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Sur le vif - Page 784

  • Le Salut par les Marges

     

    Sur le vif - Dimanche 02.11.14 - 15.50h

     

    La politique suisse étouffe de ses élites, et survit par les marges. De partout, dans les cantons comme au niveau fédéral, les signes se multiplient où l’innovation, la puissance de réinvention, la capacité de se projeter dans l’avenir, ne viennent plus des équipes au pouvoir ou dans les Parlements, mais de prises en charge de la politique par des citoyennes et des citoyens de ce pays. Principalement par l’usage d’un droit parfaitement prévu et codifié dans notre ordre démocratique : le droit d’initiative.

     

    Sur trois initiatives fédérales que nous aurons à trancher le 30 novembre, deux viennent des marges. Le texte sur les forfaits fiscaux est l’œuvre de La Gauche, un mouvement politique qui rassemble certes du monde, mais n’est que très peu représenté, parfois pas du tout, dans l’univers parlementaire suisse. Un mouvement qui est plutôt hors du sérail, et surtout à mille lieues de la combinazione horizontale, spécialité de tout parti suisse commençant à se fondre dans les législatifs : les socialistes un peu, les Verts avec une capacité d’adaptation au pouvoir qui défie l’entendement. La richesse de La Gauche, ce sont ses valeurs, sa puissance combative, et aussi la qualité de ses militants : Magali Orsini, à Genève, précise, documentée, amène dans les débats une richesse argumentaire qui va au-delà des rêves de Grand Soir ou de l’écarlate des banderoles.

     

    L’autre exemple est Ecopop. A côté des gens qui ont lancé cette initiative, La Gauche apparaît comme un parti installé et familier du paysage ! Les gens d’Ecopop, personne ne les connaît ! En Suisse romande, seul Philippe Roch, ancien patron de l’Office fédéral de l’environnement, s’est mouillé dans la bataille. Tous les partis y sont opposés. Tous, même l’UDC, mais tout observateur sait bien (à commencer par Adolf Ogi, qui ne s’y est pas trompé, et l’a dit ce matin à la presse alémanique) qu’une nette majorité de la base de ce parti votera ce texte. Singulière situation, au demeurant, sur laquelle nous reviendrons ici : le « parti du peuple suisse », celui qui se réclame des colères telluriques, dénonce les quarterons d’entente politicienne, se trouve être, dans l’affaire Ecopop, lui-même déchiré entre sa base et son sommet ! Il y aura, dans les mois qui viennent, et assurément d’ici au 18 octobre 2015, des leçons internes à en tirer.

     

    Ecopop, donc, rejeté par toute l’officialité, y compris l’Appareil de l’UDC. L’initiative sur les forfaits fiscaux, attaquée de toutes parts, partis bourgeois, patronat, associations professionnelles, éditorialistes caressant la compagnie sucrée des annonceurs, dans les cocktails : surtout ne pas se brouiller avec le géant de la presse pour laquelle on travaille, et dont l'essence libérale ne saurait souffrir contestation.

     

    Ecopop, forfaits fiscaux : dans les deux cas, le pari de départ de quelques-uns, le défi lancé à la tranquillité des établis, la volonté puissante de changer l’ordre des choses, en allant quérir le souverain suprême de ce pays, le suffrage universel. Désolé, Mesdames et Messieurs les installés, qui prennent de haut ces initiatives, mais il y a, dans ces deux exemples, quoi qu’on pense du fond, l’appel à l’énergie citoyenne, la tentative de mobiliser en masse, l’audace d’amener de vastes débats de fond sur la place publique : exactement, chers parlementaires, chers élus cantonaux ou fédéraux, ce dont vous n’êtes plus capables, tout occupés à vivre entre vous, à l’abri du tintamarre. Et à vous tutoyer sur les réseaux sociaux.

     

    Oui, les marges sont en train de sauver la vitalité du débat politique en Suisse. Le sortir du convenu. Elles le font en toute légalité, non par la doxa de rue, mais en usant des voies du démos. Elles le font par la raison, le choc des arguments : simplement, l’échelle du débat est sur quatre millions de citoyens, et non 246 parlementaires fédéraux, ou une centaine de députés cantonaux. Y aurait-il à s’en plaindre ? Les marges nous dérangent, parce qu’elles font irruption. Elles nous surprennent, nous interpellent, poussent chacun de nous, s’il veut accomplir jusqu’au bout son devoir de citoyen, à se prononcer sur des sujets d’intérêt général que nos bons vieux parlementaires n’ont simplement pas vus venir. En quoi faudrait-il le regretter ?

     

    En termes de stratégie, nous dirions que les marges tiennent ces temps, sans jeu de mots, la puissance d’initiative. Elles inventent, attaquent sans préavis, s’appuient sur le mouvement, construisent les masses nécessaires à la victoire. En un mot comme en mille, les marges font de la politique. Pendant ce temps, la Suisse des notables tente de réagir en faisant de la morale. Ou en prenant les initiants de haut. En essayant de croire, un peu, au moins encore un peu, comme dans la chanson de Piaf « Mon amoureux », à leur éternité au pouvoir.

