l’évanescence de la structure collective au seul profit de l’affirmation de la réussite individuelle ? Où sont-elles passées, les grandes voix radicales, populaires, joyeuses, celle d’un Jean-Pascal Delamuraz ? Doivent-elles, devant l’éternité, faire silence face à la religion du profit, ou tout au moins face à cette nouvelle génération de parlementaires fédéraux, montés à Berne comme commis-voyageurs de la banque privée, des magnats des grandes pharmas, ou des géants de l’assurance-maladie ?

     

    Oui, je regrette infiniment le temps des radicaux. Ils sont, en Suisse, ceux qui ont fait l’Etat moderne. Ils l’ont conçu intellectuellement, incarné par de grandes figures, réalisé par d’immenses projets collectifs. Cela, dans les cantons (Fazy, Druey) et au niveau fédéral. Oui, ces hommes-là, aux côtés de quelques socialistes d’exception, comme Tschudi à Berne ou Chavanne à Genève, ou d’un incomparable PDC comme Furgler, ont façonné la Suisse d’aujourd’hui. Ils avaient en commun un sens profond de l’Etat. Où sont-ils, aujourd’hui, ces hommes-là ? Pourquoi la droite suisse devrait-elle être à tout prix libérale, libre-échangiste, à l’anglo-saxonne, et tout l’intérêt, toute l’attention pour le domaine régalien devraient-ils être abandonnés à la seule famille de la gauche ?

     

    Immense erreur. Les années de bulle financière, de dérégulation, d’abandon de l’idée de service public, ont créé, dans les consciences suisses, une assimilation entre « droite » et « libéralisme ». Oh, le libéralisme a parfaitement le droit d’exister, d’avoir ses hommes et ses femmes, ses journaux, ses lobbys. Mais enfin, l’univers complexe et passionnant, pétri d’Histoire, de la droite suisse ne saurait se ramener à cette seule famille de pensée. Je plaide ici pour que ceux, dans les partis de la droite suisse (PDC, PLR, UDC) qui croient encore dans le rôle et la mission de l’Etat, se réveillent. On peut être de droite et aimer l’Etat. De droite, et aimer passionnément l’idée républicaine. De droite, et vouloir des assurances sociales puissantes, efficaces, solidaires et mutuelles, échappant aux mécanismes du profit, organisées dans l’intérêt de tous. Si la grande famille de pensée des droites suisses continue de laisser dériver le discours sur l’Etat dans les seules eaux territoriales de la gauche, alors elle fera le lit de tous ceux, dans notre pays, qui voudraient faire l’économie d’une réflexion collective, au seul profit de l’affirmation individuelle. Philosophiquement, c’est une posture. Politiquement, dans un pays comme la Suisse, construit sur l’acceptation des différences dans l’assomption d’un destin commun, c’est le début du suicide.

     

    Pascal Décaillet