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Série Allemagne - No 2 - Les Discours à la Nation allemande (1807)

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L'Histoire allemande en douze tableaux - Série d'été - No 2 – Quand Fichte invente l’idée allemande de nation.

 

 L’ambiance intellectuelle et morale, à Berlin, dans les années 1807, 1808, n’est pas au beau fixe. La Prusse, si éclatante une ou deux générations plus tôt, à l’époque de Frédéric II, véritable « inventeur » du pays, 14ème électeur de Brandebourg, roi de Prusse de 1740 à 1786, auteur des grandes conquêtes à l’Est (Silésie, Poméranie), véritable pionnier de l’Ostpolitik, grand ami des artistes, cette Prusse si jeune, surgie des Lumières, n’est plus en 1807 que l’ombre d’elle-même. Les successeurs du grand Frédéric n’ont pas été à sa hauteur, le pays s’est appauvri, il s’est même endetté (figurez-vous !), il a perdu de son influence en Europe.

 

Mais surtout, voici, venue de la lointaine Corse, la ruine de la Prusse : elle s’appelle Napoléon. En 1806, par ses victoires d’Iéna et d’Auerstaedt, qui mettent fin à mille ans de Saint Empire, le nouvel homme fort de l’Europe coupe en deux les Allemagnes : il crée à l’Ouest, sous contrôle français, la Confédération du Rhin, puis règle le sort de la Prusse à Eylau et Friedland en 1807, une grande partie du pays est occupée, le grand rêve de Frédéric II, mort seulement vingt ans auparavant, s’effondre.

 

L’occupation de la Prusse durera jusqu’en 1813, la décisive bataille de Leipzig (la Bataille des Nations, Völkerschlacht, 16 au 19 octobre) libérant les Allemagnes du joug français. Alors, pendant tout le dix-neuvième siècle, la puissance de la Prusse au sein du monde allemand ne fera que croître : Zollverein en 1834, puis bien sûr la grande aventure de l’unification (1866, 1871), qui se fera par la Prusse, autour de la Prusse, sous le fer de la Prusse, dans l’accomplissement de la volonté et des desseins de la Prusse. Du coup, dans la guerre franco-allemande de 1870, lorsque déferlent les régiments de Uhlans, on ne dit pas "Voici les Allemands !", mais "Voici les Prussiens !" . Les plus âgés, en août et septembre 1914, au moment de la Bataille de la Marne, garderont ce langage.

 

Mais en 1807, 1808, dans Berlin défait, nous n’en sommes pas là. La Prusse est humiliée, occupée par les Français. C’est dans ce contexte qu’un homme de 45 ans, Johann Gottlieb Fichte (1762-1814), entreprend, le 13 décembre 1807, une série de conférences, dont l’Histoire retient le nom sous le titre : « Reden an die deutsche Nation », Discours à la Nation allemande. Il faut le dire très clairement : c’est une bombe. Au nez et à la barbe des troupes napoléoniennes, le philosophe invite la Prusse au réveil national. Et même, il invite les Allemagnes à former un État sur le modèle prussien, dont on sait, depuis Frédéric II, la part qu’il doit au rationalisme, à l’Aufklärung, à la fois aux Lumières et à la discipline d’Etat, dans toute la rigueur de sa structure.

 

Tout germaniste devrait lire ces Discours. Ils ne sont d’ailleurs pas faciles d’accès, parlant de philosophie, et principalement d’éducation (Fichte avait connu Pestalozzi), autant que de politique. Mais assurément, la page des Lumières étant tournée, le Sturm und Drang ayant fait son œuvre, nous sommes, dans ces Discours, à un tournant fondamental de la pensée allemande : les « Reden an die deutsche Nation » invitent les Allemagnes à entrer dans l’action, à forger l’Histoire. Il ne s’agit plus seulement de s’inscrire dans le prolongement d’une Révolution française qu’on a tant admirée. Car Fichte, en plus d’un ordre politique, appelle les Allemagnes à une Révolution nationale : deux ans après la mort de Schiller (1805), ce héros tant aimé, tant pleuré, le conférencier de Berlin appelle à rénover l’Allemagne en partant de ses propres racines, de son propre génie national.

 

A cause de tout cela, il faut lire ces Discours. Ils sont l’une des sources vives de la résurrection allemande. Et l’Histoire retiendra que tous les chemins d’affranchissement, puis de puissance, dès 1813, 1815, sont nés à Berlin, pendant l’occupation française, et que Johann Gottlieb Fichte y a tenu un rôle de premier plan. On rêve d’imaginer le rôle qu’aurait pu y tenir le grand Kleist (1777-1811), s’il ne s’était donné la mort à Wannsee, près de Potsdam, le 21 novembre 1811, entrant, comme son héros le Prince de Hombourg, dans l’immortalité. Mais privant l’Histoire allemande, et le monde des mortels, de la fulgurance de son génie, lui Prussien parmi les Prussiens. On retrouvera ce grand nom sur la Meuse et dans les Ardennes, en mai-juin 1940, porté par l’un des plus brillants maréchaux de la campagne de France (Ewald von Kleist, 1881-1954). Mais celui que porte l’immortalité, c’est bien sûr Heinrich, qui quittait volontairement ce monde à l’âge de 34 ans, en 1811, dans une Prusse encore occupée. Retenons ce vers du Prince de Hombourg :

 

« Nun, o Unsterblichkeit, bist du ganz mein ».

 

Maintenant, immortalité, tu es toute à moi.

 

 

Pascal Décaillet

 

 *** L'Histoire allemande en douze tableaux, c'est une série d'été non chronologique, revenant sur douze moments forts entre la traduction de la Bible par Luther (1522-1534) et aujourd'hui.

 

*** Prochain épisode (no 3) - 26 au 30 août 1914 : la victoire sur les Russes à Tannenberg. La naissance du mythe Hindenburg.

 

 

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