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Sur le vif - Page 780

  • Déchoir, disent-ils

     

    Sur le vif - Vendredi 10.10.14 - 10.13h

     

    Les temps sont violents, c’est vrai, nous sommes confrontés à des horreurs. Nos Etats de droit, nos Républiques, ne doivent évidemment pas baisser les bras face à ceux qui veulent saper les fondements de leurs valeurs. Tout cela oui. Mais l’inflation du discours. La démesure dans la réponse. La résurrection de peines ancestrales. Le Talion. La haine. La vengeance.

     

    Laissons ici la peine de mort, sur laquelle je n’ai même pas envie de m’exprimer. Mais la légèreté avec laquelle, depuis quelques mois, des voix s’élèvent – et jusqu’à un bel esprit dont j’apprécie l’acuité – pour évoquer la notion de « déchéance de la nationalité ». Déchoir, disent-ils. En brandissant cette peine comme si elle devait relever de l’arsenal de nos sanctions les plus banales, couramment utilisées.

     

    A ces mêmes qui brandissent la connaissance de l’Histoire, rappelons juste que le régime, dans l’Europe du vingtième siècle, qui s’est illustré par la loi de déchéance, ou même des « commissions de déchéance » (comme il existe des commissions de naturalisation) fut celui de Vichy, brillamment actif comme on sait entre juin 1940 et août 1944.

     

    Vichy, ça n’est pas l’Allemagne nazie. Ce sont juste quatre années d’Histoire de France. Quatre années bien davantage dans la continuité que dans la « parenthèse » qu’on a essayé, plus tard, de nous faire croire. Les hauts fonctionnaires, les magistrats judiciaires, étaient les mêmes que sous la Troisième, on les retrouvera (la plupart) dans la Quatrième, voire sous la Cinquième. Une partie de la classe politique, aussi. Jusqu'au plus haut niveau.

     

    Le régime de Vichy n’est évidemment pas né le 22 juin 1940, ni même le 10 juillet lorsque l’Assemblée s’est auto dissoute, mais quelque part entre 1894 et 1906, dans l’immense drame passionnel que fut l’Affaire Dreyfus. Naissance de l’Action française. Mise sur pied des grandes Ligues qui traverseront la fin de la Troisième, et dont la tendance idéologique eut l’occasion (« Divine surprise »), de 1940 à 1944, de se retrouver, pour la seule fois depuis la Révolution, aux affaires.

     

    C’est ce régime-là, celui de la rafle du Vel d’Hiv (juillet 1942) et de la complicité dans les déportations, qui avait si sympathiquement revivifié le concept de « déchéance de la nationalité française ». Il conviendrait que ceux qui, aujourd’hui, osent brandir tout benoîtement le même mot, dans une insensibilité aussi effrayante au fracas sonore des syllabes, s’en souviennent.

     

    La déchéance, comme la peine de mort, ils ont évidemment le droit de l’envisager. Dans une discussion, on a droit à tout. Il ne s’agit pas de les censurer. Non. Juste leur brandir le miroir de références par eux-mêmes articulées. Comme un écho du tragique. Dans la nuit d’encre de l’Histoire.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Immigration : le PLR ne manque pas de culot

     

    Sur le vif - Mercredi 08.10.14 - 16.49h

     

    Le PLR suisse ne manque pas d’air. Dans un communiqué diffusé cet après-midi, il affiche « la maîtrise de l’immigration » comme l’une de ses deux priorités, avec les bilatérales. Va pour ces dernières, où sa ligne est cohérente, et d’ailleurs sans doute majoritaire dans le pays. Mais l’immigration ! Dans le style récupération éhontée du thème identitaire d’un parti concurrent, le PLR pulvérise tous les records.

     

    Le parti qui ne cesse, depuis deux décennies au moins, d’avancer le thème de l’immigration, n’est évidemment pas le PLR, mais l’UDC. Le parti qui n’a cessé, sur ce thème, de combattre l’UDC, par exemple dans la campagne du 9 février 2014, c’est justement le PLR. Que demandait l’initiative « Contre l’immigration massive », acceptée par le peuple et les cantons à la grande fureur du PLR : précisément, une meilleure « maîtrise de l’immigration ». Ce texte, les gens du PLR, tout au long d’une campagne dûment stipendiée par le patronat, alias Économie Suisse, n’avaient cessé d’en dénaturer l’esprit, les uns parlant de « xénophobie », les autres nous annonçant l’asphyxie économique du pays.

