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Sur le vif - Page 756

  • Caillié, Tombouctou, l'Afrique : splendeur et poussière

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    Samedi 02.05.15 - 18.43h

     

    Des masses de migrants qui tentent la Méditerranée, des centaines d’entre eux qui s’y engloutissent : elle est terrible, notre image de l’Afrique, dévastatrice. Destructrice d’identité. Elle nivelle toute connaissance. Instinctivement, j’ai eu le réflexe, au moment de la dernière tragédie en mer, il y a deux semaines, d’exhumer de ma bibliothèque un livre majeur sur ce continent. Le « Voyage à Tombouctou », édité en mars 1830 (donc, encore pour quelques semaines, sous le règne de Charles X) à Paris par l’Imprimerie Royale. C'est plus qu’un livre. Plus qu’un récit. Plus que l’incroyable aventure d’un explorateur. C’est une initiation, un cheminement, par lente instillation, vers des civilisations dont presque personne, en Europe aujourd’hui, ne soupçonne la richesse culturelle, la profondeur historique : l’Afrique subsaharienne, le fleuve Niger, Tombouctou.

     

    Il y a juste trente ans, j’ai fait la connaissance de ce livre, publié en deux volumes à la Découverte, chez François Maspero, cet éditeur d’exception qui vient de nous quitter. Cette rencontre, je la dois à un homme : Hervé Loichemol, l’actuel directeur de la Comédie. Il était alors, en 1985, un jeune metteur en scène, inventif, qui montait à Vidy (mais d’abord en stage à l’Ecole supérieur d’art dramatique) le « Rester Partir » de l’auteur contemporain Bernard Chartreux (né en 1942). Lequel nous raconte, sur des planches, le voyage de René Caillié. Des personnages saisissants. Un souffle scénique. Quelque chose qui passe, puissant.

     

    Il y a donc le « Rester, partir : une passion sous les tropiques » de Chartreux (1982). Et en amont, un siècle et demi auparavant, il y a le « Voyage à Tombouctou », publié en 1830 par René Caillié (1799-1838). Cet homme-là, natif des Deux-Sèvres, père condamné au bagne de Rochefort, très tôt orphelin, ambitionnait de devenir le premier Européen à parvenir, sans escorte militaire et par ses propres moyens dans la cité, totalement mythique, de Tombouctou, interdite aux chrétiens. Il endosse, pour le voyage, une identité musulmane. Il part de Boké, en Guinée, le 19 avril 1827, et parviendra dans cité de légende le 20 avril 1828. Son récit, c’est celui de ce voyage. Le récit de Chartreux, en 1982, c’est la mise en théâtre et en personnages. Loichemol en 1985, c’est l’incarnation, sur la scène. Le chemin vers la connaissance est parfois plus riche encore, lorsqu’il s’articule autour d’une fiction. Sans l’Iliade, que saurions-nous de la Guerre de Troie ?

     

    Je vous encourage, à tout prix, à lire le « Voyage à Tombouctou » de René Caillié. Publié l’année même où la France commence en Algérie une présence qui durera 132 ans, et avant l’expérience de l’Afrique Occidentale Française, le voyage de Caillié, et surtout la relation qu’il en donne, constituent une incomparable entrée dans la richesse de civilisations que nous ne soupçonnons pas. On n’a même plus envie, après lecture, de parler encore « d’Afrique », tant les peuples sont divers, souvent antagonistes. Et déjà, Tombouctou, celle des années 1820, n’est plus que l’ombre de ce qu’elle avait été, plusieurs siècles auparavant. Le lecteur voyage dans l’Histoire, dans la légende, autant que dans la géographie : l’Iliade, oui.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** René Caillié - Voyage à Tombouctou - En deux volumes - Editions La Découverte, François Maspero - 1982.

     

    *** Bernard Chartreux - Rester, Partir: une passion sous les tropiques - Edilig, 1982.


  • Nuremberg, 1971

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    Vendredi 01.05.15 - 19.01h

     

    Je plonge ici dans ma mémoire. Nuremberg, juillet 1971. Au cœur de l’un des nombreux, étincelants étés allemands de mon adolescence, j’ai eu le privilège d’aller voir le Götz von Berlichingen, de Goethe, au théâtre. Je me souviens que c’était un dimanche soir. Je me plaisais infiniment à Nuremberg : je venais, quelques jours auparavant, d’y visiter avec fascination la grande expo Dürer, dans sa ville natale, pour ses 500 ans. J’ai consigné tout cela sur mon Tagebuch, mais n’ai nul besoin de le consulter : je venais de fêter mes treize ans, j’étais incroyablement motivé pour la culture allemande, je me souviens de tout. Comme si c’était hier.

