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Série Allemagne - No 4 - Bad-Godesberg, 1959 : Marx et Engels au vestiaire !

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L'Histoire allemande en douze tableaux - Série d'été - No 4 – 13 au 15 novembre 1959 : le tournant historique des sociaux-démocrates allemands.

 

C’est une longue, une passionnante histoire que celle de la sociale démocratie allemande. Rien que sur ce sujet, il me faudrait une série de douze épisodes ! On dit souvent qu’elle est née des mouvements révolutionnaires de 1848, auxquels j’avais consacré une série radio il y a dix-sept ans. C’est exact. Mais en vérité, il faut aller en chercher les sources dans les années qui précèdent. Ni en Allemagne, ni en France, ni en Suisse, l’effervescence de 1848 n’est surgie du néant : elle fut dûment préparée en amont, par tout un mouvement de pensée et d’action, avant que n’éclose le printemps des peuples.

 

Ce qui est sûr, c’est que ce grand parti, d’abord SAP en 1875, puis sous son nom actuel, SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) dès 1890, est le plus ancien d’Allemagne. Il a traversé, sous le même nom, la fin des années bismarckiennes, l’époque de Guillaume II, la Grande Guerre, la République de Weimar (où il prospéra), le Troisième Reich (où il fut persécuté), puis l’après-guerre. Il donna au pays un immense Chancelier, Willy Brandt (1969-1974), ainsi que le redoutablement brillant Helmut Schmidt, 97 ans, que j’ai eu l’honneur d’interviewer à Hambourg, en avril 1999. Il avait déjà donné des hommes d’Etat sous la République de Weimar (1919-1933), on pense en priorité, bien sûr, à Friedrich Ebert (1871-1925). Bref, il est impossible de considérer les grandes figures sociales démocrates d’aujourd’hui sans avoir à l’esprit la profondeur des racines de leur parti, dans l’Histoire contemporaine de l’Allemagne.

 

Hitler et les nazis détestent les sociaux-démocrates. A cause de leur rôle en novembre 1918 (nous y reviendrons), dans l’armistice du 11, puis au moment de Traité de Versailles. C’est la fameuse thèse du « coup de poignard dans le dos ». Dès leur arrivée au pouvoir, ils les persécutent. Et je n’oublierai jamais, depuis que j’ai visité en 1983 le camp de Dachau, les noms des leaders politiques sociaux démocrates qui avaient été les premiers, dès 1933, à y entrer comme détenus. A leurs côtés, des communistes, ex-Spartakistes : eh oui, les premières victimes du nazisme furent des Allemands.

 

Beaucoup de sociaux démocrates prennent, entre 1933 et 1945, le chemin de l’exil. Pensons principalement à Herbert Ernst Karl Frahm, qui passera toutes ces années en exil en Scandinavie, avant de faire carrière sous le nom de Willy Brandt. Pensons aussi à Erich Ollenhauer (1901-1963), qui nous nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui, parce qu’il préside justement le SPD lors de ce fameux Congrès de Bad-Godesberg, du 13 au 15 novembre 1959.

 

Bad-Godesberg est presque devenu aujourd’hui un nom commun. « Faire son Bad-Godesberg », dans le langage socialiste en Europe, c’est procéder à un aggiornamento vers (un minimum, au moins) d’économie de marché. Donc, prendre congé du marxisme. Aller dans le sens d’Helmut Schmidt, ou de Michel Rocard. Ou de Bruno Kreisky, en Autriche. Ou d’Olof Palme, en Suède. Dans ce Congrès de 1959, c’est bel et bien ce qui s’est passé. Encore faut-il nuancer : la réputation d’une assemblée qui envoie Marx et Engels au musée n’est venue qu’a posteriori, mythifiant ainsi le tournant du Congrès.

 

En Europe, tout de même, Bad-Godesberg crée la surprise. La doctrine du Congrès d’Heidelberg (1925, en pleine République de Weimar) était encore officiellement en vigueur, elle qui consacrait le dogme marxiste. Il y avait certes eu de premières inflexions vers le marché aux Congrès SPD de Berlin (1954) et Stuttgart (1958), mais elles n’avaient pas triomphé. Il faut préciser ici que dès leur retour dans la vie politique, après la guerre, les sociaux démocrates avaient certes retrouvé leur légitimité, mais n’arrivaient pas, désespérément, à conquérir le pouvoir, au niveau fédéral : échec en 1949, en 1953, et encore en 1957 ; chaque fois, c’est le chrétien-démocrate rhénan Konrad Adenauer qui s’impose. Il gagnera encore en 1961. Sous l’influence de jeunes économistes, comme Karl Schiller et (déjà !) Helmut Schmidt, le parti commence à sentir que le chemin du pouvoir passera par une série de conversions.

 

Conversion à l’économie de marché, qui a incroyablement fait ses preuves (dopée par le Plan Marshall) dans les années de reconstruction. Conversion au dialogue avec les communautés religieuses, dans ces Allemagnes où ces dernières, catholiques ou réformées, jouent un rôle politique et social tellement important. Conversion à la concertation, c’est d’ailleurs simplement reconnaître l’ADN social de l’Allemagne. Bref, devenir un parti moderne, concurrentiel, pouvoir étendre son électorat au-delà du plafond de 30%. Parvenir au pouvoir. L’exercice sera une réussite totale : moins de dix ans après, l’homme qui avait participé au Congrès de Bad-Godesberg comme Maire de Berlin, Willy Brandt, accède à la Chancellerie (octobre 1969).

 

Il y aurait beaucoup à dire sur les réactions, sur le moment, dans les partis socialistes européens : elles ne sont pas très chaudes ! A commencer par celle de Guy Mollet, le leader de la SFIO se souvient que sa politique algérienne, très dure comme on sait, dans les années 1956, 1957, avait été condamnée pas les sociaux démocrates allemands. A son tour, il ne se gênera pas pour laisser perler toute la part de trahison que lui inspire la conversion des Allemands.

 

Il y aurait, aussi, tant à écrire sur toute la distance que les sociaux démocrates, à l’Ouest, entendaient prendre avec le SED, le parti communiste d’Allemagne de l’Est. Tout chemin commun était désormais impossible. A vrai dire, il l’était depuis longtemps. Peut-être, dès les années spartakistes de 1918, 1919, à l’époque de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Mais c’est une autre Histoire. Ou plutôt : c’est la même. A un autre moment du destin allemand.

 

 

Pascal Décaillet

 

 

*** L'Histoire allemande en douze tableaux, c'est une série d'été non chronologique, revenant sur douze moments forts entre la traduction de la Bible par Luther (1522-1534) et aujourd'hui.

 

 

 

*** Prochain épisode (no 5) - 1722 : l'invention du "Clavier bien tempéré", par Jean-Sébastien Bach.

 

 

 

 

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