Sur le vif - Lundi 04.09.23 - 08.29h
Le libéralisme ? Au mieux, une posture intellectuelle de haut vol (Tocqueville, Benjamin Constant, Olivier Reverdin). Au pire dans sa version ultra, depuis trente ans, le dévoiement de tout projet collectif entre les humains.
Chercher le profit, c'est bien, nul entrepreneur ne saurait contester ce but. Mais ériger la réussite personnelle comme seule finalité de l'activité humaine, c'est court. C'est vain. C'est triste.
Nos pays d'Europe continentale, la France, et plus encore l'Allemagne, ne sont pas faits pour le libéralisme. Colbert d'un côté, Bismarck de l'autre, ont lutté toute leur vie pour imposer l'Etat. Coercitif, c'est vrai, mais régulateur.
A part quelques parenthèses, comme Tardieu, même pas Giscard (beaucoup plus étatiste qu'on ne l'imagine), nul homme d'Etat libéral n'a mené la France. Pour ce grand pays, il faut une vision d'Etat. Pour les Allemagnes, aussi : le capitalisme rhénan n'est pas celui des Anglo-Saxons, il s'accompagne d'une puissante action sociale : contrats collectifs, protection contre la maladie, les accidents, cotisations pour les retraites. Quand la Rhénanie est devenue prussienne, après 1815, les patrons des charbonnages de la Ruhr se sont chargés de le rappeler aux fonctionnaires de Berlin ou Potsdam, arrivés avec leur vision théorique, héritée de la grande philosophie de l'Aufklärung. Il faut savoir ces choses-là. Savoir de quoi l'on parle. Le passionnant Musée de la Mine, à Bochum (Nordrhein-Westfalen), que j'ai visité en famille en juillet, rappelle avec génie cet épisode méconnu de l'Histoire industrielle allemande.
Le génie de l'Histoire suisse, c'est que le prodigieux développement économique lancé en 1848, par les radicaux, s'est accompagné très vite d'une formidable réseau de conventions qui donneront naissance, au vingtième siècle, à nos grandes assurances sociales, au premier rang desquelles l'AVS, évidemment, en 1947.
L'essor de l'économie (et cela, les quelques "vrais libéraux", nous en avons à Genève, le savent) n'est rien sans une pensée d'Etat. Oh, pas l'Etat tentaculaire des socialistes, pas l'Etat gourmand, l'Etat-Moloch de la gauche, pas les armées de fonctionnaires. Mais un Etat svelte, solide, musclé, attentif à ses fonctions régaliennes. Dans lesquelles, pour ma part, j'ai toujours inclus la cohésion sociale.
Sans la cohésion sociale, la Suisse n'existe pas. Ni la France, ni l'Allemagne. A cet égard, dans les débats capitaux sur l'avenir de nos retraites ou de nos systèmes de santé (les seuls débats qui vaillent, en cette période d'élections fédérales), l'homme de droite que je suis, mais d'une droite sociale, populaire, patriote et joyeuse, ne peut que regretter le vide absolu de propositions de la part de la droite libérale. Toutes les idées (qu'on les partage ou non) avec un peu d'ampleur, de vision d'Etat, viennent de la gauche : fusion des deux piliers, treizième rente AVS, Caisse unique, Caisse publique, primes en fonction du revenu.
Dans la droite libérale, le désert ! Tout au plus, comme des diablotins surgis d'une boîte, l'émergence, ici ou là, de quelques cabris poudrés de l'ultra-libéralisme, pour nous suggérer des pistes qui relèvent davantage de l'Angleterre de Dickens que de la conception d'Etat de notre Europe continentale.
Les radicaux de 1848 nous manquent. Ils représentent, à ce jour, la forme la plus achevée de ce que la Suisse a pu offrir : la jonction entre puissance économique, évidemment vitale, et construction d'un édifice collectif. Une Maison commune : c'est peut-être cela, la politique.