     

    Mais l’éternité, c’est parfois un peu long. Et la vie, trop belle, trop intense, toute de braise, pour donner à l'infini un crédit autrement que dans l’ordre du mystique. Ou celui de la perfection mathématique.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Présence de nos morts

     

    A l'occasion de la Toussaint (une fête qui m'est chère), demain 1er novembre, et aussi du Jour des Morts (2 novembre), je republie ici ma chronique publiée il y a cinq ans, le 2 novembre 2009.

     

    Je dédie cette chronique à tous ceux que nous avons connus, aimés, et ne sont plus. Parents, amis, passagers de la pluie, passantes de feu, amantes d'un soir, vieux ennemis, poètes, chanteurs, anciens profs, ces sublimes hussards noirs de notre mémoire. Je pense à vous, Père Collomb, aumônier du primaire, années soixante, qui nous avez si bien enseigné la connaissance des autres religions : judaïsme, Islam, bouddhisme. A vous, votre sourire, votre bonté, je dédie des minarets de reconnaissance.

     

    Où sont-ils, maintenant ? On dit qu'ils vivent encore, dans les cœurs : parole de survivant, juste pour se rassurer ? Début novembre, on les évoque. Et toute ma haine d'Halloween, je la retourne en immense tendresse pour la Toussaint, ce frêle et dérisoire passage d'une bouffée de brume dans l'intensité solaire de nos vies si pressées. Juste penser à eux, juste un instant. Qui sont-ils, les vrais passants : eux, ou nous ?

     

    Qui sont-ils, les vrais vivants ? Qui est l'ombre, et qui la silhouette ? Où est-elle, la vraie vie ? Au-delà du rivage, en deçà ? Vous le savez, vous ? Vous y pensez, parfois, à vos morts : ou plutôt vous parvenez, une seule seconde, à n'y point penser ? Eux, humus de glaise et poussières d'étoile. Ils sont l'avant et l'après. Ils nous ont précédés. Ils nous attendent.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les Communes face au Régent : colère légitime

     

    Sur le vif - Jeudi 30.10.14 - 14.30h

     

    Les Communes genevoises sont en colère. Et elles ont raison. La manière dont le Régent François Longchamp leur applique le pistolet sur la tempe pour qu’elles répondent toutes affaires cessantes à un questionnaire particulièrement orienté et dirigiste sur l’avenir des relations entre le Canton et ses 45 Communes, n’est pas acceptable.

     

    Les Communes y sont traitées comme des enfants, le Régent leur fixe un devoir à domicile décidé par lui-seul, il établit tout seul des délais, et prépare la règle de plomb pour taper sur des doigts de ceux qui ne rendraient pas leur copie à l’heure. Le Régent infantilise les 45 Maires du Canton, et leurs collègues des Conseils administratifs. Il invente, tout seul, une représentation du monde inspirée de la préfectorale française, celle des Jacobins et des directives qui pleuvent du Ministère de l’Intérieur. Le Régent serait-il nostalgique des années 1798-1813 ?

     

    Qu’il y ait un vaste chantier à ouvrir, nul n’en doute, c’est même une obligation d’ici 2018. Oui, il y a des doublons, oui les tâches sont mal réparties, oui l’ACG (Association des Communes Genevoises) a les allures d’une nébuleuse, dont pas grand monde ne saisit exactement l’utilité. Sur le fond, le Régent n’a donc pas tort. Mais la tonalité ! Hier, que s’est.il passé ? On a littéralement MIS EN SCENE l’impérieuse nécessité de faire très vite, et aussi la prétendue négligence des Communes qui auraient tardé à accomplir, cet été, leurs devoirs de vacances. Tout cela, on s’est arrangé pour le FAIRE SAVOIR, histoire de bien montrer à quel point les services du Régent étaient fiables, et ceux des Communes, liquéfiés comme des montres molles. Cette monstration, en jouant aux Maires un véritable coup de Jarnac : eux, soumis à un embargo, n’avaient pas le droit de parler du dossier, alors que le Régent, coupant court, les grille pour mieux les mettre au pilori.

     

    La méthode est choquante. Elle révèle, une nouvelle fois, l’arrogance d’un conseiller d’Etat, toujours le même. Jamais le dossier n’aurait été traité de la sorte s’il avait relevé, par exemple, d’un Serge Dal Busco, magistrat qui allie écoute et humanité à la rigueur, comprend profondément l’échelon communal pour avoir été six fois Maire de Bernex, et d’ailleurs aussi président de l’ACG.

     

    Les Communes ne sont pas des enfants. Le Régent n’a pas à les traiter comme tels. Certes, le Canton est autorité de surveillance des Communes, mais n’a pas pour autant, avec la ficelle de questionnaires prémâchés, à organiser tout seul, d’en haut, comme on  le ferait en quelque place Beauvau, les thèmes d’une réforme certes nécessaire, mais en aucun cas avec un tel degré d’urgence. Leur colère, les Maires genevois doivent la dire clairement au Régent. Car le Grand Horloger doit commencer à comprendre, tout là-haut, qu’on n’agit pas avec les hommes et les femmes élus pour mener les Communes, avec l’insensibilité géométrique de celui qui administre un cadastre.

     

    Pascal Décaillet