     

    Ne refaisons pas la campagne. Chacun pense ce qu’il veut du 9 février. Mais au moins, appelons un chat un chat. Et sachons reconnaître l’original de la copie, la paternité du plagiat, la prise en compte d’un thème en amont, par rapport  à la récupération. Il y a, dans le parti appelé « PLR », deux composantes de philosophie politique. L’une, la composante radicale, a fait la Suisse moderne, construit et développé l’Etat, dessiné (avec d’autres, dont les socialistes) les contours de nos assurances sociales. L’autre, la composante libérale, malgré de grandes figures humanistes, ne peut pas s’enorgueillir d’un tel legs. Et surtout pas ce qu’elle est devenue depuis une trentaine d’années, apôtre de la dérégulation, casseuse de services publics, prosternée devant le Veau d’Or de l’Argent facile et de la spéculation. Vouloir faire cohabiter radicaux et libéraux au sein d’une même famille, c’est se heurter continuellement à une contradiction majeure, quelque chose de puissant autour du rôle de l’Etat, sur lequel ces deux courants divergent.

     

    Dans tous les cas, le PLR, en affichant la « maîtrise de l’immigration » comme l’une de ses deux priorités, fait preuve d’un culot inégalé dans la politique suisse depuis la guerre. Il pique à un parti concurrent l’un de ses thèmes existentiels. Les électeurs, le jour venu, sauront reconnaître l’original de la copie. Quant au PLR, tant qu’il n’aura pas réinscrit la République au rang de ses priorités, tant qu’il donnera le sentiment d’inféodation aux puissances de la finance, avec ses parlementaires commis-voyageurs des banques privées, des pharmas, ou du lobby des caisses maladie dans la Berne fédérale, il continuera de nager en eaux troubles. Dommage pour ce parti, du moins pour sa composante historique et républicaine, les radicaux.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Des Etats généraux, à en perdre la tête

     

    Sur le vif - Mardi 07.10.14 - 16.38h

     

    A Genève, le dernier must, la mode dernier cri, n’est plus de prendre des décisions, mais de convoquer des états généraux. Ça fait très Versailles, 8 août 1788, où sans doute pour fêter la déferlante de « 8 » dans la date, Louis XVI, cédant aux pressions, avait fini par appeler à siéger une instance qui ne s’était plus réunie depuis… 1615. Eh oui, 173 ans auparavant ! La suite, on la connaît : les Etats se réunissent le 5 mai 1789, le Tiers fait des siennes, le Jeu de Paume défie les baïonnettes, la Révolution française commence.

     

    Nous avons, à Genève, nos petits Louis XVI. Oh, ils ont encore la tête sur les épaules, sont sans doute moins portés sur la serrurerie, n’ont pas à côtoyer l’Autrichienne amatrice de brioche. Mais tout de même. Cette furie des états généraux ! Etats généraux des transports, Rencontres du logement, états généraux de la détention et de la probation (si, vous avez bien lu), tout n’est plus chez nous qu’Assises, échanges, écoute. Les ministres ne gouvernent plus : ils prêtent l’oreille. Avec usure, of course.

     

    Il y a, dans cette mode, une posture. Celle de se prétendre bon prince, en phase avec le terrain, au diapason de la population. Tout, dans l’acte politique, ne serait que procédure de consultation permanente, confession sucrée de l’âme des peuples. On consulte, on fait la synthèse, on brasse, on touille, on assaisonne, et on sert au public à peu près ce qu’il demande.

     

    Telle n’est pas ma conception de l’action publique. La seule « écoute » qui vaille, en démocratie, n’est pas celle de la doxa (l’opinion), mais bien celle du démos : tenir compte du peuple, non lorsqu’il susurre ou murmure, mais lorsqu’il décide. Le peuple en armes, ça n’est pas le peuple qui pérore, mais celui qui vote et qui tranche. Or justement, ce sont souvent les mêmes princes qui, tout appliqués au semblant de l’écoute, sont les premiers à ignorer les décisions du suffrage universel, en freinant au maximum leur application.

     

    Transports, logement, détention : dans les deux premiers ministres concernés, je ne m’étonne pas de la démarche. Elle traduit le populisme sympathique, centriste et attrape-tout (à commencer par l’électeur) du premier, la légèreté du deuxième. Il me plaît moins de découvrir la posture chez le troisième, radical régalien frotté aux dimensions d’exigence de l’ascèse républicaine. Mais sans doute a-t-il cédé là à une mode aussi passagère que l’automne, celle des ultimes et flamboyantes couleurs, pour mieux conjurer l’imminence du frimas. Juste avant les Révolutions, n’est-il pas délicieux de s’imaginer éternel ?

     

     

    Pascal Décaillet