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Sur le vif - Page 755

  • Le journalisme sera citoyen, ou ne sera pas

     

    Sur le vif - Mercredi 06.05.15 - 14.55h

     

    En trente ans de journalisme, je me suis toujours battu pour une certaine conception de ce métier, mettant en avant les sujets d’intérêt public : la politique, la culture, ceux dans lesquels je me suis spécialisé. Mais bien sûr aussi l’économie, les sciences, le sport, notamment. Les sujets qu’on appelle aujourd’hui « people » ne font pas partie de mon champ d’action. Ni les histoires de stars. Ni les plats préférés des politiques. Je veux parler aux gens de ce qui concerne nos grandes ambitions collectives.

     

    Rien de cela n’est allé tout seul. Toujours et partout, il a fallu livrer bataille, et il le faudra encore. Au Journal de Genève, il y a trente ans, je me battais déjà pour les pages suisses, la mise en valeur de la politique de notre pays, dans une rédaction où la rubrique internationale régnait encore en maître. Puis, pendant mes longues années à la RSR, ce fut un combat continu, soutenu, pour la politique suisse. A Berne, mais aussi dans les cantons. Combat qui fut partagé en haut lieu, ce qui nous permit de faire considérablement avancer ces domaines, rénover complètement des tranches d’informations (Matinales en janvier 1994, Forum en janvier 2001), placer le débat citoyen très haut dans les programmes.

     

    Depuis neuf ans, je livre exactement le même combat comme entrepreneur indépendant. Lorsque j’ai annoncé, à l’été 2006, que nous allions parler tous les soirs de politique, et aussi pas mal de culture, sur Léman Bleu, certains me disaient : « Tu es fou, ça va faire trop, les gens ont besoin de se distraire, la politique est trop ennuyeuse ». Là comme ailleurs, nous avons pris le pari contraire. Il a réussi.

     

    * Pari sur l'intelligence

     

    Cela prouve quoi ? Qu’il ne faut pas trop se demander ce que veulent voir ou écouter les gens, mais leur donner à partager ce qui nous semble utile et stimulant. Ils prendront ou non, seront d’accord ou non, nous aimeront ou non, mais au moins nous aurons pris un pari sur l’intelligence du public. Nous pouvons le gagner ou le perdre. Mais c’est une démarche qui vient de nous, de nos envies, nos conceptions de la citoyenneté et du métier, et non de tests d’audience, consistant à servir au public ce qu’il demanderait.

     

    Et c’est exactement pour cela que j’appelle mes concitoyens à revoir de fond en comble cette fameuse notion de « service public » dont se gargarisent tant M. de Weck et la SSR, comme s’ils en étaient les seuls dépositaires. La réalité est exactement contraire : la SSR multiplie les émissions ne relevant strictement en rien du « service public ». Et à l’inverse, les télévisions privées régionales (Canal 9, La Télé, Léman Bleu, par exemple), se concentrant à juste titre sur l’information et la vie citoyenne, en font beaucoup plus, au prorata de leurs forces, que la SSR.

     

    L’équation « SSR = service public, privé = futilités » est donc totalement fausse. Elle relève de la propagande M. de Weck et de ses affidés. Ils peuvent exercer toutes les pressions qu’ils veulent pour qu’on dise le contraire, pour ma part, dans toute la fierté de mon indépendance (accompagnée de solitude, d’inconfort), je continuerai de dire et d’écrire ma part de vérité. Elle vaut ce qu’elle vaut. Mais c’est la mienne. Et je ne pense être le dernier, en Suisse, à pouvoir avec légitimité, autorité sur la matière, expérience du métier, m’exprimer sur le sujet.

     

    * Un vide sidéral, qui fait mal

     

    J’ai parlé ici des télévisions régionales privées en Suisse romande. J’ai donné quelques noms, il y en a d’autres, notamment du côté de l'Arc jurassien, qui font aussi très bien leur boulot. Je n’ai pas parlé des programmes ahurissants de futilité de certaines radios privées. Nous étions quelques-uns, en 1993, à la RSR, à nous battre comme des fous pour installer l’information, sur la longueur (7h-9h), à la place du sympathique mais désuet système de « radio d’accompagnement ». Quand on écoute aujourd’hui certaines radios privées, dans des tranches amirales comme la Matinale, et qu’on tombe sur un vide aussi sidéral du sens et de la citoyenneté, alors oui, on se dit, avec Sisyphe, que tout est toujours à recommencer. C’est sans doute le sel de la vie. Mais à ce point, ça fait mal.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Retard des bulletins : bonne nuit à tous !

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    Sur le vif - Mardi 05.05.15 - 16.51h

     

    A Genève, nous en sommes à J-5. Dans cinq jours, dimanche 10 mai, le corps électoral aura choisi les Conseils administratifs de nos communes. A J-5, certains électeurs n’ont pas encore reçu leurs bulletins de vote. C’est inadmissible. Rien ne justifie une telle lenteur. Nous sommes dans une élection à deux tours, trois semaines séparent les deux scrutins. Les partis ont désigné très vite, au lendemain du 19 avril, leurs candidats pour le second tour. Ce sont des listes simples, et non touffues comme pouvaient l’être celles pour les Conseils municipaux. Le calendrier était connu de longue date : on sait depuis longtemps, à Genève, que les élections communales ont lieu les 19 avril et 10 mai 2015.

