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Sur le vif - Page 781

  • Aux Etats, le peuple, ça fait sale

     

    Sur le vif - Lundi 06.10.14 - 16.54h

     

    Invalider. Ils n’ont plus que ce mot à la bouche. Invalider les initiatives, même si ces dernières ont dûment obtenu les cent mille signatures nécessaires, souvent beaucoup plus. Les invalider, parce qu’on les juge « dangereuses ». Dangereuses, pour qui ? Pour l’intérêt supérieur du pays, ou pour la tranquillité notariale de la classe politique actuellement au pouvoir ? Tranquillité. Rotondité. Langueurs sénatoriales, dans cette Chambre qui devrait représenter les Cantons, et non censurer la démocratie directe, l’un de nos biens les plus précieux en Suisse : tous nos voisins nous l’envient !

     

    Oui, j’ai vu rouge en lisant hier la « Schweiz an Sonntag ». Non, je n’admets pas qu’une Commission (celle des Institutions politiques, en l’espèce) du Conseil des Etats vienne, du haut de son promontoire bernois, élaborer des règles visant à niveler, dans les textes d’initiatives populaires, tout ce qui gêne et dépasse. Invalider, niveler, tondre : nous les citoyens, hommes ou femmes, Romands, Alémaniques, italophones, de gauche ou de droite, n’avons pas à nous laisser dicter l’ordre du convenable, en matière de démocratie directe, par des parlementaires fédéraux.

     

    Une initiative, je ne cesse de le répéter, c’est une affaire du peuple avec le peuple. Le défi lancé, par quelques citoyens au départ, à l’ensemble du corps électoral de la Confédération, ainsi qu’à nos vingt-six Cantons, la double majorité étant requise. Sur quels sujets ? Mais justement, parbleu, sur ceux que les 246 parlementaires fédéraux n’ont pas jugés bon de humer, peut-être parce que le fumet populaire les incommodait. Initiative des Alpes, lex Weber, renvoi des criminels étrangers, immigration massive (9 février 2014), et demain Ecopop (30 novembre 2014) : autant de sujets ignorés, sous-estimés par nos parlementaires fédéraux, tiens justement par le Conseil des Etats. Autant de sujets méprisés, vilipendés, jugés indignes de parvenir au jugement suprême, celui du suffrage universel : les quelque quatre millions d’électeurs potentiels de notre Confédération, et les vingt-six Cantons.

     

    Insupportable, le signal d’arrogance délivré par cette Commission des Etats. Si une initiative est mal ficelée, le peuple citoyen (ces quatre millions, justement) est largement assez mûr, assez rôdé à l’ascèse de la sagacité démocratique, pour en juger lui-même. Le suffrage universel suisse n'a nul besoin d'un "Comité de Sages", ni parlementaire ni judiciaire, pour dessiner à sa place la géométrie de l'acceptable. Cette proposition scélérate de quelques sénateurs mérite un seul classement : celui, vertical, de la poubelle

     

    Pascal Décaillet

     

  • Traversée, logements : le mirage doré des PPP

     

     Sur le vif - Vendredi 03.10.14 - 10.47h

     

    Faire de la politique, notamment quand on assume une charge, c’est croire en l’Etat. Inscrire son action dans le cadre de la chose publique. On peut militer pour plus ou moins d’Etat, c’est une question de régulateur, mais le seul fait de s’être présenté à une élection républicaine délimite au candidat le périmètre de son action future : il pourra pratiquer une politique de gauche, de droite, du centre, tout ce qu’il voudra, mais dans le cadre de l’Etat. Lequel n’est ni un club, ni une société privée. De quels grands commis l’Histoire a-t-elle retenu le nom ? De Philippe le Bel à Louis XI, de Louvois à Richelieu, de Bismarck à Jules Ferry : des hommes qui ont, de toute la puissance de leur génie et leur énergie, lutté pour écarter, dans le cadre public et dans nul autre, le champ du possible.

     

    Hors de l’Etat, entendez par ce mot la volonté des humains de codifier leur organisation politique et sociale, et s’il vous plaît n’entendez pas une armada de fonctionnaires derrière des guichets, hors de ce cadre qui a fondé nos sociétés modernes, la politique ne peut avoir de sens que comme aventure personnelle, pulsion libertaire, exercice néo-féodal du pouvoir, par exemple par la tyrannie de l’Argent. C’est une option de la vie en communauté. Ca n’est pas la mienne.

     

    A cet égard, comment ne pas s’étonner, à Genève, de voir deux conseillers d’Etat, provenant comme par hasard de partis très éloignés des rigueurs régaliennes, le Vert et le PDC, nous brandir allègrement, dès que surgit une difficulté budgétaire, le mirage doré du « Partenariat Public Privé », ci-devant compressé dans le triptyque palatal « PPP ». Il faudrait financer la future (et bien lointaine) traversée du lac par des « PPP ». Il faudrait (le Temps d’aujourd’hui) créer une fondation public privé pour faire enfin émerger des logements à Genève.

