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Sur le vif - Page 755

  • Pénélope à la tête du DIP

     

    Sur le vif - Jeudi 19.03.15 - 16.06h

     

    Anne Emery-Torracinta, la patronne de l’Instruction publique genevoise depuis l’automne 2013, a beau provenir du même parti que son prédécesseur Charles Beer (2003-2013), elle n’en mène pas moins une politique radicalement différente. Avec un autre style de commandement. Disons qu’elle prend des décisions, et qu’elle s’y tient. On apprécie ou non ce qu’elle veut faire, mais au moins elle annonce clairement la couleur. Du coup, elle se fait des ennemis. A l’interne, notamment, comme dans la fameuse affaire des chaises musicales Seymaz-Candolle, qui est loin d’être réglée, et où le minimum de concertation n’a pas été au rendez-vous. Sur ce dossier, j’ai exprimé ici mon avis : on ne joue pas impunément avec les lieux où souffle l’esprit ; on ne déplace pas ainsi les gens comme des pions.

     

    Mais revenons à la méthode de gouvernance. A part dans cette affaire, où elle est précipitée, il faut bien admettre qu’elle est plutôt bonne. Après la décennie Beer (ou peut-être après la double décennie Beer-MBG), il fallait donner des signes d’autorité, de clarté, de netteté dans les idées, au plus haut niveau du Département. La toute dernière décision (cf. Tribune de Genève d’aujourd’hui) en est un excellent exemple. Elle concerne la suppression de 12 postes de directeurs au primaire : sachant que trois postes sont inoccupés, on va passer de 73 à 58 directeurs. On commence sérieusement à s’éloigner des 93 postes initiaux, voulus par Charles Beer.

     

    Socialiste, Mme Emery-Torracinta ? Oui, sans doute, mais d’une autre fibre, disons moins gentiment associative, que celle de son prédécesseur. Si on prend ces deux décisions, et qu'on ajoute celle, fracassante, prise récemment sur l’IUFE (Institut universitaire de Formation des Enseignants), on peut assez aisément reconstituer la figure mythologique de Pénélope, l’épouse d’Ulysse, qui, pour échapper aux prétendants pendant les vingt ans d’absence de son mari (dix ans de Guerre de Troie, dix ans pour revenir), s’échinait à défaire la nuit la tapisserie qu’elle tissait le jour. Eh oui, il faudra s’y habituer, notamment dans la chère famille socialiste : ce que Charles avait fait, Anne le défait.

     

    Assurément, la Pénélope du DIP ne se sent liée par nulle espèce de legs à son prédécesseur. Sur quantité de dossiers majeurs, elle n’hésite pas, ouvertement, à prendre le contrepied du ministre précédent. A l’interne, il y a certes ceux qui peinent à encaisser cet autoritarisme, non sans raison dans l’affaire des transferts de bâtiments. Mais il y en a beaucoup d’autres, aussi, qui apprécient de voir qu’enfin, au plus haut niveau, quelqu’un décide. Avec une volonté politique claire, une ligne de conduite, des moyens pour mener la bataille. Ainsi, Pénélope crée l’événement : c’est du chef du DIP, désormais, que viennent à nouveau les impulsions, qu’on les aime ou non. Du ministre, et non de l’insistante pression de quelque parlementaire. Le ton est donné. Il y a désormais un caractère exécutif à la tête de l’Instruction publique genevoise.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Avec la Tunisie, pour toujours

     

    Sur le vif - Mercredi 18.03.15 - 17.41h

     

    La Tunisie : comment évoquer sans émotion ce pays où je me suis toujours senti comme chez moi, cette ville de Tunis que j’ai visitée à quatre reprises, et justement ce Palais du Bardo où avait été signé, entre le bey et la France de Jules Ferry, le Traité qui, jusqu’à l’indépendance de 1956, allait installer le protectorat de Paris sur Tunis ? Pays si proche. Pays chargé d’Histoire et de culture. Longues lectures de Lacouture, sur la genèse de l’indépendance tunisienne, le Destour, le Neo-Destour, Bourguiba, le départ des Français, la crise de Bizerte. Tout cela, oui, mais au final, une séparation sans aucune comparaison, en termes d’arrachement et de dureté, avec ce que fut, de 1954 à 1962, l’Histoire d’un pays voisin, également tant aimé de votre serviteur, l’Algérie.

     

    A l’heure où j’écris ces lignes, ayant invité des Tunisiens de Genève pour mon émission ce soir, je n’ai encore aucune idée des motivations des auteurs de l’attaque terroriste du Musée du Bardo, près de l’Assemblée Nationale. Nous le saurons plus tard. Ce qui est sûr, c’est la chaleur de ma pensée pour ce pays. Avec ces 19 morts, il y a dans la récente Histoire de la Tunisie quelque chose de cassé. Plus rien ne sera-t-il comme avant ? Ce pays, qui a fait sa Révolution il y a quatre ans, ne s’en était jusqu’à aujourd’hui, en comparaison nord-africaine, pas si mal sorti. Non sur le social, non sur l’économique, non sur le chômage des jeunes, cette plaie, mais sur quelque chose de plus essentiel : le sang, contrairement aux pays voisins, n’y coulait presque pas dans les rues.

