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Sur le vif - Page 757

  • Les pains, les poissons, les associations

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 29.04.15

     

    Je n’ai pas sous la main les statistiques pour les villes de Valparaiso ni de Vladivostok, mais il me semble bien que Genève doit être au monde la ville où prospèrent, au mètre carré, le plus grand nombre d’associations. Il y en a de toutes les sortes et pour tous les goûts. Protectrices de peuples lointains, de toutes les minorités possibles et imaginables. Il y a les caritatives, les amicales, celles qui défendent les quartiers, les sous-quartiers, les groupements d’immeubles, de locataires, de propriétaires, de sous-locataires, d’aide-concierges. Il y a les groupements d’intérêts, les lobbies, les usagers du tram, les fous du volant, les partisans des Bains et ceux du vélocipède. Les associations sont comme les pains et les poissons : elles se multiplient à l’infini.

     

    Créer une association ne doit pas être très difficile, à en juger par le nombre d’hurluberlus qui s’en réclament, et aussitôt s’en vont quémander aux pouvoirs publics – la Ville, notamment – une aide financière. Au point que nos édiles municipaux, ces fameux cinq conseillers administratifs que nous allons élire le 10 mai, sont devenus de véritables machines à distribuer des sous aux associations. Et il faut les voir, les lobbyistes de ces groupements, faire le siège du Conseil municipal, chaque décembre, pour aller rappeler, sans la moindre vergogne, à nos 80 élus délibératifs de ne surtout pas les oublier, lorsqu’ils votent le budget. Et ça marche ! Parce que les élus, justement, ils ont besoin d’être un jour réélus. Alors, ils se font une clientèle. Et c’est ainsi qu’à Genève, par pléthore, l’associatif, tout doucement, prend la place du politique.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Togo-Frambois : l'exil sans le royaume

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    Lundi 27.04.15 - 15.08h

     

    Un peu plus d’une heure. C’est le temps nécessaire, sans se presser, à la lecture du « Journal d’un exilé » de Yaovi Mawussi Bossa, également appelé « Olivier », publié il y a quelques jours, à compte d’auteur, à Genève. J’en ai reçu un exemplaire grâce à Ridha Ben Boubaker, Tunisien de Genève, un homme d’une belle conscience panafricaine, qui m’a parlé de cet ouvrage jeudi dernier. Ce soir, si tout va bien, l’auteur devrait être sur le plateau de Genève à chaud.

     

    C’est un récit d’exil parmi des centaines d’autres. L’homme, d’une heure à l’autre, doit s’extirper de son pays, le Togo, prendre la fuite. Entre ce moment-là et aujourd’hui, il nous raconte par le détail l’itinéraire d’un demandeur d’asile en Suisse. Et c’est la première vertu de ce témoignage : donner au « requérant » (je n’ai, pour ma part, jamais aimé ce mot, pour des raisons de laideur sonore autant que de participe présent administratif) un visage, un parcours, une sensibilité, un destin. Nous ne sommes ni dans l’ordre de la masse qui submerge, ni dans celui de l’anonymat, nous avons juste affaire à un humain, face à une machine. Je crois savoir que l’un des plus puissants prosateurs de la littérature universelle avait, un jour de 1914 à Prague, rédigé un récit de ce genre.

     

    Et puis, tiens, voilà par exemple la vie quotidienne à Frambois, « cette colonie de vacances », comme l’appelle non sans humour l’auteur, page 47. Frambois, avec d’autres yeux que ceux de M. Maudet. Frambois, étape administrative dans une jungle sans issue. Frambois, oui, les co-détenus, la correspondance avec l’avocat, commis d’office. Mais aussi, les interrogatoires, l’Office de la population, la jungle qui sécrète une autre jungle. Aujourd’hui, si j’ai bien compris, Olivier est en attente de renvoi.