     

    Il y a, dans cette rhétorique aussi légère que floue, l'abdication assumée de l’une des grandes ambitions qui fondent nos sociétés depuis la Révolution française : inscrire les grands projets, les grands travaux, non dans la générosité d’une prince mécène, mais dans la volonté collective des citoyens. Voulus par eux, conçus par eux, corrigés et contrôlés par eux. Donc, financés par eux. Avancer d’emblée l’appel aux fonds privés, c’est reconnaître que les caisses de l’Etat sont vides, qu’on n’a plus la moindre imagination pour les remplir, c’est avoir peur de se rendre impopulaire en articulant l’idée d’impôt. C’est déchirer bien imprudemment le contour imposé de l’action publique, pour s’aventurer vers des donateurs dont on se demande bien quelles contreparties, le jour venu, ils exigeront pour leur générosité. C'est revenir à l'Ancien Régime.

     

    Je ne conteste pas ici l’intérêt d’avoir parfois recours aux fonds privés. Mais enfin, l’idée même de la République, depuis un peu de deux siècles, c’est que ces fonds contribuent à l’effort commun, non par l’arbitraire d’un don, mais par le biais de la fiscalité. Ce qui me paraît très contestable, c’est de brandir d’emblée le PPP, en amont de toute discussion. Avant même d’avoir sollicité du peuple ou de ses élus la réflexion citoyenne sur ce qu’il veut entreprendre, ou ce à quoi il préfère renoncer. Gouverner, c’est choisir. Gouverner la République, c’est opérer ses choix dans le cadre de l’Etat.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Complexe et savoureuse, la démocratie suisse

     

    Sur le vif - Dimanche 28.09.14 - 16.20h

     

    Le petit miracle de notre démocratie suisse, c’est que personne n’est jamais humilié lors d’un dimanche de votations. Comme nous votons toujours sur trois ou quatre sujets en même temps, entre les fédéraux, les cantonaux et les communaux, il est rare que nous nous trouvions totalement perdants, ou totalement gagnants. Ainsi, j’étais comme on sait pour la Caisse publique, sans d’ailleurs me faire d’illusion sur le résultat : je perds. Et j’étais contre la traversée de la Rade, version UDC-MCG, étant à fond pour la grande, celle du lac : je gagne. Et l’immense majorité des citoyennes et citoyens de ce pays, ce dimanche, dans un sens ou dans l’autre, dans toutes les combinaisons possibles, sont dans mon cas.

     

    Cette pluralité des sujets, ainsi que le triple échelon de notre citoyenneté (communes, cantons, Confédération) est non seulement une incroyable richesse de notre démocratie, mais aussi un facteur de complexité, dans le sens gustatif ou olfactif du terme, qui dissout les peines, atténue les triomphes, nous oblige à considérer le pays dans ses vingt-six composantes (Neuchâtel, les deux Bâle, le Jura, Schaffhouse, Argovie ont, tout autant que Genève, été le lieu d’importants scrutins aujourd’hui).

     

    A cet égard, rien ne vaut la lecture des cartes de votations : canton par canton, district par district, commune par commune. Pour les villes, comme Genève, quartier par quartier. J’aime infiniment la délicieuse, la savoureuse complexité de notre démocratie suisse. Au final, il n’y a pas ce soir une Suisse qui gagne, une Suisse qui perd. Non. Il y a un peuple, composé de vingt-six cantons et de centaines de communes, qui a exprimé sa citoyenneté sur de nombreux sujets.

     

    Le peuple suisse, qui se frotte depuis tant de décennies à la démocratie directe, et connaît depuis 1919 le scrutin proportionnel, ce vieux peuple multiple et bigarré, aux parlers différents, aux religions diverses, ou sans religion, peu importe, a la chance de bénéficier d’une pratique de la démocratie que beaucoup de voisins lui envient. Tenez, nous sommes bien le seul peuple au monde à connaître, pour les vingt ans qui viennent, les dates des votations fédérales. Nous ne savons pas encore sur quoi nous voterons en 2022, mais nous savons quand ! Etrange et fascinant système, où le calendrier de la liturgie citoyenne précède les contenus. Compatriotes, préservons notre démocratie directe, étendons-la, même, plutôt que de la brider : elle est notre bien commun le plus précieux, la promesse du surgissement renouvelé de la volonté populaire, au-delà du petit jeu des élites, des corps intermédiaires et de tous ceux qui, pour étendre leurs prébendes, voudraient nous la confisquer.

     

    Ma dernière remarque sera pour appeler, comme je le fais toujours, à l’acceptation du verdict populaire. Dans certaines réactions, cet après-midi, notamment du côté de l’UDC genevoise, je n’ai pas trouvé ce côté bon joueur qu’ils sont pourtant, tout le reste de l’année, les premiers à appeler de leurs vœux. Quand on se mobilise, depuis plus d’un an, sur un sujet qu’on n’a inventé qu’à des fins électorales liées à l’automne 2013, un sujet si lointain de son patrimoine génétique de parti, on accepte la défaite avec un peu plus de majesté.

     

    Pascal Décaillet