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Sur le vif - Page 779

  • Et Saint Luc traversa la mer Rouge

     

    Sur le vif - Mercredi 15.10.14 - 16.00h

     

    Oui je sais, dans mon titre, je confonds l’Ancien et le Nouveau. La Petite et la Grande. La Rade et le Lac. L’horizon chimérique de 2030 (tiens, ça n’est déjà plus 2025) avec celui, équestre, de 2020. Bref, rendons grâce au Conseil d’Etat d’avoir, dans son infinie sagesse, avec une louable intention d'affûter nos désirs, revivifié cet après-midi nos rêves séculaires de traversée. Honneur à lui, même s’il ne prend pas grand risque.

     

    Oh, sa traversée je suis pour. J’ai toujours été pour la grande, le bouclement périphérique. Que Genève, une bonne fois, se dote d’une ceinture urbaine. Et j’ai toujours été, depuis qu’ils l’ont lancée en 2013, contre la petite, qui n’était que pub électorale de l’UDC. Que revivent donc nos rêves, c’est sans doute cela qui compte quand on gouverne et que pas grand-chose ne va : insuffler dans les artères du client le minimum de joie prospective pour qu’il évite de commettre l’irréparable : ne pas procéder à votre réélection. Ou à celle des vôtres, tiens disons à l'horizon communal du printemps 2015. Votez Entente, nous ne resterons pas sourds à votre libido lacustre.

     

    Alors, aujourd’hui, on fait quoi ? Je dirais « miroiter », même si le temps des alouettes est déjà envolé. On parle de « préfinancement cantonal », alors que l’absence du moindre kopeck dans les caisses désespère un ministre des Finances sept milliards de fois moins optimiste, quand on le croise, que pendant cette campagne de 2013 qui, tel l’Aigle surgi de l’île d’Elbe, l'avait vu voler de clocher en clocher.

     

    Cette traversée, je suis pour. Je ne conteste donc pas le fond. Mais le communiqué que je viens de lire (en attendant de recevoir M. Barthassat ce soir à GAC), je n’y crois que modérément. Déclaration d’intention. Abstraite, non chiffrée. Timide reprise de l’ouverture sur le privé, mais du bout des lèvres, parce que politiquement, c'est périlleux. Rien de précis sur les modalités de financement. Bref, une Arlésienne. Sympathique, sans doute sincère. Mais improbable comme un rêve de vent, timoré d'incertitude face au frisson si féminin de la vague bleue.

     

    Le populiste de droite nous dessine la Phalange sous les yeux fatigués des patriciens. Celui de gauche nous promet le grand soir. Le populiste de la festivité chrétienne nous réinvente la mer Rouge. A chaque fois que saignent nos regrets.

     

    Nous noterons en passant, et sans chercher noise (ça n’est pas le genre de la maison), que ce gouvernement, particulièrement dans l’ordre de la mobilité, semble davantage briller par les effets du lointain que par la précision matérielle du concret, hic et nunc. En attendant, lisons Saint Luc. Il y est aussi question (comme chez Dalida) de Parole et de Parole : que du bonheur ! Ou l’histoire de Moïse. J’aime quand les eaux s’écartent. Promesse d’un Passage. Avec un prénom comme le mien, comment pourrais-je m’en détourner ?

     

    Pascal Décaillet

     

  • La solitude, la petite mort, le partage de la joie

     

    Sur le vif - Vendredi 10.10.14 - 18.52h

     

    Longtemps, les journaux ont été l’une des grandes passions de ma vie. Le bon vieux journal papier, que j’ai compulsivement collectionné depuis l’âge de douze ans, très précisément depuis cet inoubliable Paris Match relatant les funérailles de Charles de Gaulle, en novembre 1970. Mon père me l’avait offert, il y a entre autres un texte de Jean Cau d’une incroyable densité de plume, j’en ai fait mille fois le tour, je l’ai encore. Jusqu’à l’apparition d’internet, je ne vivais que pour les journaux. Un jour, pour me récompenser d’un Prix de journalisme que j’avais reçu, un confrère m’avait offert, dans des cartons de bananes Chiquita, des centaines de journaux de l’époque de l’Affaire Dreyfus, sur laquelle j’avais justement réalisé une série historique radiophonique. Il ne pouvait me faire de plus beau cadeau.

     

    Aujourd’hui, je ne touche que très peu le papier, les neuf dixièmes de ma consommation (toujours énorme) d’articles se passent sur internet. Alors, comme nous tous, j’attends du papier autre chose qu’une simple donnée d’informations. Quelque chose de puissant. De magique. De l’ordre d’une irruption, d’un parfum, ou alors d’une communauté invisible, celle des Revues littéraires du début du vingtième siècle, couverture blanche de Gallimard, Revue des Deux Mondes, Revue Esprit. Ou encore cette éblouissante Revue Choisir, de mes amis Jésuites, ou Nova et Vetera, fondée par l’Abbé Journet, et puis tant d’autres. Pourvu que cela fleure l’engagement. Le choix. La précision de l’angle. L’immensité d’une solitude.