     

    Götz von Berlichingen est une pièce de jeunesse de Goethe, écrite à 23 ans, sans doute même un peu avant. Elle constitue l’un des actes fondateurs du Sturm und Drang, ce séisme littéraire de la seconde partie du dix-huitième siècle, où l’Allemagne prend congé de l’influence française pour aller creuser dans sa propre Histoire : en l’espèce, les grands confits germaniques du seizième, dont la Guerre des Paysans. Goethe ressuscite, plus de deux cents ans après sa mort, un personnage historique qui lutte pour l’identité allemande et pour la liberté : « Freiheit, Freiheit, Freiheit » : ce sont ses derniers mots, sur scène. La langue, surtout, contraste avec celle de l’Aufklärug, elle est plus dialectale, plus populaire, plus allemande. Au fond, avant l’heure, Goethe, avec cette pièce, nous fait du Schiller.

     

    Tout cela, je n’en avais évidemment nulle conscience. Mais ce drame allemand m’avait fasciné. La qualité de la langue, la main de fer du chevalier, la voix rocailleuse du personnage principal, les tonnerres d’applaudissements, à la fin. Je n’ai lu la pièce que plusieurs années plus tard. Mais je crois bien que c’est là, ce dimanche soir, qu’une inconsciente décision en moi a dû émerger. Je crois aussi que cet été de juillet 1971 en Franconie, ma fascination pour les bords du Main, mon émotion de retrouver, à Würzburg, une célèbre maison dans laquelle avait vécu ma mère dans les années 1937-1938, tout cela a déterminé en moi quelque chose de capital, pour la suite.

     

    J’ignore absolument pourquoi, maintenant, j’écris ces lignes. Je crois simplement que j’arrive à un âge où la mémoire est encore totalement intacte, et où s’active un besoin puissant de revivre des émotions de jeunesse. Ce théâtre, cette scène finale, ce Nuremberg de 1971, tout cela me remonte avec une incroyable précision. Si je devais, un jour, publier un livre, je veux dire autre chose que les chroniques du temps, il est certain que les années allemandes de mon adolescence y tiendraient un rôle central.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Suisse-Europe : on se calme !

     

    Sur le vif - Jeudi 30.04.15 - 14.41h

     

    Il paraît que l’Union européenne hausse le ton face à la Suisse, dans le dossier de la libre circulation. Le problème, ça n’est pas tellement que M. Juncker se chauffe la voix, mais que la moindre variation de tonalité de Bruxelles envers notre pays provoque immédiatement les gros titres et les éditos totalement alarmistes de notre bonne presse en Suisse romande. Encore et toujours, faire au peuple et aux cantons la morale, leur reprocher d’avoir mal voté le 9 février 2014. Toujours la même chanson : « Vous avez osé provoquer l’Union européenne, regardez comme elle se venge, ça va être terrible ».

     

    Il existe, pourtant, une autre manière de réagir. Ne pas tant se focaliser sur les grondements sonores de Bruxelles, ne pas toujours parler d’eux. Mais placer, au centre de notre discours, la décision souveraine prise le 9 février 2014 par le corps électoral. Elle implique, très clairement, une régulation de l’immigration, et la mise en place de contingents. Ces éléments-là ne sont plus à discuter. Il s’agit de les mettre en application. Toute autre solution reviendrait à considérer le peuple et les cantons de notre pays, seuls organes de décision lorsqu’il s’agit d’une initiative populaire, comme mineurs, alors qu’ils sont ultimes. Ce serait, sans ambiguïté, bafouer notre démocratie. Et le Conseil fédéral, il lui appartient, calmement, courtoisement, mais avec une implacable fermeté, de l’expliquer à Bruxelles. L’affaire, que d’aucuns s’emploient à tarabiscoter à l’extrême, est aussi simple que cela.

     

    Citoyens, ne nous laissons pas impressionner par la titraille d’Apocalypse de ces éditos de nos journaux. Laissons Bruxelles rugir. Et occupons-nous prioritairement de nous-mêmes : nous avons, le 9 février 2014, pris une décision, il s’agit qu’elle soit appliquée. Nous avons peut-être face à nous une machine prétendant représenter 28 pays, eh bien cette bureaucratie si loin des peuples a, en face d’elle, un tout petit pays, 8 millions d’habitants, bien fragile, c’est vrai. Mais un pays gouverné par le corps de ses citoyens, en qui réside la souveraineté. Chez eux, ça n’est pas comme cela, c’est leur droit, respectons-les. Mais chez nous, c’est ainsi.

     

    C’est précisément pour résister aux puissances, aux pressions, aux menaces, aux arrogances des grands, à la superbe des empires, que la petite Suisse, au fil des siècles, s’est constituée. Pour ma part, je préfère concentrer mes attentions sur ce que nous sommes, plutôt que sur les émanations sonores d’une usine à gaz qui ne semble connaître ni notre système, ni notre Histoire, ni notre culture politique. Eh bien, renseignons-les. Mais de grâce, ne courbons pas l’échine.

     

    Pascal Décaillet