     

    Mais comprendre la complexité administrative du traitement des demandeurs d’asile, en Suisse, n’est pas simple. Ce dossier-là a été très volontiers, depuis des décennies, laissé par les politiques aux méandres de la bureaucratie. Ce petit livre, ou disons ce récit broché, enfin ce codex improvisé, nous restitue tout cela. Non à travers le regard des fonctionnaires. Mais par le prisme d’un être humain, celui d’un destin. C’est le sien. Et cela pourrait, tout autant, être celui de chacun de nous.

     

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Le Journal d'un Exilé - Par Yaovi Mawussi Bossa - Publié à compte d'auteur - Genève, mars 2015 - 89 pages.

     

  • Pierre Weiss : chaleur et lumière

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    Hommage - Samedi 25.04.15 - 17.59h

     

    Un homme de parole, un amoureux du verbe et de la musique, un redoutable bretteur, un fou de politique, une âme ouverte à la dimension spirituelle. Tel était Pierre Weiss, qui vient de nous quitter après un très courageux combat contre la maladie. Un homme habité par la vie. Tout sonore de l’excitation d’être. Un homme de culture, sensible aux langues (il en parlait plusieurs, dont l’italien), à la musicalité des syllabes, au chant des phrases. Orateur, il cherchait tout en parlant, s’écoutait dire, scandait, variait le tempo, décochait : le rythme, dans son discours, occupait une place majeure.

     

    Il ne lisait pas, Dieu merci. Il devait avoir quelques mots-clefs, savait de toute façon où il allait, se laissait trahir par ses propre pièges, et justement cette imperfection le servait, authentifiant l’improvisation. L’oralité est un métier, il l’avait appris très tôt, je sais exactement où et avec quels maîtres. Il savait avec une belle maîtrise compenser le défaut de grave, dans la tonalité de sa voix, par l’exubérance, tel le rossignol, sur la plus haute branche.

     

    Nous n’étions pas d’accord, Pierre Weiss et moi, sur le rôle de l’Etat en politique, disons que j’en voulais plus que lui. Ni sur le libre-échange économique. J’ai toujours été protectionniste, lui pas. Mais en vérité, combien ces dissensions-là sont vaines, lorsque remonte à la mémoire le champ de ce qui fut partagé. Nous avons eu les mêmes professeurs, dans cette école où j’ai passé onze années de ma vie et où, de six ans mon aîné, il m’avait précédé. Nous en parlions souvent, laissant se mélanger nos nostalgies, puissantes.

     

    Pierre Weiss était un homme de culture. Son rapport à la musique, par exemple, était bouleversant. Sa relation, aussi, avec la langue italienne, si subtile, si complexe. Son ancrage dans les humanités. Sa passion rhétorique pour la « disputatio », la joute oui, mais aussi construite que vivace, où la structure le dispute à l’étincelant. Parler en public comme on se met, au sens propre, à l’ouvrage. L’improvisation ne s’improvise pas.

     

    Il y aurait beaucoup à dire sur le lien qu’entretenait cet homme de passion avec les Lumières. Il n’en était héritier que partiellement, dans l’ordre de la liberté, qui nous réunit tous. Mais lorsqu’il n’était plus nécessaire de démontrer du haut d’une tribune, cet homme, en cercle plus fermé, ne cachait pas la part de spiritualité dans son chemin. Dans ces échanges-là, on pouvait découvrir une autre dimension que le métallique « Freisinn » de certains de ses collègues de parti. Aussi, ses goûts littéraires, et surtout musicaux, attestaient d’une incroyable ouverture à cette part de l’intime et du tellurisme que d’aucuns, pour faire court, ont appelé « le romantisme ». Disons, tout au moins, la dimension lyrique, celle qui s’en va faire vibrer d’autres cordes que les seuls accents de la Raison. Vernunft.

     

    Le monde politique genevois perd un homme d’une grande valeur. Un humaniste, l’un des derniers. Trempé dans la splendeur et la puissance du verbe. Habité par l’oraison. A sa famille, ses proches, émotion et sympathie. Quelque part, dans la partition inachevée du cosmos.

     

    Pascal Décaillet