     

    Dès lors, que se passe-t-il ? Pourquoi un tel retard ? Quels en sont les responsables ? Comment se fait-il, car ce n’est pas la première fois, qu’un scrutin parfaitement prévisible, ne nécessitant tout de même pas des prodiges de logistique, fasse l’objet de telles lenteurs ? A qui profite cet envoi si tardif des bulletins ? Qui supervise ? Qui coordonne ? Qui commande ? Qui contrôle ? Qui corrige ? Car enfin, un tel retard ne tombe pas du ciel : il y a des causes, des effets, des humains dans l’administration qui doivent répondre. Ou alors, on admet une fois pour toutes, comme dans les plus éblouissants monologues – les plus obscurs aussi, paradoxalement – du Procès, de Kafka, que la machine l’a emporté sur l’homme. Dans ce cas, on oublie la citoyenneté, la démocratie, on plie bagages. Et on va se coucher. Bonne nuit à tous.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Ni Vesoul, ni Vierzon, ni Milan

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    Sur le vif - Dimanche 03.05.15 - 16.38h

     

    Un concept d’un autre temps, ringard, dépassé. Juste maintenu pour des raisons de gros sous. La géographie planétaire privatisée. L’Argent roi. Même plus l’idée du progrès, ou celle de l’aventure coloniale. Non. Juste maintenir en vie, sous perfusion financière, quelque chose qui fut puissant, totalement séducteur, générateur de rêves au dix-neuvième, puis dans la première partie du vingtième siècle. A l’époque, dans le Paris du Second Empire (1855, 1867), celui de la Troisième République (1878, 1889, 1900), toute à sa sacralisation du progrès et à sa course pour la domination de l’Afrique, voire celle de la Cochinchine et du Tonkin, une Exposition universelle avait un sens.

     

    On peut, aujourd’hui, partager ce sens, ou au contraire le récuser (sublimation de l’épopée coloniale, 1931), mais enfin il y avait une cohérence. Comme l’a remarquablement noté Anne-Marie Thiesse dans son livre sur la création des identités nationales (Seuil, 1999), les diverses Expos de la Troisième République (1870-1940) contribuent largement à façonner un esprit français, l’une des premières puissances du monde à l’époque.

     

    Et nous, les Suisses, ne sommes pas en reste : dès 1857, neuf ans après la création de l’Etat fédéral, en plein radicalisme triomphant, se tient l’Expo nationale de Berne. Puis, en 1883, celle de Zurich. Du 1er mai au 15 octobre 1896, celle de Genève, qui marqua tant les esprits, ancra ce canton dans les valeurs helvétiques : il y avait même un « Village suisse », dont une rue, près de Carl-Vogt, porte encore le nom. Et puis, deux Expos nationales à l’aube d’une Guerre Mondiale (1914, et en 1939 la célèbre Landi de Zurich). Enfin, l’Expo de Lausanne, en 1964, que l’auteur de ces lignes doit bien avouer avoir visité avec ravissement, à l'âge de six ans, en compagnie de sa famille, à deux reprises. On y sublimait le progrès, les techniques, la croissance (jamais je n’oublierai la naissance des poussins, par centaines, dans la couveuse). Ça tombait bien : mon père était ingénieur, les sciences avaient la cote, il y avait une soucoupe volante pour les enfants, un petit train, et bien sûr le bathyscaphe, que j’ai vu, sans y entrer.

     

    Il me semble que jusqu’à cette date, 1964, les Expos avaient un sens. Il faut bien s’imaginer qu’en 1889, six ans avant l’invention du cinéma, les gens n’avaient que très peu d’images à offrir à leurs yeux, et surtout dans les campagnes. Alors, Paris leur en mettait plein la vue, il devait y avoir de la magie, du ravissement. Mais aujourd’hui, 2015, à quoi peut bien rimer encore une Expo universelle ? Je ne préjuge certes pas de celle qui s’ouvre ces jours à Milan : peut-être sera-t-elle belle, et ravira-t-elle les visiteurs. Si c’est le cas, tant mieux.

     

    Mais franchement, à entendre s’exprimer certains de ses responsables, y compris au plus haut niveau de cette nébuleuse appelée « Présence Suisse », on a plutôt l’impression de Comices commerciales, destinées à auto-justifier les gesticulations des quelques colporteurs du pays face à une improbable « communauté des nations », qui d’ailleurs prend la poudre d’escampette dès que ça commence un peu à chauffer, sur les quatre coins du globe. Nos amis d’Afrique en savent quelque chose.

     

    Dès lors, pour ma part, je n’irai pas à Milan. Enfin, si : je retournerai assurément me recueillir devant l’Autel de Saint Ambroise. Mais les Comices, non merci. Surtout lorsqu’elles n’ont même pas le groin ni la plume d'un Flaubert pour les transfigurer en fééries de la Province bovine. On n’a tout de même pas boudé l’Expo 2002, ce que j’assume avec une acariâtre fierté, pour aller se pavaner chez les Camelots du Fric, quelque part au pays des Lombards.

     

    Pascal Décaillet