     

    Je viens de lire intégralement le no 41, 10 octobre 2014, de Gauchebdo. Il surpasse, par l’appel d’air de ses fenêtres ouvertes, toutes les autres éditions de ces dernières semaines. Un édito délicieusement assassin de Jérôme Béguin sur l’embourgeoisement des socialistes en Ville de Genève (je vous salue au passage avec affection, Chère Sandrine). Un reportage sur les « damnés de l’asile ». Un papier de fond sur le Brésil, en pleine présidentielle. Les revendications d’exilés colombiens à Genève. Et un second cahier, culturel, qui relègue les suppléments week-end de nos braves quotidiens au statut de Catalogues de la Redoute de la promotion et de la complicité sucrée. Il y a du choix, de l’angle, du courage, « de la douleur et du néant », du théâtre, de la musique (Abbado), de la littérature romande, et une remarquable analyse de dernière page sur l’Ukraine.

     

    Quand je lis Gauchebdo, je suis fier que mon métier existe encore. Et qu’il demeure, pour les gens de plume, d’autres valeurs que l’argent, le clinquant, l’insolence. En huit pages seulement, ce numéro 41 nous réconcilie avec l’envie de toucher du papier, humer l’encre, mettre en œuvre notre faculté de mémoire, nos océans de nostalgie. Je repense à ces dimanches entiers, si lointains, de mon enfance, où la lecture était seule, salvatrice, rédemptrice occupation. Il m’est parfaitement égal, aujourd’hui, de rejouer avec un journal de gauche ou de droite, homo ou hétéro, catholique ou athée, ce jeu si délicieux de petites morts et de résurrections. Une fois de plus, je dis merci aux gens de Gauchebdo d’exister. Avec leur journal, je voyage dans le temps. Le mien. Celui de mon esprit vagabond, solitaire, et pourtant toujours en quête d’une joie partagée.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Déchoir, disent-ils

     

    Sur le vif - Vendredi 10.10.14 - 10.13h

     

    Les temps sont violents, c’est vrai, nous sommes confrontés à des horreurs. Nos Etats de droit, nos Républiques, ne doivent évidemment pas baisser les bras face à ceux qui veulent saper les fondements de leurs valeurs. Tout cela oui. Mais l’inflation du discours. La démesure dans la réponse. La résurrection de peines ancestrales. Le Talion. La haine. La vengeance.

     

    Laissons ici la peine de mort, sur laquelle je n’ai même pas envie de m’exprimer. Mais la légèreté avec laquelle, depuis quelques mois, des voix s’élèvent – et jusqu’à un bel esprit dont j’apprécie l’acuité – pour évoquer la notion de « déchéance de la nationalité ». Déchoir, disent-ils. En brandissant cette peine comme si elle devait relever de l’arsenal de nos sanctions les plus banales, couramment utilisées.

     

    A ces mêmes qui brandissent la connaissance de l’Histoire, rappelons juste que le régime, dans l’Europe du vingtième siècle, qui s’est illustré par la loi de déchéance, ou même des « commissions de déchéance » (comme il existe des commissions de naturalisation) fut celui de Vichy, brillamment actif comme on sait entre juin 1940 et août 1944.

     

    Vichy, ça n’est pas l’Allemagne nazie. Ce sont juste quatre années d’Histoire de France. Quatre années bien davantage dans la continuité que dans la « parenthèse » qu’on a essayé, plus tard, de nous faire croire. Les hauts fonctionnaires, les magistrats judiciaires, étaient les mêmes que sous la Troisième, on les retrouvera (la plupart) dans la Quatrième, voire sous la Cinquième. Une partie de la classe politique, aussi. Jusqu'au plus haut niveau.

     

    Le régime de Vichy n’est évidemment pas né le 22 juin 1940, ni même le 10 juillet lorsque l’Assemblée s’est auto dissoute, mais quelque part entre 1894 et 1906, dans l’immense drame passionnel que fut l’Affaire Dreyfus. Naissance de l’Action française. Mise sur pied des grandes Ligues qui traverseront la fin de la Troisième, et dont la tendance idéologique eut l’occasion (« Divine surprise »), de 1940 à 1944, de se retrouver, pour la seule fois depuis la Révolution, aux affaires.

     

    C’est ce régime-là, celui de la rafle du Vel d’Hiv (juillet 1942) et de la complicité dans les déportations, qui avait si sympathiquement revivifié le concept de « déchéance de la nationalité française ». Il conviendrait que ceux qui, aujourd’hui, osent brandir tout benoîtement le même mot, dans une insensibilité aussi effrayante au fracas sonore des syllabes, s’en souviennent.

     

    La déchéance, comme la peine de mort, ils ont évidemment le droit de l’envisager. Dans une discussion, on a droit à tout. Il ne s’agit pas de les censurer. Non. Juste leur brandir le miroir de références par eux-mêmes articulées. Comme un écho du tragique. Dans la nuit d’encre de l’Histoire.

     

     

    Pascal Décaillet