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La démocratie directe ? Elle se porte à merveille !

 

Sur le vif - Mardi 25.11.14 - 12.53h

 

C’est le vieux principe du messager qu’on fait tuer, la nouvelle dont il est porteur n’ayant pas l’heur de plaire. Parce qu’aujourd’hui, les initiatives populaires, ce vieux droit de plus d’un siècle, vont dans un sens qui n’est pas le leur, les adversaires de ces textes mettent en cause la démocratie directe elle-même. Elle serait, nous dit-on «malade ». Synonyme « d’irrationnel, d’instabilité, de populisme ». Oui, c’est le langage méprisant de la pathologie dont n’hésite pas à user ce matin l’éditorialiste du Temps pour dénigrer un système de recours au suffrage universel qui, tout au contraire, ne s’est jamais porté aussi bien.

 

Dans les colonnes de ce journal, ce matin, on prétend non seulement que le système est malade, mais en parlant « d’irrationnel », on désigne d’un peu plus près le type d’affection dont il souffrirait : il aurait, au sens propre, perdu la raison. Cette Raison, Vernunft, si chère au Freisinn, ces valeurs des Lumières qui ont porté depuis deux siècles la démocratie suisse. Et n’appartiennent en propre ni au Temps, ni à votre serviteur, ni à aucun d’entre nous, pris isolément. On se demande juste de quel droit ce journal viendrait, tout seul, distribuer les bons points de la raison face à la folie, toiser l’aune du rationnel, qui serait acceptable, face à « l’irrationnel », qu’il s’agirait d’ostraciser.

 

Depuis 1891, l’initiative populaire constitue, parmi d’autres, l’un des organes de notre vie démocratique. Organe, au sens grec, « outil ». Elle n’est pas là pour se substituer aux travaux parlementaires, mais pour permettre au corps des citoyens de se mobiliser, puis d’appeler le suffrage universel à se prononcer sur des sujets que nos bons parlementaires auraient pu oublier, omettre, sous-estimer, mépriser. Fabuleux contre-pouvoir, que tant de voisins nous envient. Comme je l’ai récemment rappelé, les succès à répétition des initiatives sont dans notre Histoire un phénomène très récent : quand j’étais jeune journaliste, au Journal de Genève, elles n’aboutissaient jamais, jusqu’à ce dimanche de 1987 où celle de Rothenthurm, dite « pour la protection des marais », créait la surprise.

 

Aujourd’hui, les initiatives créent l’événement. Tous les trois mois, le peuple et les cantons doivent se prononcer sur au moins l’une d’entre elles, souvent plusieurs. Cela nous vaut de vastes débats nationaux, où tout le monde peut s’exprimer, et un jour le souverain décide. C’est exactement ce qui se produira dimanche : nous avons trois initiatives, on a largement pris le temps d’en parler, le suffrage décidera, et nous verrons bien. Franchement, où est le problème ? De quel droit un éditorialiste du Temps vient-il décréter, face à un rouage qui n’a jamais aussi bien fonctionné, que notre système serait « malade, irrationnel » ? J’ai beau chercher, désolé, je ne décèle ni mal, ni déraison.

 

A la vérité, ce qui déplaît à l’éditorialiste du Temps, c’est le CONTENU de ces trois initiatives. Eh bien, il est citoyen, il n’a qu’à voter non. Il votera trois fois non, je voterai trois fois oui, des millions de nos compatriotes combineront tout cela dans le sens qu’ils voudront, et le produit cartésien, mathématique, de tous ces votes constituera le verdict de dimanche. Il n’y a là ni «maladie », ni « irrationnel ». Il y a juste la mise en œuvre, parfaitement légale, constitutionnelle, de l’un des organes de notre démocratie.

 

Que mon estimé confrère combatte les trois objets du 30 novembre, c’est son droit le plus strict. Nous sommes en démocratie : chaque citoyenne, chaque citoyen a toute latitude pour exprimer son opinion. Mais qu’il dénigre, en utilisant des termes médicaux, un système qui ne s’est jamais aussi bien porté, a de quoi nous étonner. Car notre démocratie directe est en pleine forme. Il existe un droit d’initiative. Le corps des citoyens en fait usage , de plus en plus. Il n’y a là rien de sale, rien d’anormal, rien de « malsain », rien « d’irrationnel ». La démocratie directe, comme la pile Leclanché, comme la liberté d’expression, ne commencera à s’user que lorsqu’on ne s’en servira pas. Ne bradons pas un droit qui donne une vitalité à de si salutaires contre-pouvoirs, surgis d’en bas.

 

Pascal Décaillet

 

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