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Yves Laplace, élévation et solitude

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Sur le vif - Mardi 29.12.15 - 17.47h

 

C’est en 1982, dans la Revue Furor, que j’ai commencé à lire des textes d’Yves Laplace, couronné hier par le Prix suisse de littérature. Jusqu’à cette date, je n’avais jamais entendu parler de ce contemporain, né comme moi au printemps 1958. Très vite, le sentiment d’avoir affaire à un écrivain. Sans tarder, au fil des années 80, la première impression se confirme, avec la lecture de « Sarcasme » puis « Fils de perdition », et surtout une pièce dont j’ai souvent parlé, tant elle m’a marqué : « Nationalité française », publiée au Seuil en 1986, et mise en scène par Hervé Loichemol à la Salle Patino, en 1989. Aujourd’hui encore, ce texte si troublant sur les Français d’Algérie, avec notamment le souvenir d’une Anne Durand saisissante, est l’un de ceux, dans l’œuvre de Laplace, qui me retiennent le plus.

 

Dans « Nationalité française », comme plus tard dans « Nos Fantômes », ou plus encore « La Réfutation », ou son tout dernier texte « Plaine des héros » (autour du fasciste genevois Georges Oltramare), j’aurais envie de dire, en « première lecture », que c’est le thème qui me retient. Mais le disant, je sais déjà que c’est faux, ou tout au moins largement insuffisant. Car Laplace n’est ni journaliste, ni historien, bien qu’il eût pu devenir l’un comme l’autre. Mais dès ses premiers textes publiés, à la fin de l’adolescence, c’est une autre voie, un autre chemin vers le réel, que choisit le jeune homme.

 

Oltramare a certes bien existé, les guerres des Balkans aussi, ou la fin si douloureuse de 132 ans de présence française en Algérie, oui tout cela est bien palpable, vérifiable, dans les archives du réel. Mais la relation qu’en donne Laplace, c’est autre chose. Cela passe par une forme immatérielle de magie, qui s’appelle l’écriture. C’est là qu’il existe, là qu’il crée la différence, là qu’il finit par nous offrir « autre chose » que la simple chronique du temps qui passe. Entreprendre une lecture critique de l’œuvre d’Yves Laplace, ce serait peut-être tenter de montrer comment l’art du récit, tout trempé qu’il apparaisse dans le réel, prend corps et distance, par un procédé d’écriture d’une rare finesse.

 

Avec Laplace, pas davantage qu’avec Cingria ni d’ailleurs aucun auteur, une œuvre ne peut ni ne doit se réduire à des thèmes. Pour l’aridité – parfois bienvenue – de ces grilles de lecture, on ira s’en référer aux « Que sais-je ? » ou aux encyclopédies. Mais enfin, tout de même, parler d’Yves Laplace sans évoquer le sujet de la filiation (dans « La Réfutation » comme dans « Fils de perdition »), c’est sans doute passer à côté de quelque chose d’essentiel dans la relation de l’auteur avec son texte.

 

Le Prix suisse de littérature n’est de loin pas le premier que reçoit Yves Laplace. Mais il tombe rudement bien, à une époque où la valeur d’un livre se soupèse en fonction de ses seules vertus marchandes. J’ai parlé de Cingria, dont le style éblouissant n’a certes rien à voir, mais qui, lui aussi, étincelait dans l’art de la chronique. Autres mots, autres sources, autres ancres. Mais là aussi, la troublante perpétuité d’un décalage. Il ne serait peut-être ni vain, ni indifférent que la littérature en Suisse romande soit un peu mieux perçue, reconnue, identifiée, du vivant de ses auteurs. Nous en avons beaucoup, dans ce coin de pays. Des femmes, des hommes, des talents. Parlons d’eux pendant qu’ils sont encore de ce monde. Et, très accessoirement, pendant que nous le sommes aussi.

 

Yves Laplace, cet écrivain si particulier, cette solitude si fièrement dressée, mérite infiniment le Prix suisse des écrivains. Plus encore, il mérite qu’on lise ses livres, sans tarder. Tant que la vie est encore là.

 

 

Pascal Décaillet

 

 

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