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Sur le vif - Page 754

  • Les Artificiers du Matin Calme

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    Sur le vif - Mercredi 13.05.15 - 17.33h

     

    Exécuté au canon anti-aérien. Le Matin Calme, réveillé en trombe par un tir de DCA, dirigé contre le ministre de la Défense, lui-même. La méthode est raffinée, elle réhabilite avec une rare délicatesse l’usage d’une arme dont on parle un peu moins, en Europe, depuis la signature de la capitulation par les Allemands, le 8 mai 1945. Mais jusqu’à cette date, dans le ciel de Berlin, elle faisait, comment dire, fureur.

     

    Exécuté à la DCA, pour avoir juste un peu somnolé pendant un défilé militaire. C’est un peu rude, évidemment, surtout quand on pense qu’un Moritz Leuenberger, par exemple, a roupillé quinze au Conseil fédéral, continue dans d’augustes conseils d’administration, et que nul ne songe à lui en chercher la moindre noise. Le Soir de sa carrière, tout comme le Zénith, aura été tout aussi calme que le Matin des lointaines Corées.

     

    Et puis, pensez-vous, s’il fallait passer à l’arme lourde tous les responsables, en Suisse, qui, peu ou prou, somnolent dans leurs fonctions… Ou se contentent juste de gérer. Ou d’administrer. Ou de cadastrer. Ou de distribuer des prébendes culturelles aux oboles tendues des associations, chaque décembre, entre Saint-Nicolas et Noël. Vous imaginez : le ciel de notre pays ne serait plus qu’un feu croisé de missiles. Ce serait tous les jours le 1er Août. Ou pire : les Fêtes de Genève. Mais je vous laisse. Mes paupières, rien que d’imaginer la scène, se font pesantes. Et demain, j'aimerais conserver quelque légèreté. Pour l'Ascension.

     

    Pascal Décaillet

     

  • LRTV : Mme Savary insulte le privé

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    Sur le vif - Samedi 09.05.15 - 16.58h

     

    J’adore l’Italie. Je crois que c’est mon pays préféré. Celui de Toscanini et de Pasolini. Mais il y a une chose que je n’ai jamais supporté, depuis un sacré moment, c’est le niveau des télévisions privées, à la Berlusconi. A longueur d’antenne, des jeux débiles sous forme de shows, avec un bateleur et des filles en maillot de bain. Momifiées dans leur maquillage. Cela, non pas une heure par jour, mais des heures, en continu.

     

    Je déteste. Lorsqu’on dispose d’un espace public (une longueur d’onde TV, ou une concession), lorsqu’on a cette chance immense, on offre aux gens autre chose que cela. On leur parle de politique, de culture, d’économie, de livres, de sport, et de plein d’autres choses, bien sûr aussi de loisirs, mais toujours dans l’idée de leur proposer  du contenu. Ils aimeront ou non, certains vous apprécieront, d’autres vous rejetteront, c’est normal, c’est la vie. Mais au moins, on prend le risque du sens. Le modèle audiovisuel Berlusconi, c’est le vide sidéral. Juste faire du fric. Caser des programmes, avec des jeux, des grandes roues, des sourires et des maquillages de façade, entre deux tranches publicitaires.

     

    Donc, si on me parle d’une « télé à la Berlusconi », pour moi, c’est une insulte. C’est hélas ce qu’a fait hier soir, à Forum (RTS), la conseillère aux Etats vaudoise Géraldine Savary, dans un débat qui l’opposait à Claude-Alain Voiblet sur la LRTV (votation fédérale du 14 juin prochain). Le problème n’est pas ici de savoir ce qu’il faut voter dans ce scrutin, mais de décrypter l’usage d’un mot sciemment jeté dans l’espace sonore, dans le flux d’un débat. Ce que nous proposent les adversaires de la LRTV, affirme Mme Savary, c’est « une télévision à la Berlusconi, avec un transfert de toutes les activités commerciales vers les télévisions privées, et un affaiblissement total du service public ». Cette référence à Berlusconi nous a été servie deux fois, dans un débat de sept minutes et demie : Mme Savary, femmes de lettres, qui connaît le poids des mots, avait dûment prémédité son effet. Elle savait que ce nom propre, tellement parlant, serait la partie la plus captatrice de son discours, dans les oreilles du public. Et ça a d’ailleurs parfaitement marché, puisque j’écris ce billet.

     

    Ce qui ne va pas, ce qui doit être dénoncé avec la dernière énergie, c’est de tenter d’instiller dans l’esprit du public l’équation « TV privées (en Suisse) = TV Berlusconi ». Ca ne va pas, pour la simple raison que c’est totalement faux. Prenez Canal 9, La Télé, Léman Bleu : ces chaînes produisent, aujourd’hui déjà, davantage d’émissions de « service public », au prorata de leurs puissances de frappe régionales, et avec des moyens financiers dérisoires, que la SSR. Ces chaînes collent, jour après jour, avec de toutes petites équipes qui se donnent sans compter, à l’actualité politique, économique, sociale, culturelle, sportive de leurs zones de diffusions respectives. Elles se concentrent, elles, sur l’information, dans toute sa diversité, le débat. Elles donnent la parole aux artistes, tous domaines confondus. On aime ou non, chacun est libre de son jugement, mais de grâce qu’on ne vienne pas nous brandir cette équation scandaleuse entre TV privées suisses et système médiatique Berlusconi.