     

    Aujourd’hui, il a coulé. Sur le lieu même qui, sous la Troisième République, et justement sous l’un de ses ministères les plus brillants, avait été celui de l’École obligatoire, avait scellé un lien très important avec la France. Donc, avec l’Europe, si proche. Donc, avec nous. Il ne m’est pas indifférent que cet attentat fût perpétré dans ce lieu-là. Pour le reste, silence et prière. En direction de ce pays si cher, dont le charme secret a tant à nous apprendre. A mes amis tunisiens, et justement tunisois, je dis ce soir la puissance de mon lien et de mon respect pour leur pays.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Laplace sur Oltramare : éblouissant

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    Sur le vif - Mardi 17.03.15 - 17.13h

     

    Depuis trente ans, chaque livre d’Yves Laplace est pour moi un événement. Une bonne trentaine, justement, et tant de souvenirs de théâtre, sa collaboration magique avec Loichemol, au premier plan desquels j’inscris « Nationalité française » (1986), l’un des textes les plus forts sur les Français d’Algérie. Et puis, des romans, des tonnes de souvenirs de radio avec lui, par exemple « La Réfutation » (1996), sur le thème de la filiation. Je savais que Laplace planchait depuis des années sur un nouveau livre, j’ignorais encore récemment que l’ouvrage allait tourner autour de Georges Oltramare (1896-1960), leader de l’Union Nationale à Genève dans les années trente. Un homme sur les archives radiophoniques duquel j’avais travaillé, notamment son fameux discours face au Parc de l’Ariana et la SDN, en 1936. Je viens de finir « Plaine des héros ». Ce livre est pour moi un éblouissement.

     

    Deux possibilités. Soit, par pédagogie, on réduit l’ouvrage à son héros, le personnage historique d’Oltramare, déjà largement passionnant. Soit on entre en matière sur la forme romanesque de Laplace, c’est évidemment moins populaire, plus littéraire, mais il y a tant à dire sur la théâtralité du récit, l’originalité des dialogues, qu’on se plaît déjà à rêver d'un futur « Plaine des héros », Laplace-Loichemol, sur quelques planches genevoises. Là où tout se complique, ou peut-être au contraire se simplifie, c’est qu’Oltramare, fils d’un latiniste dont Olivier Reverdin nous avait souvent parlé, est lui-même homme de lettres, homme de théâtre, auteur à succès dans les années vingt et trente. Cet homme-là aussi apparaît dans le livre d’Yves Laplace, avec les multiples facettes de son talent, loin de l’orateur fasciste qu’il savait être face aux foules.

     

    Et puis, vous pensez bien qu’Yves Laplace, romancier par excellence, ne va pas se contenter de nous raconter cursivement la biographie du chef frontiste : non, c’est dans les intelligences déroutantes de ses approches que réside le petit miracle du livre. On y découvre un neveu d’Oltramare, Grégoire, dont l’auteur avait fait la connaissance un peu par hasard en pleine rédaction de son livre, et qui nous révèle un autre visage d’Oltramare. Alors, parallèlement au livre, on se plonge, comme je l’ai tenté ces derniers jours, dans le maximum d’accès possibles à l’Oltramare historique, on découvre qu’il est par sa mère le petit-fils du conseiller d’Etat Antoine Carteret, leader radicalissime du dix-neuvième genevois, ou encore que son frère cadet était devenu conseiller d’Etat socialiste, lointain prédécesseur de Chavanne au DIP, entre 1924 et 1927.

     

    Le destin du Georges Oltramare historique, on le connaît : il collabore (c’est le mot !) à Radio Paris pendant l’Occupation, sous le surnom de Charles Dieudonné (si !), passe par Sigmaringen en 44-45, fait de la prison en Suisse, est condamné à mort par contumace en France, décède en 1960. Saviez-vous par exemple qu’il avait même, en 1956, au début du règne de Nasser, animé une émission antisémite en Egypte, « La Voix des Arabes » ?

     

    Mais disant tout cela, je ne vous ai encore rien dit. J’aimerais, dans un autre texte, revenir sur l’essentiel : l’art du dialogue, du récit, les tournures du roman chez Yves Laplace. Car nous sommes dans une structure incroyablement travaillée : le surgissement des personnages, des événements, est paré de la folie des meilleurs mécanismes du théâtre. Oui, ce roman-là est peut-être fait pour les planches. Mais c’est une autre histoire. Ou tout juste la même, autrement.

     

    Pascal Décaillet

     

    "Plaine des héros" - Par Yves Laplace - Fayard, février 2015 - 346 pages.