     

    Madame Savary, je vous en veux. Parce que vous êtes une femme intelligente, vous connaissez les mots, leur pouvoir, leur force de frappe sur l’imaginaire. Ce mot-là, vous nous l’avez sorti à dessein. Vous savez parfaitement à quel point il est mensonger. Le système Berlusconi, ce sont des médias uniquement tournés sur le fric et la pub, ils gomment le sens, insultent le public. Les médias privés en Suisse, en partenariat avec des microentreprises (je sais de quoi je parle) qui se donnent sans compter au service du sens, du reflet de la vie d’une région, n’ont strictement rien à voir avec les miroirs à pognon du Cavaliere. Vous le savez très bien, et c’est pour cela que je vous en veux.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Allemagne, Année Zéro

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    Sur le vif - Vendredi 08.05.15 - 17.06h

     

    Berlin, 8 mai 1945. Soudain, l’immensité étourdissante du silence. J’ai visionné, ces derniers jours, des heures d’archives sur ces moments-là, autour de la capitulation, les semaines qui suivent, aussi. A Berlin, et ailleurs en Allemagne. Tous les témoins que j’ai pu interroger, dans ma vie, sur le sujet, disent la même chose : avant tout, un indicible soulagement. Berlin a été prise au corps à corps. Les combats, quartier par quartier, immeuble par immeuble, ont été terribles, dantesques. La résistance allemande, incroyable. Les corps vivants de la Wehrmacht (des gamins, parfois, comme ceux de Napoléon en 1814), entremêlés, comme à Stalingrad, avec ceux de l’Armée Rouge, tout aussi jeunes. Encore, le sang qui coule. Encore, la mort, des deux côtés. Destins brisés, familles en deuil. Et puis, tout à coup, suite à une signature du Maréchal Keitel, le silence.

     

    Le silence ne résout rien. Mais il apaise. Le pays en ruines, les villes surtout, les lignes ferroviaires, les usines, les routes, les gares, les aéroports. Il faudra des années, tous le savent. Les premières années, rien que déblayer. Et puis, à partir des années cinquante, commencer à reconstruire. Et puis, plus tard encore, il y aura la reconstruction morale. L’examen de conscience du peuple allemand, tardif, mais réel, douloureux, mené à fond, et à bien des égards exemplaire. Je n’ai pas connu l’Allemagne en ruines, mais je l’ai connue avant l’examen de conscience : mirage économique des années 60, début années 70, certains s’imaginaient que l’argent du Plan Marshall aurait la vertu de tout laver, par le miracle d’une pluie bienfaisante. Ils se trompaient, bien sûr.

     

    En ce jour de 70ème anniversaire, je pense à deux ou trois Allemands, très précis, que ma mère avait connus, du côté de Würzburg, en 1937 et 1938. Je pense à ceux qui sont morts, l’un sur le front russe, l’autre au soir du 20 juillet 1944, face à un peloton. J’ai les photos, les lettres. J’y reviendrai, un jour. Je pense aux millions de victimes du Troisième Reich, à la machine à tuer, je pense au peuple juif qui a frôlé l’éradication en Europe centrale, il s’en est fallu de peu. Mais avant toute chose, je pense à ce qui m’est toujours apparu comme l’événement majeur de l’après-guerre dans l’Histoire allemande, avec la chute du Mur : la génuflexion de Willy Brandt à Varsovie, le 7 décembre 1970. Il faut lire l’Histoire - elle a été établie, depuis – de ce geste symbolique. Comment le chancelier qui avait combattu le Troisième Reich avait décidé, ce jour-là, de prendre sur lui le destin de son pays : se rendant en Pologne pour cette première visite depuis l’horreur, il n’était pas, ne voulait pas être, le résistant exilé en Norvège, mais le successeur, assumant le passé, au nom de la continuité allemande.

     

    L’Histoire allemande me fascine, depuis toujours, et Dieu merci pas seulement celle des années 1933-1945. Pour y entrer avec quelque pertinence, il faut impérativement la considérer dans sa continuité. Trop facile de n’entrevoir dans le Troisième Reich qu’une parenthèse. Comme si pendant douze ans, jaillie de l’Enfer, s’était installée l’horreur, pour disparaître après. Cette vision est fausse. Le Troisième Reich puise ses racines dans le passé allemand, et conditionne aussi bien des structures de l’après-guerre. Les démons, on les a extirpés, mais l’Histoire, ils l’habitent : nul ne pourra les en chasser.

     

    Je ne parle ici que de l’Allemagne, mais cette guerre était mondiale, bien sûr. Je parle de l’Allemagne, parce que je connais ce pays, je vis avec son Histoire, sa littérature, sa musique, sa poésie, depuis si longtemps. Et puis, pour d’autre raisons, plus intimes encore. En ce jour de commémoration, ma pensée va vers tous les morts de la guerre, toutes les victimes. Elle va vers les Algériens tombés à Sétif, en pleine fête de la Victoire, oui ce 8 mai 1945, préfiguration de la Toussaint sanglante du 1er novembre 1954, et de ce qu’il sera convenu d’appeler « La Guerre d’Algérie ».

     

    Je pense à cette Allemagne, Année Zéro de 1945. Je pense à Bertolt Brecht, l’un des écrivains qui ne me quittent jamais, et à son inoubliable poème « Deutschland, bleiche Mutter », Allemagne mère blafarde. Je pense à Paul Celan et à sa « Niemandsrose », sa Rose de Personne. Celan, Allemand de Roumanie, toute la famille perdue dans les camps. Un jour d’avril 1970, dans sa cinquantième année, du Pont Mirabeau, il se jette dans la Seine. Il laisse derrière lui l’œuvre poétique la plus troublante du vingtième siècle allemand. Je ne sais pourquoi je vous parle de lui, de tout cela. Mais il fallait que des choses remontent. Dans l’ordre du chaos. Mais aussi, dans la fragilité du sublime.

     

    Pascal Décaillet